Le vote du conseil métropolitain de juin dernier a été peu médiatisé, mais son impact est tout sauf négligeable, puisqu’il touche directement à notre vie quotidienne. En effet, juste avant la pause estivale, les élu·e·s de la métropole ont approuvé à une majorité écrasante le principe de faire appel à une entreprise délégataire, via un contrat de concession de service, pour gérer les abris voyageurs du réseau STAR. Ce marché public, d’une durée de 9 ans, autorisera de fait leur exploitation publicitaire.
Thierry Le Bihan, conseiller métropolitain et maire de la commune de Mordelles, a pourtant tenté de convaincre ses collègues et partenaires, notamment écologistes et socialistes, de revoir leur position. Dans une allocution impeccable et imparable que nous vous recommandons d’écouter (voir à la fin de cet article, NDLR), ce dernier a exposé sans ambages ses arguments. Oui, l’espace public est un patrimoine collectif ! Oui, l’espace public est un bien commun qu’il nous faut préserver du secteur marchand ! En vain. Il faut croire que les jeux étaient joués d’avance… dommage.
(ALTER1FO): Bonjour Monsieur Le Bihan, pouvez-vous nous rappeler le contexte et le sujet de la délibération n°23.075 du 22 juin dernier ?
THIERRY LE BIHAN : Le conseil métropolitain a le pouvoir de choisir le mode de gestion qu’elle souhaite faire appliquer concernant les activités dont elle a la compétence. Prenons l’exemple du domaine de l’eau. La Métropole a souhaité ne plus externaliser ce service. Elle s’est alors dotée d’une société publique dans le but de reprendre le contrôle de la gestion de l’eau. En ce qui concerne la délibération n°23.075, la décision a été prise de confier la gestion des abribus dans l’espace public au secteur privé.
De manière personnelle, vous étiez en complet désaccord avec cette décision et l’avez clairement exprimé durant la séance du conseil métropolitain. Quelle en était la raison ?
Que font les principaux acteurs de l’affichage comme Clear Channel ou JC. Decaux ? Ils monétisent tout simplement l’espace public, qui ne leur appartient pas, à travers ces abris. Ces derniers ont une visibilité énorme, il est impossible d’y échapper. Et la tendance ne semble pas aller pas vers plus de sobriété. Des panneaux numériques, consommateurs d’énergie, disposent de plus en plus d’outils pour affûter le ciblage publicitaire.
En préparant cet entretien, nous avons appris que le mot ABRIBUS est, à l’origine, une marque déposée par JC. DECAUX. Dès le début, le mobilier urbain a été réfléchi comme une « marchandise ».
Effectivement. Il faut savoir qu’un autre choix était tout à fait envisageable. Gérer les abris voyageurs en régie directe par notre collectivité aurait permis de diffuser des messages d’informations provenant par exemple des 43 communes, de leurs partenaires ou bien de leurs associations. Et ainsi, en finir avec la publicité.
Et c’est possible. Vous en faites la preuve à Mordelles, puisque la publicité a été totalement bannie sur les domaines de compétence de la commune. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Lorsque le contrat avec JC. Decaux est arrivé à échéance, le bureau municipal a pris le temps, sur plusieurs semaines de la réflexion, de la discussion et de la concertation afin de comprendre tous les enjeux. Il a finalement été décidé de ne pas le renouveler.
Cette décision découle en partie d’une observation simple : les publicités affichées sur les panneaux disséminés à travers la ville véhiculaient des messages pour la plupart en totale contradiction avec nos valeurs environnementales, sociales et de santé publique.
Collectivement, nous avons donc ensemble entériné le principe que l’espace public appartient à toutes et tous, qu’il s’agit là d’un bien commun, au sens étymologique du terme. Par conséquent, il ne peut pas bénéficier au secteur marchand.
L’affichage publicitaire constitue une pollution visuelle manifeste. Les publicités nous sont imposées de manière incessante, et surtout, vous l’avez rappelé, Rennes Métropole ne « maîtrise » pas le contenu de ce qui est affiché sur l’espace public dont la métropole a la responsabilité.
En effet, les clauses contractuelles ne confèrent pas la possibilité d’exercer un contrôle total sur le type de publicités diffusées sur le territoire métropolitain. Nous n’avons aucun pouvoir décisionnel à cet égard ! Même la loi EVIN, à titre d’exemple, ne proscrit pas la publicité en faveur des boissons alcoolisées, elle se contente juste de la réglementer !
