Mansfield.TYA en interview : « Ca devait être une émission sur le diocèse. »

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Cette interview était avant. Une poignée de jours avant le 13 novembre, la soirée de la release party de Mansfield.TYA au Café de la Danse, à quelques rues de là où avait lieu l’indicible. Avant cette nuit d’angoisse, de larmes et de tristesse. Alors la publier tout de suite après aurait été étrange. Parce qu’il y est juste question d’un moment chouette, à bavarder tranquillement, de choses qu’on aime, d’une musique qui nous touche.

On le sait, à chaque fois en concert ou sur disque, c’est au tapis que les Mansfield.Tya nous collent. La faute à des disques à la beauté baroque et à la personnalité assumée. June en 2006, puis Seules au bout de 23 secondes en 2009, à la fois déglingués et lyriques, mélancoliques et violents, tendres et désespérés, nous avaient déjà bien entamés. On y avait souvent été remué par ces bouquets de nerfs offerts à fleur de peau, ces fleurs du mal tout autant vénéneuses qu’apaisantes. Nyx, du nom de la déesse de l’obscurité, leur troisième album (Vicious Circle, 2011) autour du thème de la nuit, angoissante et apaisante, déchirée et tendre, avait fini de saper totalement nos bases, fondant les univers de Julia Lanoë et Carla Pallone dans un équilibre magistral entre légèreté et pesanteur, humour et tendresse, obscurité et clarté.

Mansfield.TYA ┬® Erwan Fichou & The╠üo Mercier - 72DPIAutant l’avouer, les disques de Mansfield.Tya, c’est peu dire qu’on les attend. Heureusement, après les Re-Nyx et suivant la sortie en vinyle de leur premier album June sur le label Kshantu, une sublime tournée acoustique  revisitant leurs premiers opus (June donc, mais également l’ep Fuck) est passée par Rennes au printemps durant les Embellies, trompant (un peu) notre impatience. Il faut dire que tous ceux qui y ont assisté en sont sortis bien souvent éperdus d’amour pour la musique des deux jeunes femmes. Heureusement après ce coup à l’âme et au cœur (des coups des cœurs) à la Cité, Corpo Inferno est arrivé en septembre, sur le (toujours plus) indispensable label bordelais Vicious Circle.

Toujours construit autour du violon et des voix, ce nouvel album fait la part belle à la production dans la continuité de Nyx (à l’inverse des deux premiers albums davantage composés à la guitare et au piano –mais déjà autour des éléments centraux voix/violon), mais au contraire de Nyx, ne repose pas sur un thème concept, et cela sans perdre en cohérence pour autant. « Pour Nyx, ce fil conducteur et ce discours nous ont vraiment aidées à nous rassembler et à construire l’album. Là, j’ai l’impression que c’est vraiment homogène au niveau musical. Par conséquent, il n’y avait pas besoin de plaquer un thème, de faire correspondre une idée au niveau du propos » nous expliquait Carla Pallone en mars dernier.

On serait tenter d’affirmer que de toute façon, les Mansfield s’appliquent surtout, disque après disque, concert après concert, à tracer, découvrir, voire creuser et affirmer un propos, une recherche et une cohérence éminemment personnels. Carla Pallone et Julia Lanoë ne se contentent pas de juxtaposer les contraires, non. Elles les frottent, les habitent, se jouent du noir (Nyx), du blanc (Corpo Inferno), changent constamment de registre, des rires à l’angoisse, de la mélancolie au désespoir, de la violence à la douceur, telles leurs mains – l’une crispée et l’autre tendre (voir le sublime artwork réalisé par Théo Mercier et Erwan Fichou qui parvient tant à dire des Mansfield en une seule image). Julia et Carla sont même les deux bourriques qui nous ont fait racheter les Contemplations qu’on avait viré bas de nos étagères. Que veux-tu que je devienne si je n’entends plus ton pas ? répètent leurs deux voix tandis qu’on vacille de l’intérieur.

