A Mythos, on le sait : il y a autant d’habitués dans la programmation que dans les gradins. Cédric Gourmelon, metteur en scène breton et créateur de la compagnie Réseau Lilas, en fait partie. Pour cette édition de Mythos, le dramaturge et comédien a choisi de présenter sa nouvelle création : une adaptation théâtrale d’Au bord du gouffre, « journal intime » de David Wojnarowicz, artiste homosexuel du milieu underground new-yorkais des années 80. Une très belle découverte, un voyage outre-Atlantique trente ans en arrière … qui dépoussière une figure artistique du New-York de l’époque, méconnue du grand public.
Cédric Gourmelon, metteur en scène rennais, s’est attaqué à une œuvre colossale, non pas par sa taille mais par sa brutalité. Au bord du gouffre, c’est au départ un carnet tenu par David Wojnarowicz, photographe et écrivain de New-York dans les années 80. Si son nom est inconnu pour certains, l’environnement dans lequel il a évolué ne l’est désormais plus : homosexuel et drogué, l’artiste a fait face à une maladie inconnue de tous à l’époque, le SIDA dont il meurt en 1992 à l’âge de 37 ans. Voulu ou non, en présentant cette nouvelle création à Mythos, Gourmelon redonne un coup de projecteur sur cette infection sexuellement transmissible (IST), désormais délaissée -en tout cas, mise de côté- même parmi les homosexuels, comme l’explique le journaliste et co-fondateur d’Act up, Didier Lestrade sur Rue89 dans son papier « SIDA, pourquoi j’arrête ».
Mise en scène sobre et abordable
Sexualité, drogue, dégoût de vivre, enfance traumatisante, relation désastreuse avec son père et profonde solitude, voilà ce que raconte Wojnarowicz sur 300 pages. Comment réussir à adapter un livre qui traite de tous ces sujets sans tomber dans le pathos ? Comment transposer des gestes sur les maux ? Comment faire vivre ces mots percutants, bruts ? Pour cela, Cédric Gourmelon a fait le pari de la simplicité et à travers des musiques, des vidéos, des sourires, des silences, exprime plus qu’il ne dit vraiment. La pièce adopte une mise en scène sobre : une chaise, un micro, des tables à l’arrière. Presque intimiste.
La pièce de théâtre commence par une bande son. Le metteur en scène et comédien s’avance lentement, fumant une cigarette, laissant le temps à la fumée de créer un nuage opaque. Assis face au public, Cédric Gourmelon parle d’une voix posée et claire. Le «je» qu’il prononce n’est, bien entendu, pas lui mais l’artiste David Wojnarowicz. L’artiste qui n’aime pas les Etats-Unis, qui n’aime pas cette société de consommation et ne souhaite qu’une chose, la fuir comme il a fui son père mal dans sa peau, ainsi que ces maisons pavillonnaires trop lisses qui ne font que cacher la misère dont personne ne parle mais que tout le monde côtoie.
Au fur et à mesure que la pièce se déroule, le spectateur rentre de plus en plus dans l’univers morbide du personnage : une homosexualité presque refoulée, la prise de drogue à haute dose, une auto-destruction programmée malgré une envie de vivre qui se ressent jusqu’aux derniers instants. Les morceaux choisis par Cédric Gourmelon sont pertinents, ils retracent de façon compréhensible la vie du photographe, de son introspection -la relation avec son père, son enfance douloureuse- à la découverte de sa maladie incurable et sa haine contre les politiques et les médias qui prennent comme bouc émissaire les homosexuels séropositifs.
Cédric Gourmelon refait vivre Wojnarowicz pendant une heure
La performance de Gourmelon est saccadée, rapide -peut-être un peu trop dû au stress du début- pour donner vie à son personnage. Procédé efficace qui plonge le spectateur dans un univers peu connu, du moins délaissé : une jeunesse en perte de repères dans un pays qui ne les écoute pas, le SIDA aux Etats-Unis, les artistes des quartiers pauvres new-yorkais. Si cette adaptation n’est peut-être pas aussi écorchée vive que l’est Wojnarowicz, elle reste à portée de toutes et tous.
Le metteur en scène rennais a choisi de mettre en avant les mots plutôt que les émotions extrêmes. Ils sont nus, dépouillés pour n’en garder que l’essence première. Des scènes parlées s’entre-chassent avec des scènes gestuelles : des mouvements brusques, des tables renversées, des piétinements. Mais c’est le texte qui met une véritable claque au public. Cela donne envie d’en savoir plus sur cet artiste, de se renseigner sur ce qu’il a réalisé, et feuilleter plusieurs de ses livres comme Close to the knives – a memoir of desintegration (Au bord du gouffre) et Memories that smell like gazolin (Spirale). Le propre de l’adaptation théâtrale est de mettre en scène la littérature sous un jour nouveau : pari réussi pour cette nouvelle création de Gourmelon. Sous un œil bienveillant, il redonne vie au fantôme de Wojnarowicz oublié du grand public, dont on aurait peu ou pas eu l’occasion de découvrir sans cette pièce de théâtre. Mais lorsque la pièce se termine, il y a comme un goût de trop peu. A quand une autre adaptation de ses textes ?
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