Juste avant la dérouillée émotionnelle démentielle que les Mansfield.TYA ont infligée à une salle de la Cité comble (et infiniment comblée) pendant les Embellies le 3 mars dernier (compte-rendu là), nous mesurons notre chance de retrouver le duo pour une interview, en courant certes, mais qui va nous permettre d’en savoir un peu plus sur la ré-édition de June et le prochain album des deux jeunes femmes à venir à l’automne. Entre autres.
Les Embellies commençaient en effet rien de moins que par le Graal ce mardi 3 mars à la Salle de la Cité avec le duo Mansfield.TYA. Julia Lanoë (voix, claviers, guitare, batterie et sushis explosifs) et Carla Pallone (violon, guitare, claviers et Vacarme de cordes à se damner) venaient y présenter leur premier album… sorti en 2005. La tournée June, Ten years after accompagne en effet la réédition du premier long format de l’émouvant et facétieux duo, June. On ne vous cachera pas notre joie de retrouver les Mansfield.TYA en live et en interview ce mardi ensoleillé, tant on aime d’amour la musique des deux jeunes femmes.
La faute à des disques à la beauté baroque et à la personnalité assumée. June en 2006, puis Seules au bout de 23 secondes en 2009, à la fois déglingués et lyriques, mélancoliques et violents, tendres et désespérés, nous avaient déjà bien entamés. On y avait souvent été remué par ces bouquets de nerfs offerts à fleurs de peau, ces fleurs du mal tout autant vénéneuses qu’apaisantes. Nyx, du nom de la déesse de l’obscurité, leur troisième album (Vicious Circle, 2011) autour du thème de la nuit, angoissante et apaisante, déchirée et tendre, a fini de saper totalement nos bases, fondant les univers de Julia Lanoé et Carla Pallone dans un équilibre magistral entre légèreté et pesanteur, humour et tendresse, obscurité et clarté. La faute aussi à des prestations intenses et belles, toujours justes, entre moments qui serrent la gorge et rires irrésistibles. Le concert des Embellies ne faillira pas à la règle et les deux jeunes femmes infligeront une dérouillée émotionnelle démentielle à une salle de la Cité comble (et infiniment comblée) entre sensibilité à fleur de peau et éclats de rire pleins de complicité [compte-rendu là].
Avant cela et pour cause d’émission avec les copains de Canal B juste avant, d’embouteillages rennais les empêchant de rejoindre la Salle de la Cité aux horaires prévus, les Mansfield.TYA arrivent aussi vite qu’elles le peuvent mais pas suffisamment pour se permettre de faire interview et balances sereinement. On coupe la poire en deux : Julia file commencer à installer le matos, tandis que Carla se voit accorder 10 minutes top chrono pour nous suivre dans une loge à l’odeur, heu, étonnante et dont le carrelage blanc sur les murs rappelle davantage la déco hospitalière que la sueur et le rock’n roll. Soit.
On branche donc les micros à la vitesse du son et on essaie de condenser nos questions pour faire perdre le moins de temps possible aux jeunes femmes. Malgré le timing hyper serré, Carla, toujours disponible et souriante, se prête au jeu volontiers, avant d’avaler de nouveau la volée de marches dans l’autre sens à toute vitesse, le violon sur l’épaule (tandis que Julia est déjà en train de dérouler câbles et autres micros sur la scène circulaire).
Alter1fo : Votre premier album paru en 2005 vient de ressortir en format vinyle pour ses dix ans alors qu’il était épuisé. Est-ce que c’est une envie que vous aviez au départ ? Est-ce que c’est plutôt Kshantu qui est venu vous voir avec cette envie-là ?
Carla Pallone de Mansfield.TYA : C’était plus une proposition du label, ce qui nous a fort enchanté. L’idée était de faire une réédition en vinyle puisque cet album n’était pas sorti en vinyle, et qu’il est épuisé depuis longtemps.
Ensuite, ça vient de nous cette idée : quitte à sortir un disque, on le joue.
Est-ce que vous le jouez en entier ou en partie ?
En fait, on a hésité à faire une réédition vraiment fidèle de l’album tel qu’il est sorti en 2005. On s’est demandé « est-ce qu’on les remet toutes ? » par exemple. Mais bon, c’est une réédition, donc je pense que c’était bien de jouer le jeu.
(Incrédule) Vous avez vraiment hésité à enlever des morceaux ?
Oui, parce qu’en fait il y a June et le ep Fuck. On s’est demandé pourquoi ne pas faire un mix des deux, parce qu’ils allaient vraiment ensemble. C’était vraiment dans le même esprit. Donc c’était plutôt cette question-là, se demander si on voulait renouveler les choses ou pas.