Et puis il y a le morceau avec Shannon Wright, que les Mansfield.TYA, comme nous, aiment d’amour depuis très longtemps. Le seul titre en anglais, sur ce disque qu’elles ont pour la première fois complètement écrit dans la langue dans laquelle on rêve. Loup Noir. Sur lequel, on entend, bouleversé, les voix de Shannon et Julia se mêler pour la première fois dans l’écrin de cordes sensibles de Carla. On en frissonne d’abord longuement. Puis on sombre, profond, dans les méandres de ce morceau beau à se pendre. Au final, un disque, surtout, qui n’en finit pas de se révéler. Le live version stratosphérique qu’on découvrira le soir même en ouvrira même encore de nouvelles voix d’accès. Juste avant, rencontre.

 

2015-11-ITW-MANSFIELD_TYA-alter1fo 22Alter1fo : Vous nous avez fait le plaisir de venir à Rennes pour June sur le sold out tour (rires) Quelques mois ont passé. En quelques mots, quels retours faites-vous sur cette tournée acoustique ?

Julia Lanoë de Mansfield.TYA : Refaire nos morceaux tout en acoustique était une super expérience. Tout comme les salles, les publics, les gens qui nous accueillaient. C’était un moment privilégié pour retrouver ceux qui nous suivent depuis longtemps justement. Pour être plus proche des gens. C’était aussi super agréable de rejouer les vieux morceaux.

Refaire tout en acoustique, vous avez trouvé ça bien, ou ça vous a donné carrément envie de faire autre chose ?

Carla Pallone de Mansfield.TYA : Oui, c’était vraiment bien. Mais de toute façon, c’était assez dur de s’éloigner complètement de l’acoustique dans des salles comme celles-là. Ça ne se serait pas prêté à autre chose. C’était vraiment précieux d’avoir cette possibilité d’être parmi les gens, d’avoir un contact vraiment riche.

Julia : C’est vrai qu’ensuite, reprendre le boulot pour la tournée de Corpo Inferno, alors qu’on revenait d’un truc vraiment minimal avec très peu d’instruments a fait qu’on s’est senties un peu perdues au début.

Carla : … mais je ne pense pas qu’il faille essayer de refaire la même chose. Parce qu’on n’est pas dans les mêmes conditions.

Ce qui nous a justement particulièrement touchées c’est que les programmateurs aient joué le jeu de nous inviter dans des salles comme celles-ci.

Depuis la tournée pour la réédition de June au printemps-hiver dernier, vous avez sorti un nouvel album. Pour Corpo Inferno, vous avez enregistré à St Brévin mais vous êtes aussi allées au studio Shelter. A quel moment ça s’est passé et c’était pour y faire quoi ?

Julia : On n’est pas vraiment allées au studio Shelter. On a bossé avec eux là où nous, on avait nos limites.

C’est-à-dire qu’on enregistre nous-mêmes, on pré-mixe et puis on fait les arrangements. Mais il y a un moment où en terme de matos, on est aussi bloquées. Du coup, on a envoyé nos fichiers au studio Shelter. Ils ont de beaux synthés vintage, de beaux instruments que nous n’avons pas. Et ils ont rebossé ce qu’on avait fait avec leur son. La collaboration était davantage dans ce sens-là. Un échange.

Carla : On avait tout écrit, tous les arrangements. Mais ils nous ont aidées à dépasser l’obstacle technique.

2015-11-ITW-MANSFIELD_TYA-alter1fo 16L’album s’appelle Corpo Inferno [s’ensuit une discussion pour savoir ce qui vient du latin, ce qui vient de l’italien : on tombe d’accord sur moitié-moitié]…

 (Rires) Carla : Ce n’est rien en fait.

Julia : C’est bâtard.

Comment l’avez-vous trouvé ?

Julia : C’est Carla qui me cherchait une idée de tatoo.

Carla : Je crois que j’écoutais France Cul. (Rires)

Julia : Ça n’a pas été plus loin.

Carla (poursuit) : Ça devait être une émission sur le diocèse.

Julia (se tourne d’un coup vers Carla) : Super ! Tu m’as tatoué un truc en écoutant une émission sur le diocèse (explosion de rires générale). Super, merci ! C’est définitif, je te rappelle. (Rires)

Le titre va vraiment bien avec l’album mais il ne se rapporte pas à un morceau en particulier comme Seules au bout de 23 secondes par exemple. Pourquoi l’avez-vous choisi ?

Julia : Comme ça.

