Depuis octobre, Emmanuelle Houdart est un peu timbrée… à moins que ça ne viennent d’encore avant ? En tout cas, chez nous, ça a valeur de compliment, pardon s’il est un peu curieux.
Jusqu’à présent, en croisant ses livres, on avait un mélange d’envie et d’appréhension : par exemple, l’Abécédaire de la Colère nous a collé un sacré paquet de frissons dans le dos, brrrr, mais Une Amie pour la vie nous a forcé, le coeur au chaud et bien volontaire, à faire un cadeau à une blonde qui le vaut mieux.
Et la dame de nous confirmer gris sur blanc sur son site officiel qu’on tient là le double des clefs pour entrer dans son univers « merveilleux et épouvantable ».
Avons-nous eu notre compte d’épouvantable ces jours derniers ? Savons-nous tout ce qui continue à être épouvantable quand nos unes se font moins noires, quand nos rues sont moins noires de monde ? La couverture d’Abris ne pouvait que nous interpeller. De sombres épines, deux mains colorées et enveloppantes et ce visage jocondesque de bambin dont les yeux vous percent de confiance sans faille. Sans savoir si nous en sommes dignes, mais des fourmis (rouges) dans les doigts, nous avons ouvert, pour nous mettre à l’abri le temps de quelques phrases et d’images émerveilleuses.
Emmanuelle Houdart, qui semble se délecter de détails multiples, ne cherche pas à nous mettre au défi de tout voir, de comprendre toutes les références plus ou moins cachées dans ses illustrations (et pourtant il est tentant de s’y coller dans un second ou énième temps de lecture). D’abord sont-ce seulement des illustrations ? Car elles racontent tant et plus que les quelques mots qui les accompagnent, qui semblent les illustrer inversement. Il y en a pour tous les âges, il y en a pour tous les goûts. De l’abri placentaire du ventre maternel à l’abri végétal et vernaculaire des connaissances grand-paternelles, en passant par la cabane fabuleuse, l’adolescence délicatement furieuse, l’amitié, l’amour et l’éducation (en famille et par les livres !), la solitude et le partage, et les symboles multiples qu’on voudrait protecteurs. Le dessin se veut très réaliste mais il croque ensemble rêve et réalité mêlés, les couleurs sont fortes et le message est doux, les motifs organiques ou oniriques. Les mots bercent, enlacent mais n’enferment pas.
Trouvez-vous l’abri qui vous convient le mieux, canapé-plaid, lit-doudou, tanière-bazar, tapis-bibliothèque, abribus ou abricotier, et chuchotez(-vous) le texte, régalez(-vous) des images pleines pages, car cet album se fait lui-même abri : en plus de sa grande taille et de ses gros caractères qui permettent de le lire de « loin » ou à un groupe d’audibservateurs plus ou moins sur vos genoux ou autour de vous, il propose aussi de se rapprocher pour (re)cueillir toute la chaleur, tous les clins d’œil, tous les hommages, tous les appels à réflexion(s) qu’Emmanuelle Houdart a disposés à nos intentions diverses que l’on ne l-iste-ra pas ici, pour préserver surprise et plaisir. Pour le pot commun, jouez du cocon, usez de tendresse, cherchez le pardon et trouvez le respect.
Chapeau, madame ! Et si, en plus d’avoir découvert vos potentiels textiles après le plus illustre textuel, l’on dit pour finir que vous avez un grain, prenez-le pour un compliment supplémentaire !
L’on ne saurait s’arrêter sans évoquer la fourmilière d’où est sorti cet album, car Les Fourmis Rouges ont un catalogue qui vaut le détour grâce à des choix éditoriaux particuliers et indépendants. Croyez-le ou non, les fourmis sont des oiseaux. Et nous sommes fourmis.
Abris, Emmanuelle Houdart, Les Fourmis Rouges, octobre 2014, 17€90.