Une chorégraphie cyborg aux Champs Libres ? C’est ce que vous proposent Myriam Bleau et Nien-Tzu Weng avec Second Self au festival Maintenant ce mercredi 9 octobre. Ou doubles en chair et en os et numériques se confondent (ou pas). Explications.
Toujours au taquet pour nous faire découvrir des projets inattendus, la joyeuse équipe de l’association Electroni[k] à l’origine du festival Maintenant mêlant arts, musiques et nouvelles technologies, soigne cette année encore notre curiosité avec cinq expériences audiovisuelles assez inouies à découvrir pendant le festival (qui aura lieu du 8 au 13 octobre prochains). Après Second Breath (on vous en parlait ici), Videochose de Jacques et Panorama par Gamut (on vous expliquait là), on poursuit aujourd’hui avec Second Self créé par Myriam Bleau et Nien-Tzu Weng qui sera dévoilé (en partenariat avec et) aux Champs Libres le mercredi 9 octobre.
Pour qui a déjà eu la chance de profiter du festival Maintenant, Myriam Bleau est loin d’être une inconnue. On a en effet découvert son époustouflant travail à deux reprises. En 2015, on avait eu les sens retournés par Soft Revolvers qui utilisait quatre étranges toupies lumineuses, translucides et bardées de senseurs. La vertigineuse rotation des toupies évoquant aussi bien la virtuosité des danseurs hip hop que les délices scratchés du turntablism et produisant une musique au groove gracieux et électrique parsemée de pétillants parasites.
La Québécoise amatrice de sons inédits était ensuite de retour en 2017 avec la bien nommée Autopsy.glass, performance audiovisuelle explorant le potentiel sonore et visuel de l’agonie de verres à pied, qu’elle s’appliquait, avec une effroyable et délicieuse tension, à méthodiquement détruire, dans des effets sonores tout en débris, résonances et éclats et dont la temporalité se trouvait fragmentée de noirs soudains et de flashs lumineux. Un moment aussi incisif qu’éblouissant, qui nous avait laissé.es bouche bée. On est donc sacrément impatient.es de se frotter à cette nouvelle proposition, Second Self.
Pour cette toute récente création, Myriam Bleau (musique, vidéo, concept, performance) s’est associée à l’artiste taiwanaise et canadienne Nien Tzu Weng (chorégraphie, concept et performance). Leur idée était la suivante : proposer une chorégraphie dansée par des sortes de femmes-machines, autrement dit des cyborgs ! Les deux artistes (bien humaines donc) se retrouvent en effet équipées d’étonnantes prothèses numériques : des petits écrans tactiles LED munis de capteurs infra-rouges qu’elles placent sur différents endroits du corps (visage, bras, poitrine).
Lorsque les performeuses touchent les écrans de leurs interfaces, cela génère de la matière vidéo et sonore, en écho avec la chorégraphie. Les écrans tactiles se révèlent donc en même temps instruments de musique et portes du monde virtuel.
Mais plutôt que l’humain augmenté uniquement, c’est aussi l’humain empêché que les deux artistes mettent en scène. Car ces prothèses ne font pas qu’amplifier la performance et les possibilités des artistes. Non, elles masquent aussi leur regard, elles les encombrent, elles diminuent leur mobilité. Tout en permettant bien sûr, de nouvelles formes d’expressions grâce à ces écrans tactiles et la génération interactive de sons et vidéos, ces appareillages questionnent un fantasme d’interaction humain-machine comme amélioration. La réalité augmentée ne l’est peut-être pas totalement et univoquement.
Avec ce projet multidisciplinaire qui mêle danse, performance contemporaine, design d’interface, vidéo, son et médias interactifs, Myriam Bleau et Nien-Tzu Weng interrogent les contours et les limites de symbiose entre humain et non-humain. De la même manière, les sons générés pendant la performance proviendront de deux sources différentes : l’une analogique (un synthé modulaire), l’autre synthétique (synthèse audio numérique avec SuperCollider), comme un nouvel écho à ces échanges entre l’organique et la machine.
Le titre de la performance, Second Self fait référence au livre du même nom de Sherry Turkle publié en 1984. La théoricienne y interrogeait la façon dont le numérique affecte notre perception des autres, de nous-mêmes et de notre relation avec le monde. Elle observait que nous appréhendons le numérique (d’autant plus s’il possède des caractéristiques « humaines ») comme quelque chose à la frontière entre l’inanimé et l’animé, à la fois comme une extension de nous-mêmes et comme une émanation du monde extérieur. Les écrans tactiles utilisés par les deux artistes se révèlent donc en même temps masques, prothèses et miroirs.
En mêlant danse et technologies, chorégraphie et machines, les deux artistes questionnent ainsi nos façons de communiquer (« Quelles émotions naissent lorsque le visage, le ventre, les bras sont en partie recouverts par un écran manipulé ? » se demandent-elles par exemple), interrogent notre relation aux machines et à nos doubles numériques, substituts qui agissent pour nous, et nous renvoient une image transformée de nous-mêmes. « Miroir numérique, dis moi qui je suis ; dis moi où commence l’autre et où je finis… » pourrait désormais se demander une Blanche Neige… cyborg ! Nien-Tzu Weng et Myriam Bleau ne lui/nous apporteront sûrement pas la réponse mais feront sans aucun doute émerger les questions chez chaque spectateur et spectatrice… Préparez vous au vertige numérique !
Retrouvez tous nos articles avant, pendant et après Maintenant ici.
Maintenant aura lieu du 8 au 13 octobre 2024 à Rennes.
Second Self par Myriam Bleau et Nien-Tzu Weng sera présenté le mercredi 9 octobre 2024 de 18h30 à 19h15 aux Champs Libres à Rennes (Gratuit).