Carla : Oui, on trouvait qu’il allait bien avec l’album et que justement il rassemblait tous les titres. C’est vraiment en lien avec l’ensemble des morceaux.

Julia : … On galère à expliquer le nom de cet album parce que ça s’est imposé.

Tout le disque est en français (même Shannon dit Loup Noir en français). C’est la première fois…

Julia : Oui, c’était le moment. On avait plus de trucs à raconter en français. Je crois que c’est plus fun pour moi d’écrire en français en ce moment. Après il y a aussi d’autres gens qui ont écrit sur l’album, donc…

Carla : Il y a Jérémie Grandsenne et Julie Redon qui ont participé à l’écriture, et puis Shannon donc, qui a écrit Loup Noir avec nous.

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Julia (s’écrie) : Et qui a tenté le français quand même ! [elle chante avec l’accent américain de Shannon] « Loup noir, loup noir » (rires).

Carla : Oui, on a mis longtemps…

Julia : On a mis longtemps à comprendre ce qu’elle disait. (Rires)

Carla : Mais du coup on a la primeur du premier morceau en français chanté par Shannon.

C’est juste la classe… Vous avez donc invité Jérémie Grandsenne et Julie Redon à écrire des textes pour l’album. Comment ça se passe pour ces collaborations ? C’est sur le moment : ils sont là et vous en profitez ? Ils vous donnent des textes à l’avance et vous composez à partir de là ? Vous leur donnez un thème ? Comment ça s’articule ?

Julia : On est allé chercher Jérémie. On aimait bien son travail plastique. C’est un plasticien. Il n’écrit pas énormément. Enfin, il écrit plutôt sur des blogs et sur le cinéma.

Carla : On aime bien demander aux gens qui sont plasticiens des textes, ou aux violonistes de chanter, ou… (rires) et vice-versa.

Julia : On aime bien leur demander quelque chose à contrepied. Pour Jérémie, on est allé le rencontrer parce qu’on aimait son travail. On lui a donc commandé des textes. Il nous en a donné cinq et on en a utilisé deux [La fin des temps et B.B.]. Quant à Julie Redon, on a encore pillé son … œuvre (rires) et son talent…

Carla : …et son talent global.

2015-11-ITW-MANSFIELD_TYA-alter1fo 29Vous leur donnez des thèmes en amont ?

Carla : Non, ce sont eux qui nous donnent ces textes-là en particulier. En tout cas plusieurs textes et après on arrive ou pas à… Le texte de Jérémie Grandsenne par exemple, était plus long au départ.

Julia : Oui, on a sacrément tranché.

Carla : Ça évolue beaucoup en fonction de la musique. C’est vraiment interdépendant.

Julia : … Et il ne disait pas B.B. non plus. (Rires). On l’a rajouté.

Comment vous est venue l’idée de Der Tod und das Mädchen ?

Julia : Je ne sais pas trop en fait. (Rires) J’avais envie de faire croire à Carla que je pouvais faire des trucs classiques (elles rient ensemble) avec un petit synthé. Je crois que c’est parti de là. Et puis c’était une espèce de défi aussi parce qu’il y a un truc de Schubert et un truc de Bach mélangés.

Carla : C’est pour ça qu’on l’a mis en allemand.

Julia : Le morceau, au début, on l’avait appelé Schubach. (Rires)

Vos morceaux changent souvent de nom ?

Julia et Carla en chœur acquiescent : Oui, souvent. Après on ne sait plus les noms.

Julia (à Carla en riant) : Tu m’engueules toujours : « Mais non, ce n’est pas ce nom-là ! » (A nous) Je ne sais toujours pas les noms. Je les mélange tous.

Carla (hilare) : C’est vrai que je t’engueule. Tu es martyrisée.

Julia : Oui, tu me tapes aussi des fois (rires) ! Et puis les noms, ils sont tout le temps dans la même veine « La fin du monde » , « Les contemplations », « La fin des temps »… (rires) C’est toujours l’horreur et la misère donc je les confonds tous.

Carla : Et puis en général, c’est moi qui fais les titres et tu me dis (de la voix du petit chaperon rouge entendant sans écouter vraiment les recommandations de sa mère) « oui, oui » … (Rires)

Julia : C’est pour ça aussi que je les appelle toujours mal !