Après, on s’est fait plaisir sur la pochette.
Justement, est-ce que tu peux nous parler de Benjamin Boré et de l’imprimerie Trace qui l’ont réalisée ?
On est hyper contentes d’avoir travaillé avec les uns et les autres. Trace s’est occupé du gaufrage sur le recto. Et puis on avait envie de travailler avec Benjamin Boré pour la sérigraphie. Sur le verso, le carton blanc est dans une pochette plastique sur laquelle les titres sont écrits en blanc. Par conséquent, on ne les voit pas forcément immédiatement. Mais cela fait un bel effet d’ombre sur le carton qu’on aime bien.
Et un vinyle tout blanc.
C’est ça, c’est notre white album.
Après Nyx tout noir, voilà le tout blanc. (rires)
Pour cette ré-édition, la tournée Mansfield T(en)Y(ears)A(fter) commence super bien, il y a plein de dates complètes dont ce soir à Rennes.
Oui, ça fait trop plaisir !
Comment est venue l’idée de faire la tournée acoustique ?
C’était l’idée d’être fidèle à cet album. Tu me demandais tout à l’heure si on le rejouait vraiment. Oui ! Mais on l’a pas mal revisité.
Il y a des morceaux qui sont identiques, mais il y en a aussi qu’on a retravaillés, puisque on a quand même changé depuis ! On est là à se dire : « Mais !? Il est déjà fini ce morceau ?! » (rires).
June a vraiment cet esprit-là, assez acoustique. C’était vraiment enregistré presque en live. C’était très minimal, puisqu’on ne jouait que nos parties respectives. Il n’y avait pas un gros travail de studio comme on le fait maintenant.
C’était, de fait, complètement cohérent : ça correspondait complètement à ce disque de faire une petite tournée acoustique et de faire correspondre les endroits, le contexte. On est en acoustique avec cette idée d’être parmi les gens, afin que tout le monde entende. Être parmi les gens pour respecter à la fois le côté acoustique et le côté intimiste.
Tu nous as déjà un petit peu répondu tout à l’heure. Vous aviez enregistré June plutôt dans les conditions du live. Par conséquent, est-ce que les morceaux s’avèrent plus faciles à retranscrire en live que d’autres titres que vous avez besoin de retravailler, ou bien est-ce que malgré tout, vous avez quand même envie de les pousser un petit peu différemment ?
Finalement je me suis sentie prise à mon propre piège. J’ai pu me dire à un moment « bon ça va aller, ces morceaux, on les connaît ». Mais en fait non. Il faut réapprendre tes propres morceaux et puis te les réapproprier, puisqu’il faut garder du plaisir à les jouer. Ce n’est pas plus facile à re-transcrire en live parce que là, il fallait trouver un compromis avec quelque chose d’existant. On ne partait pas de zéro. Il fallait trouver l’équilibre entre ces morceaux et la façon dont on a envie de les jouer maintenant.
En interview Shannon [Wright] nous avait dit qu’elle avait essayé de jouer de vieux morceaux mais que c’était trop de travail pour se les ré-approprier. Que son jeu avait trop changé.
C’est vrai, c’est vraiment surprenant.
C’était une bonne expérience.
Je suis désolée, c’est sûrement un peu tôt pour en parler mais on a très envie d’en savoir plus. Vous avez commencé à travailler sur un nouvel album en septembre dernier. Est-ce qu’on peut en parler un petit peu ?
Oui, bien sûr, avec plaisir.
Il est fini ou vous êtes encore en train de travailler dessus ?
Les compos sont finies, mais il n’est pas du tout mixé encore.
Il est enregistré, mais pas mixé.
Exactement. Il y a encore des petites choses qui vont bouger, notamment au niveau du mix. Pour lequel on se fait aider. Alors qu’on l’a vraiment produit nous-mêmes.
Comme pour Nyx, vous avez fait toutes seules, toutes les deux.
Comme pour Nyx, au studio, chez Sylvestre & Maucotel.
Chez Sylvestre et Maucotel qui a un peu changé…
C’est ça, on a fait une belle photo pour la crémaillère. (rires)
C’est plus grand, vous êtes plus à l’aise.
Oui, c’est plus grand, du coup on peut voir des gens (rires).
Est-ce que vous êtes parties d’un concept comme pour Nyx ou bien avez-vous choisi une manière différente d’aborder les choses ?
Non, on n’a pas de concept aussi affirmé ou aussi développé que pour Nyx. Après, c’est marrant, je me suis beaucoup questionnée là-dessus. Pour Nyx, ce fil conducteur et ce discours nous ont vraiment aidées à nous rassembler et à construire l’album. Là, j’ai l’impression que c’est vraiment homogène au niveau musical et que par conséquent, il n’y avait pas besoin de plaquer un thème, de faire correspondre une idée au niveau du propos.
