Pas un mot et pourtant tout s’entend. Il y a la mère et la fillette, la mer et les mouettes. Le sable, page de gauche, chaud, sec, sûr. L’eau, page de droite, étonnante, attirante et taquine. La pliure du livre, dont l’auteur aime jouer, fait frontière. La fillette se tient d’un côté, prudente, puis la soif de découverte et l’audace de l’enfance l’emportent et elle « traverse », un oeil sur le sable (où se tient probablement sa mère) avant de jouer allègrement sur la page de droite, où se trouve forcément la mer… La Vague éponyme, aussi malicieuse qu’un enfant, à son tour et à sa manière, effacera la frontière.
Suzy Lee, artiste coréenne renommée, donne plus qu’à voir, elle nous plonge dans SA vague, qu’elle dédie à son nouveau-né. On la sent complice par le trait de chacun de ses « personnages », qu’elle « croque » avec une forme de réalisme teintée d’humour et de poésie. En deux couleurs mais tant de nuances sur la page blanche, fusain, acrylique et manipulation numérique (invisible !) accompagnent tendrement le lecteur, quel que soit son âge, dans la mise en images d’un vécu universel.
Pour ceux qui ne la connaissent pas, c’est un tableau vivant. Pour ceux qui en sont loin, c’est le plaisir de la mer à domicile. Pour tous, c’est une vision de l’échange possible, joyeux et enrichissant avec une nature pleine de surprises.
Est-ce une première fois ? un retour après une saison froide ? un souvenir attendri ? N’importe ! Gageons qu’à l’instar du battement que l’on entend un coquillage sur l’oreille, chacun écoute, les yeux dans La Vague, le ressac des coeurs mêlés par ce livre : vague et fillette, mère et nouveau-né, auteur et lecteur.
La Vague, Suzy Lee, l’école des loisirs, 2009.
Tout le monde connaît l’histoire : la galette, le petit pot de beurre, la chevillette et la bobinette… Mais cette réécriture, affirmée comme telle par son titre indéfini qui rend la version particulière, met tous ces objets dans un tiroir. Celui du chevet de la grand-mère, absente du livre, restée au fond de son lit ?
Restent les « bêtes de scène » : le loup, efflanqué, méchant et carnivore, et le petit chaperon rouge, petit, rouge et… pas tombé de la dernière pluie. Lui aussi la connaît, l’histoire : les grandes oreilles, les grands yeux, les grandes dents. Dans ce dialogue à la limite du comic strip, concis et bicolore, on comprend vite qu’il n’y aura pas de festin lupin.
D’un trait faussement brouillon et vraiment efficace, Marjolaine Leray renverse les rôles, et d’un conte classique fait une scénette surprenante à la chute incisive. Point n’est besoin d’artifice ni de décor. On remarquera les attitudes parfaitement choisies (et rendues !) des deux acteurs : le grand méchant, compose parfaitement, montre les dents pendant quelques pages avant que l’effronté chaperon, à l’aplomb sans faille, lui en mette littéralement plein la gueule…du loup ! Et on se plaira à imaginer le regard, non visible à l’image, du chaperon, notamment sur son dernier mot. Etincelant !
Un petit chaperon rouge, Marjolaine Leray, Actes sud Junior
Merci pour ces très chouettes chroniques qui donnent envie de plonger…
Et puis quand on pense bêtes de scène et chaperon, on ne peut qu’aller aussi se précipiter sur « Le petit chaperon de ta couleur » de Vincent Malone, avec un chaperon très « bonne élève » et un loup remplacé par un cochon au pied levé qui ne retient pas son texte.
Eclats de rire garantis, succès à chaque écoute auprès des enfants… qui redemandent le livre-disque sans arrêt…