2015-11-ITW-MANSFIELD_TYA-alter1fo 37Justement comment avez-vous choisi l’ordre des titres sur le disque ?

Julia : C’est plus Carla qui est la chef de l’ordre des morceaux. (éclat de rire général)

Moi en fait, je prendrais itunes, ça me ferait un truc aléatoire et je dirais « ok » ! (Rires) Ça me fatigue. Moi j’aime plus raconter des histoires…

Carla : J’ai écouté, écouté, écouté. J’ai essayé plein d’enchaînements. Souvent au début, je me disais que ça marchait vraiment… Mais il y avait toujours un morceau… Ça bloquait toujours à la fin !

Julia : C’est un casse-tête chinois !

Carla : On a donc décidé d’assumer les contrastes. On était contentes d’avoir réussi à enrichir ce côté-là, d’être toujours fidèle aux extrêmes. Et peut-être que le fait d’avoir plus de moyens nous a permis de réussir à être plus d’un côté et de l’autre. C’est comme ça qu’on passe de Loup Noir [le slow pour le quart d’heure américain] à Palais Noir [gabber mansfieldien] sur le disque.

Exactement ! Les Contemplations t’ont bien plombé, tu t’es fait vrillé par le duo déchirant avec Shannon et là tu te prends la mandale Palais Noir(Rires)

Julia : J’ajoute que pour ceux qui n’aiment pas trop la pop il est possible de commencer le disque directement par la deux. (Rire général). Ce qui est important.

Mansfield.TYA @ Antipode MJC - Photo : Caro - alter1fo.com

Justement parlons de cette histoire de Loup Noir, de loup blanc et de cerbère…

Julia : Justement, oui, on a un problème avec les animaux. (Rires)

Carla : Pour le coup, je n’avais pas remarqué Loup Noir/ Loup blanc. J’avais remarqué Loup Noir/ Palais Noir.

Julia : Oui, mais c’est parce qu’on n’a pas écrit Loup Noir. C’est Shannon qui a écrit Loup Noir. Nous on avait écrit « loup blanc », mais on n’a pas réalisé tout de suite.

Et puis cerbère, c’était l’album d’avant donc ça ne compte pas.

22840457106_c07b46b902_bLe cerbère du palais où mes jours je finirai…

Julia : Ah oui c’est vrai !

Carla : Cerbère, moi j’adore. J’aurais bien aimé appeler Vacarme [l’un des autres projets de Carla, trio de cordes avec Gaspar Claus et Christelle Lassort qui faisait la première partie de Rone à l’Olympia quelques jours avant l’interview] Cerbère. Mais ils n’ont pas voulu.

Julia : Ah oui !

C’est un animal qui revient fréquemment.

Carla : On aime bien la mythologie aussi.

Julia : … et on aime bien que quelqu’un garde la porte des Enfers.

Carla : Au cas où. (Rires)

Julia : C’est rassurant.

Justement, en parlant de mythologie, je ne sais pas du tout si vous y avez pensé, mais dans Jamais Jamais, est-ce que vous aviez l’image de Niobé transformée en rocher qui pleure ? [Fille de Tantale, Niobé voit ses enfants tués sous ses yeux (on elle a un peu péché par hybris avant, il faut dire). En entendant leur agonie, elle est comme pétrifiée. Prise en pitié par Zeus, elle est alors transformée en rocher… qui pleure]

Julia : Ah, non… On n’y a pas pensé. (Emballée) C’est bien ! En fait j’ai l’impression qu’avec les interviews et les rencontres on finit par analyser ce qu’on a fait. On est un peu sur le divan. (Rires)

Carla : On continue à découvrir. Merci.

Pourquoi fuir en Allemagne ?

Carla : Ça rimait avec montagne (rires). Tout simplement.

Julia : Euuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuhhhhhhhhhhh…. Je ne sais pas. Pas de réponse. (Rires)

Carla (se tourne vers Julia et lui parle dans le micro) : Ça ne vient pas de quand Marion est partie en Allemagne ?

Julia : Peut-être. J’ai pensé aussi à ça naturellement, mais je ne crois pas.

Carla (explique) : Mon ancienne coloc, Marion qui est sérigraphe.