Vous avez tout composé au moment où vous avez travaillé en septembre, ou bien il y avait des choses qui avaient déjà été pré-travaillées ?
On a amené de petites choses l’une et l’autre. Mais en général entre le début et la fin de l’enregistrement, ça n’a rien plus à voir… On n’a pas très envie de travailler à distance. Même si on a aussi souvent fait un système de ping pong où on peut s’envoyer des choses, ou alors s’envoyer deux versions d’une même chose, par exemple pour un remix et après en faire le mélange. Mais on préfère travailler ensemble, sur place. On a donc tout fait à St Brévin, en gros de septembre à décembre.
Je me souviens que pour Nyx vous vouliez mélanger trois composants essentiels : de l’électro, des cordes, beaucoup de voix. Est-ce que pour ce nouvel album vous avez eu aussi des envies directrices au niveau du son ? Tu parlais tout à l’heure d’un album homogène.
Oui, je pense que voix /violon, c’est vraiment ce qui nous caractérise maintenant. Davantage que guitare/violon finalement comme c’était le cas à l’époque de June. C’est intéressant. On nous disait ça, précédemment, que Mansfield.Tya c’était guitare/violon. Mais maintenant c’est davantage voix/violon, ce qui est notamment le cas sur ce nouvel album.
Avec toujours pas mal de productions, puisque on s’occupe de la production maintenant.
Tu parles de production. Vous avez expérimenté des choses nouvelles sur ce disque ?
Pour chaque album, on se dit que c’est bien d’inviter une personne différente. Mais là, pour le coup, je crois que c’est vraiment trop tôt pour le dire (rires). On a donc eu une nouvelle invitée.
Vous avez toutes les deux d’autres projets à côté (Vacarme, la musique baroque pour toi notamment, Sexy Sushi entre autres pour Julia), mais même indépendamment de ça, je me posais la question : quand est-ce que vous vous dites : « ça y est c’est le moment, il faut qu’on retourne en studio, il faut qu’on bosse toutes les deux. »
Ta question est intéressante parce que finalement ça faisait trois ans qu’on ne s’était pas attelées à un nouvel album.
C’était un laps de temps intéressant parce que je pense qu’on a eu le temps d’oublier et de ne pas essayer de refaire. De ne pas essayer de faire correspondre une méthode. De tenter. De chercher. Je suis très contente que ça se soit fait aussi simplement et si naturellement. Parce qu’il peut y avoir une appréhension, à se demander ce qu’on fait maintenant.
On s’est dit que c’était bien à ce moment-là. Je ne sais pas, on avait en quelque sorte pris rendez-vous. On a fait beaucoup de choses l’une et l’autre…
Ça nourrit un peu, tu penses, ce que vous faites ensemble ou tu te dis que ça n’a rien à voir…
Je ne sais pas. (rires). Je ne vois pas de lien direct. Après, je ne nie pas que peut-être quelque part, il y a du sens. Moi de mon côté, j’ai fait beaucoup de baroque, Julia beaucoup de techno. Fidèles à nous-mêmes…
On parlait tout à l’heure des photos pour l’inauguration de Sylvestre et Maucotel. Il y a une super photo de presse [aussi vendue sous forme de poster à la fin des concerts] faite par Rico Forhan prise au studio. Elle est vraiment excellente.
Merci, c’est cool.
Vous aviez déjà travaillé avec lui, si je me souviens bien. Comment ça s’est passé en fait ? Elle est super picturale, génialement composée, pleine de petits détails. C’est vous qui avez dit : on a envie de faire ça ? C’est lui qui est arrivé avec cette proposition ?
Rico fait de supers photos, mais je ne pense pas qu’il ait imaginé un truc particulier pour cette photo. Il est arrivé en disant : « on va faire de l’immersion ». Et nous de lui répondre : « ben non, on va faire ça ! (rires) On va préparer les choses »
C’était aussi l’occasion, parce que c’était ce nouvel endroit. D’ailleurs après, j’aimerais vraiment bien, un jour, faire une composition avec plein de choses où tout est vraiment réfléchi. Là on a fait un peu vite…
Oui, on y voit du vernis à ongles, des théières, un violon (rires) On voit aussi un morceau de pléiade d’un côté, un autre plus loin…
Genre, on lit. (rires) Oui, c’est nous qui avons pensé cette mise en scène et c’est Rico qui a fait cette très belle photo.
Pourquoi vous aviez envie de cette mise en scène ? C’est venu comme ça comme un délire ? Il y a vraiment un côté « tableau ».