Afin d’étayer mes propos et de partager mes inquiétudes, j’ai pris l’initiative de mener une évaluation, et de prendre des photos des abribus avant les vacances de la Toussaint en 2022. En l’espace d’une semaine, seulement, j’ai pu répertorier pas moins de 8 variétés différentes de whisky, ainsi qu’une dizaine de marques de bières, de vins et de liqueurs. Je n’évoque même pas certaines campagnes publicitaires pour des parfums ou de la lingerie qui diffusent des représentations dégradantes et stéréotypées de la femme.
Ce qui a particulièrement retenu mon attention, c’est la concentration de la publicité pour des produits tels que l’alcool, la restauration rapide aux abords des lycées et collèges. Rien de surprenant, ce type de publicité reste le plus lucratif pour les annonceurs. D’autant plus que, grâce aux recherches dans le domaine des neurosciences et des sciences cognitives, nous savons que les jeunes sont plus réceptifs à ce genre de messages. Il n’y a donc pas de coïncidence.
Selon Matthieu Theurier, vice-président de la métropole en charge des Transports, la Métropole ne peut pas renoncer aux revenus générés par les abris voyageurs. Sans eux, les usagères et usagers du réseau STAR devraient assumer une hausse immédiate du coût des billets de transport. Sa phrase, prononcée au cours de la séance du conseil métropolitain du 22 juin nous a surpris. On la répète ici : « Si on n’a plus la publicité sur les abribus […] on fait le choix collectivement de dire qu’on a un ticket unitaire qui passe là, maintenant, à deux euros »
Les Transports occupent la première place parmi les postes de dépenses de Rennes Métropole. Les coûts d’investissement dépassent les 370 millions d’euros et des dépenses opérationnelles avoisinent les 160 millions d’euros. Les revenus des abribus s’élèvent à deux millions d’euros (1,2 million d’euros de bénéfices nets, et 800 000 euros d’économie pour l’entretien du mobilier). Mettre un terme à la publicité équivaut à renoncer à seulement 1 % de la somme totale allouée au budget des transports. Ce n’est pas grand-chose, et c’est tout à fait réalisable. D’autant plus qu’aujourd’hui, la métropole subventionne déjà deux tiers du prix du billet. (les voyageurs et voyageuses participent au fonctionnement des services STAR à hauteur de 37 %, soit 47 millions d’euros de recettes, NDLR).
Malgré un Règlement Local de Publicité Intercommunal exigeant, limitant de plus en plus la publicité – à tel point que des afficheurs régionaux s’en sont presqu’émus, très peu de voix sinon la votre se sont élevées contre cette décision. Au final, on ne compte que 5 voix « contre ».
Cela est d’autant plus surprenant que beaucoup d’élu·e·s sont venu·e·s me voir en fin de séance pour me dire que mes propos étaient tout à fait justes. Néanmoins, je ne suis pas naïf, le principe de réalité est ici prégnant.
Il est important de rappeler que d’ici à 2030, le déploiement des 4 futures lignes trambus va s’accompagner d’aménagement de station d’arrêt, donc de nouveaux espaces publicitaires.
Chaque nouvelle expansion du réseau, que ce soit par l’introduction de nouvelles lignes de bus ou de tramway, créera des occasions propices à l’installation de nouveaux abris, ouvrant ainsi la voie à davantage d’affichage publicitaire.
À présent, et suite à la décision de la métropole de faire appel à une entreprise délégataire, le véritable enjeu réside dans l’élaboration du cahier des charges le plus vertueux possible. J’ai bien sûr exprimé ma disponibilité à Matthieu Theurier pour contribuer à sa rédaction. Il est crucial de stipuler l’interdiction de l’usage des panneaux numériques, du rétro-éclairage, de la publicité pour l’alcool et la malbouffe sur l’ensemble du territoire métropolitain.
Avec un cahier des charges strict, il est possible que ni JC.DECAUX ni CLEAR CHANNEL ne soumissionnent à cet appel d’offres ?
Même en imposant des contraintes aussi fortes, il est probable que l’un des acteurs assume de candidater. Et tant pis, s’il en résulte une perte financière pour lui. Car ici, l’enjeu sera bien d’éviter d’établir un précédent qui pourrait faire « boule de neige » et donne des idées aux autres métropoles.
Merci !
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