Julia (goguenarde, à Carla) : Tu me fais rire quand tu me parles dans le micro. (Rires)

Carla : Elle est partie en Allemagne.

Julia : Super vraiment ! Tout ça pour dire ça ! Ben bravo ! (Hilarité générale à nouveau).

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Je suis désolée, il faut qu’on parle de Shannon.

Julia : On n’est pas désolées, au contraire.

Carla : On est contentes.

Julia, tu as chanté avec elle sur le projet Valparaiso…

Julia : Oui, on s’est rencontrées davantage là-bas. Enfin, ça fait longtemps qu’on se croise, qu’on joue parfois ensemble par ci par là, via le label [Vicious Circle sur lequel sortent les disques de Shannon Wright et Mansfield.TYA] puis via des amis communs. Sur Valparaiso on était invités à jouer chez John Parish. Du coup on a vraiment bien ricané…. Je sais que c’est dur à croire (rires) parce que tout le monde fait de la musique hyper sombre. Et en fin de compte, tout le monde ricane !

Et puis elle nous avait aussi prêté le Wurli [tzer]

2015-11-ITW-MANSFIELD_TYA-alter1fo 31Carla : pour la tournée de June.

Julia : Et puis de fil en aiguille… En fait, on n’arrive pas à savoir qui a proposé ce morceau ! On avait envie de faire un truc ensemble.

Carla : On lui a proposé plusieurs choses, plusieurs bases, dont celle de Loup Noir qui était au Wurlitzer au départ. Nous on s’était vraiment dit « cette base, c’est trop Shannon ! » …

Julia : D’ailleurs je pense qu’on ne l’aurait pas utilisée pour nous, ça sonnait trop Shannon Wright. Donc on la lui a envoyée ! (Rires)

Carla : Au départ, on se doutait qu’elle prendrait ça. Et en même temps, on pensait que c’était peut-être trop évident.

Finalement, j’ai été vraiment touchée parce que je trouve qu’elle aussi a été vers nous dans son chant. Donc c’était un bel échange.

Julia : C’est assez cool qu’on fasse des choses ensemble. Je me rappelle du début lorsqu’on faisait de la musique : j’avais trop peur de jouer avec Shannon Wright !

Justement, quand on entend vos deux voix ensemble sur Loup Noir, quand on pense au fait d’enregistrer… Je ne sais pas comment tu vis les choses, mais il y a de quoi être pétrifiée…

Julia : Avant, j’avais un peu plus peur. Maintenant, j’ai moins peur d’elle. Quoique… (rires) Non, non, elle est très cool.

Carla : Non, on n’a pas peur d’elle. C’est plus qu’elle est très impressionnante, dans son charisme.

Julia : Beaucoup de charisme, beaucoup de talent. Du coup c’était vraiment hyper chouette que ça finisse par faire un morceau.

C’est un peu le rêve, on nous aurait dit les Mansfield et Shannon ensemble, on aurait signé tout de suite. (Rires)

Carla : Bon ça va, on ne t’a pas déçue.

Shannon Wright - Photo Caro Alter1foJustement, en fin d’une interview avec Shannon, on parlait des Renyx. Elle ne savait pas si vous appréciiez le Renyx qu’elle avait fait. Elle était inquiète. On lui avait qu’on ne pouvait pas répondre pour vous, mais qu’en interview, vous nous aviez dit que vous le trouviez classe, que vous étiez contentes.

Carla : Ah oui !

On commence à poser la question suivante. Julia continue à penser :

Julia : Il est super son renyx. Je l’adore !

Carla : Il faut qu’on lui dise. (Rires)

Je sais que vous appréciez toutes les deux le travail d’Hildur [on laisse Julia prononcer] Guðnadóttir Est ce que c’est quelque chose que vous aimeriez travailler dans le futur, la matière du son, la résonnance ?

Carla : Je trouve aussi qu’elle fait beaucoup de choses sur des rythmiques assez originales, enfin… Impaires.

Julia : j’ai cru que tu allais dire R’nB ! (Rires)

Carla : Je ne connais pas bien la musique islandaise. Je ne sais pas dans quelle mesure ça a un lien, mais j’aime beaucoup les rythmiques. Ça m’intéresse beaucoup. Parfois, même je ne trouve pas : est-ce que c’est à cinq temps ? à sept temps ?