Oui. Et puis je pense que c’est cet endroit. Ce studio, c’est important pour nous. C’est l’endroit où on fait. On avait envie d’un truc intemporel.
Des photos de presse comme celles-ci, tu n’en vois pas souvent dans le rock -pour dire vite- (rires).
Oui, les photos de groupe de rock à la plage… Ça peut marcher, hein, mais nous ça nous intéressait de montrer un truc qui est personnel.
En parlant d’images, vous êtes en train de faire -ou vous avez fait- quelque chose avec Vale Poher…
Oui, c’était la récré ! Parce qu’on n’a pas fait que le studio cet automne. On a aussi composé la musique pour le prochain film d’animation de Vergine Keaton. Je ne sais pas si tu as vu son premier [on acquiesce – il s’agit de « Je criais contre la vie. Ou pour elle » mêlant ensemble Henry Bauchau, Antigone, chasse à courre où le chasseur devient le chassé, musique de Vale Poher et sublimes gravures], c’est vraiment magnifique, avec des gravures en mouvement.
« Elle criait contre la vie. Ou pour elle. » by Vergine Keaton & Vale Poher (WM) from Label Dalbin, Paris on Vimeo.
On s’est associé à Vale Poher pour faire la musique. On n’avait pas d’images. On avait une note d’intention qu’il fallait respecter à la lettre. C’est un exercice auquel on n’est pas forcément habitué. Tu peux aussi avoir une commande pour un film pour lequel on te demande une expression plutôt libre. Là, la musique est présente pendant tout le court-métrage et c’est assez carré.
Juste pour finir sur les images… Ça m’a traumatisée : c’est quoi, les images qui accompagnent la face B de La jungle nous appelle, Rendered.
(rires) C’est dans Chanson du deuxième étage de Roy Anderson.
(On souffle) Merci.
Moi non plus je ne la regarde pas, ça me fend le cœur (rires)
Pour finir et après je te laisse filer très vite…
Pourquoi est-ce que tu fais de la musique ?
(Dans un grand sourire et après un silence)
Parce que ça me rend heureuse…
On s’éclipse alors sur la pointe des pieds, au son d’un aspirateur Einstürzendien (une manageuse doit savoir tout faire), laissant les filles à leurs câbles et autres consoles sonores, déjà sûres qu’on passera encore un moment hors du temps le soir-même. On sera au final, vous l’aurez compris, bien loin du compte.
Photos interview et prise de son : Caro – Photos live : Mr B – Photo de presse : Rico Forhan
Plus d’1fos :
Site de Mansfield.TYA : http://www.mansfieldtya.com/
Prochaines dates de concert :
04-04-2015 : MORLAIX / Festival Panoramas – lieu secret
12-04-2015 : DIJON (Fixin) chez un vigneron / Chai
23-04-2015 : BORDEAUX / I Boat / Carte blanche Mansfield TYA
24-04-2015 : PEYRIERES (47)/ Eglise De Peyrières
25-04-2015 : NANTES – Château des Ducs de Bretagne (les deux sessions sont complètes)
13-05-2005 : TOURCOING – Chapelle de l’Hospice d’Havré
14-05-2015 : BRUXELLES / Les Nuits Botaniques – Grand Salon De Concert
Le vinyle de « June,Ten Years After » est disponible UNIQUEMENT :
1- En commande sur le site de Kshantu (100 exemplaires).
2 – Le 18 avril chez les disquaires indés pour le disquaire day (100 exemplaires).
3 – Sur les concerts ci-dessus (250 exemplaires).
Avec un immense merci à Julia et Carla pour avoir tout de même pris le temps de répondre à nos questions malgré un timing plus que serré, ainsi qu’à Maud Scandale pour avoir calé tout ça.
Pour les amateurs, vous pouvez également retrouver nos deux précédentes interviews de Mansfield.TYA là et là.
Superbe interview pour une artiste que je ne connaissais pas, alors que visiblement, j’aurais du (notoriété, talent !). Ce qui m’a interpellé en lisant l’interview, évidement, c’est le rapport entre l’album et le violon… Je vais être dans l’obligation morale d’écouter les chansons.
NB : flippant l’extrait vidéo sur la musique 😀
@Alexandre Merci pour votre retour ! en effet écoutez les Mansfield de notre part, c’est du tout bon 🙂
Et si vous êtes fan de violon, n’hésitez pas à découvrir Vacarme, également, dans lequel joue Carla (avec Christelle Lassort au violon également et l’impressionnant Gaspar Claus au violoncelle) : le projet est vraiment superbe : https://soundcloud.com/vacarme-music 😉