Julia : C’est vrai que quand tu parles de matière sonore… On aime bien expérimenter. Là on nous a peut-être proposé un truc pour faire un reportage radio. Euh, comment on appelle ça ?

Carla : Un documentaire sonore.

Julia : Et ça me branche bien. J’aime bien ces bidules-là. Je pense que ça peut être intéressant de faire un truc un peu bâtard entre de la musique, de la radio, de la poésie… Je ne sais pas encore.

Ça va vous aller très bien… J’aime beaucoup l’artwork de l’album. Vous avez expliqué que le choix de la statue comme troisième personnage représentait l’entité qui se crée quand vous travaillez à deux. Carla, tu faisais le parallèle avec le baroque, la troisième note qui naît de la résonnance de deux notes différentes. Est-ce que vos mains à la fois tendres et crispées, voire angoissantes, c’était aussi volontaire ?

Carla : Moi j’aime bien ce côté-là. C’est ce que je préfère.

Julia : On ne l’a pas fait volontairement, mais je soupçonne le photographe [Erwann Fichou] et Théo [Mercier] d’avoir vu. Rien ne leur échappe à ces deux-là !

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Le blanc, c’est vous, ou ce sont Théo Mercier et Erwann Fichou qui l’ont choisi ?

Julia : Non, ils ont tout choisi. On était leurs esclaves. (Rires) On a donné des lignes directrices : on voulait quelque chose d’assez minimal, d’assez sobre. Et un peu classieux.

Carla : Et puis on aimait bien cette idée monochrome en tout cas.

Julia : Et cette idée de pierre. On était parties sur l’idée de pierres tombales, de catalogues de pierres funéraires…

Carla : Sur la matière. Et comme Théo est sculpteur…

Julia, je suis désolée, il faut que je te pose la question. Carla nous avait dit un jour que tu composais de la musique en ayant l’impression de faire de la peinture. Et je t’ai lu le dire plein de fois. Tu peux nous expliquer ?

2015-11-ITW-MANSFIELD_TYA-alter1fo 9Julia : Je ne sais pas.

Carla : C’est comme Beethov’.

Julia (hilare et incrédule) : genre le truc hyper pédant.

Carla : Mais cette carte postale….

Julia : Ah oui, c’est un truc comique…

Mais tiré de son contexte…

Je ne sais pas.

Parce qu’on fait de la musique imagée.

Parce que je suis une peintre ratée. Parce que… je ne sais pas.

Je dis ça aussi parce que c’est un pied de nez. Quand on va aux Beaux-Arts, on se dit à soi-même qu’on va finir peintre. Au final, j’ai un peu échoué. Je suis musicienne. Mais je suis très contente d’avoir échoué (rires).

Carla : Si je peux me permettre, je trouve que c’est l’inverse, que ça a du sens. Parce que moi, par exemple, je suis arrivée à la musique à travers le violon. Et j’ai l’impression que toi, peu importe le support, le médium, il y a une expression qui s’impose.

Julia : Oui, il fallait un moyen d’expression. Bon, voilà.

Irwin Barbé a réalisé un clip sur Les Contemplations ? Comment ça s’est passé ? C’est lui tout seul qui a monté les choses ? Vous êtes intervenues ?

Julia : Oui, c’est lui tout seul.

Carla : En fait, on aime bien choisir des collaborateurs, mais ensuite leur faire confiance.

Julia : On ne lui pas imposé de morceau. Il a choisi le titre, il a choisi ce qu’il voulait raconter. Le résultat marche bien avec notre musique et ce qu’il a proposé m’a beaucoup plu.

J’ai entendu beaucoup de commentaires disant que dans Corpo Inferno, on entendait beaucoup de Sexy Sushi. Personnellement, je ne pense pas. Je crois que c’est plutôt un rapprochement que certains font à cause de l’utilisation de la production…

Carla : Il va falloir que je fasse un démenti, parce que c’est la troisième fois qu’on nous le dit.

Julia : En fait Carla, c’est Mitch (rires).

Justement, dans une interview, Julia tu disais un truc très chouette « En fait, on a toujours aimé ça, travailler les extrêmes. La douceur doit être très douce, les dérapages très intenses. Moins que dans Sexy Sushi, c’est sûr, mais quand même. Il y a une part importante liée à Carla là-dedans, je suis une seule et même personne dans les deux groupes, mais elle me fait être différente. »

Julia : Carrément. C’est totalement ça. C’est juste que je ne peux pas du tout faire la même musique dans un projet et dans l’autre. Évidemment, c’est la même voix et certains textes résonnent de la même manière, mais le fait de bosser avec Carla ou de bosser avec quelqu’un d’autre, ça ne peut pas donner les mêmes choses.

C’est pour ça aussi que je trouve que dans les groupes, lorsqu’un des membres du groupe s’en va, on ne devrait plus avoir le droit d’appeler le groupe de la même manière. Parce que même si c’est un bassiste, un batteur, l’âme du groupe, c’est tous les membres du groupe. A partir du moment où ça change, ça va créer quelque chose de complètement différent.

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Carla : Et puis il y a ce truc vraiment important pour nous, qu’on cherche toujours à expérimenter. On a ce studio, cela devient davantage un laboratoire. Oui, dans Sexy Sushi, il y a ce côté techno. Mais je n’ai pas le couteau sur la gorge.

Julia (s’exclame en riant et crie) : Tu vas faire de la techno !

Carla : C’est vraiment intéressant. Au contraire ! C’est comme si, de fait, il y avait toute une part de musique censurée parce que ça, ce serait Sexy Sushi.

Julia : Oui !

Carla : A l’inverse, je trouve que si c’était le cas, ce serait dommage !

Tout à fait.

Julia : Et puis je ne trouve pas que ce soit si ressemblant que ça personnellement. Mais je n’ai peut-être pas bien écouté (rires).

Il me semble que c’est plus un raccourci, rapide, que tu peux faire quand tu écoutes très vite, à cause de la production. Mais si tu écoutes tous les albums de Mansfield.TYA, la progression et l’évolution te semblent tout à fait évidente pour arriver à Corpo Inferno. C’est avant tout du Mansfield.TYA.

Julia : Oui, je pense qu’il y a une suite logique dans tous nos albums. Ce n’est pas choquant. Corpo Inferno est l’étape… Je m’attendais à un album comme celui-là pour la suite de mon côté…

Carla : En tout cas, on ne veut pas accepter de territoire gardé. On est curieuses.

C’est justement ce qui est chouette dans le fait de vous suivre au fil du temps.

[On ne l’avait pas entendu le jour-même, on le découvre sur la bande : Carla chuchote un chouette « merci » sincère]

Mansfield.TYA @ Antipode MJC - Photo : Caro - alter1fo.com

La question que…. Un énorme fracas de verre retentit. Le lighteux des Mansfield est entré discrètement et a essayé d’ouvrir le réfrigérateur le plus doucement possible pour ne pas troubler l’interview. C’est complètement raté : toutes les bouteilles de verre s’entrechoquent dans un raffut épouvantable. Après la quinte de rires qui s’en suit, on recommence. Enfin, on essaie puisqu’en ouvrant le réfrigérateur-pandore, l’odeur pestilentielle d’un fromage bien fait -désespérément enfermé en début d’interview- emplit la petite loge.

On reprend. Quelle question aimeriez-vous qu’on vous pose et qu’on ne vous pose jamais ?

 Julia (emballée) : C’est hyper dur.

Carla : Moi j’aime bien quand on ne nous demande pas d’où vient notre nom. Mais bon, je ne réponds pas trop à la question.

Julia (tente de réfléchir intensément) :…

Carla : Pourquoi pas : est-ce que tu veux une bière ? (Rires)

Julia : Je n’ai pas d’idée. Je vais y réfléchir. Il faut que je cherche un peu. C’est balèze. Mais c’est bien. Un beau défi…

Vos lives (même si on ne sait pas encore comment ça va être ce soir) sont souvent plutôt minimalistes dans le sens ou c’est vraiment une mise à nu sur scène. Comment vous vivez ça ?

Carla : Déjà, finalement, on est toujours toutes les deux. (Rires)

Julia : C’est plaisant de faire ça. Il y a une prise de risque. Quand il n’y plus qu’un instrument et une voix, une toute petite erreur oblige à se rattraper. On n’est pas protégées derrière une masse de sons. Ça me plait.

Carla : Je pense aussi que maintenant on joue aussi ensemble depuis un certain temps, donc il y a vraiment une complicité. Et puis une solidité, aussi.

Julia : Oui, on sait à peu près…

Carla : … ce qui se dégage de ça.

2015-11-Concert-MANSFIELD_TYA-alter1fo - photo Caro

Pour finir, en plus de la tournée, quels sont vos projets ?

Julia : Là, on est parties pour un an de tournée avec Corpo Inferno. Au moins jusqu’à septembre prochain.

Carla : Et puis il y a quinze jours à Strasbourg c’était la première de Marzevan de Vergine Keaton Dont on a fait la bo, c’est un court-métrage d’animation [dont on avait parlé avec Carla lors de la précédente interview là]

Julia : On va faire aussi un truc qui s’appelle Winter Camp. C’est autour d’un artiste qui s’appelle Gaspar Claus

Que Carla ne connaît pas du tout (rires) [Gaspar Claus est l’un des deux comparses de Carla dans Vacarme]

Que Carla connaît un tout petit peu. (Rires) Il a invité plein de gens.

Carla : C’est le festival Winter Camp qui a donné carte blanche à Gaspar pour une création. Il nous a donc invité avec plein d’autres gens, des rappers, notre copine Léonie Perret [avec qui les filles ont joué au centre Pompidou en septembre et qu’on avait notamment vu derrière les fûts pour la release party de Nyx à la Cigale], avec des gars d’Anticon, donc, et d’Efterklang.

(On siffle d’envie) C’est du lourd !

Carla : Oui c’est un bon casting !

Julia : On va refaire des morceaux de chacun en live. Enfin, je crois. En fait, je ne sais pas trop encore ce qu’on va faire. (Rires) Je pense que ça va être bien… [Malheureusement, les deux dates sont annulées]

Carla : Et puis on a la fin de cette première partie de tournée jusqu’en décembre, mais au printemps, on souhaiterait revenir avec un nouveau live, ou à moitié nouveau live.

Paris la semaine prochaine…

Julia : Oui, carrément, notre release party le 13 novembre au Café de la Danse. Après on rejouera à la Cigale au printemps.

Carla : le 21 avril.

Et pour nous, une date avec Shannon ?

Julia : On a invité Shannon à se joindre à nous sur n’importe quelle date.

Carla : Quand elle veut…

Julia : Si elle vient en France, j’espère que ça lui plairait de faire Loup Noir avec nous.

On ne peut cacher notre immense sourire.

Julia nous demande : Ce serait top ? (On acquiesce) Ce qui serait top c’est que ce soit dans le coin, pas à Strasbourg. (Rires)

(On avoue) Tant que ce n’est pas un jour de boulot, c’est jouable…

Un grand merci à toutes les deux.

Carla et Julia : Merci !!


Photos interview, Prise de son, Photos live de Shannon Wright : Caro – Photo live de Mansfield.TYA : Caro, Mr B

Crédits photo artwork Corpo Inferno : Théo Mercier / Erwan Fichou – Clip Les Contemplations: Irwin Barbé – Clip : La nuit tombe : As Human Pattern

Comme toujours un immense merci aux Mansfield.TYA pour leur disponibilité, ainsi qu’à Maud, Guillaume, Nico et Mélia pour avoir aidé à caler tout ça.


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Prochaines dates de concerts :

16 Déc. • POITIERS, Le Confort Moderne
17 Déc. • LIMOGES, La Fourmi
19 Déc. • AURAY, Les Nuits Soniques
4 Mar. • CANTELEU, Espace Culturel François Mitterand
5 Mar. • ARRAS, Théâtre d’Arras
24 Mar. • TOURS, Le Temps Machine
25 Mar. • ORLÉANS, L’Astrolabe
26 Mar. • CAEN, Le Cargo
31 Mar. • ALLONNES, L’Excelsior
9 Avr. • QUIMPER, Le Novomax
21 Avr. • PARIS, La Cigale
30 Avr. • BRUXELLES, L’Atelier
20 Mai. • BIARRITZ, Atabal
21 Mai • PAU, La Route du Son
14 Jui. • CARHAIX, Festival Les Vieilles Charrues

 


 

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