« Et voilà, c’était encore arrivé. »
Ils s’appelaient Elliott, Jude ou Gabrielle, ou bien ils ne s’appelaient même pas encore. Ils ont eu mal ou pas, ils ont eu peur ou pas, ils ont eu un tout petit bout de vie dehors, ou juste dedans. Ce sont des enfants et ils sont partis. Et dans le sillage de leur absence intolérable, il y a leurs parents, qui peuvent n’avoir qu’à peine eu le temps de l’être, il y a aussi des grands-parents, des frères et soeurs souvent, des amis sans doute… et tous ont le coeur déchiré.
C’est à cet instant-là que les Raccommodeuses, Poupée en tête, pleurent une larme précieuse qu’elles gardent avec précaution jusqu’à la fin de leur ouvrage long et subtil. Aiguille à la main, trois fils qui rattachent à la vie, le bon coeur de l’enfant offert, les Raccommodeuses recousent à tous petits points, et recommencent quand et autant qu’il le faut, les lambeaux des coeurs de ceux qui restent.
Catibou a le verbe doux et, de sa main légère, vous met des diamants dans les yeux. Ça coulera, ou pas, ça se verra, ou pas… Quoi qu’il en soit, dans son premier album d’une sensibilité aussi juste que son sujet est grave, Catibou a su mettre en mots délicats le deuil après la mort d’un enfant. Elle en réserve judicieusement la responsabilité à de petits personnages presque magiques, laissant aux vivants le droit à la colère, au chagrin, au temps qui est injuste parce qu’il continue de passer, mais qui est nécessaire pour retrouver la force d’aimer.
Et quelle jolie rencontre que celle de son texte, humble et fort, et avec les pinceaux colorés de Géraldine Hary, car dans ses ciels soyeux et tout étoilés d’amour, les petites mains des Raccommodeuses travaillent, les yeux brillants, dans leur bienfaisant silence de poupées. Elle leur permet de repriser ce qui se peut et ce qui n’y croyait plus, à coups de couleurs, de points, d’imprimés et de dentelles, qu’on dirait sortis d’une boite à ouvrage héritée d’un autre temps. Mais ce charme désuet n’use pas les yeux du lecteur, il le plonge avec douceur dans une boite à rubans dont il ressortira grandi de ce qui fut, de ceux qui sont partis.
On aime jusqu’à la typographie choisie avec un soin particulier, semble-t-il, comme s’il avait fallu autant de temps pour écrire chaque lettre dont les traits se dédoublent que pour coudre et recoudre encore patiemment chaque petit point des coeurs déchirés.
Saluons la jeune maison d’édition Les Petits Pas de Ioannis, que mènent deux mamans aux coeurs grands comme ça, puisqu’elles mettent au monde ce doux livre et déjà d’autres, aussi sensibles, qui n’auraient pas vu le jour ailleurs. Souhaitons que cette bienveillante fratrie s’étoffe encore dans les mois (l’émoi) à venir !
Les Raccomodeuses des coeurs déchirés, Catibou et Géraldine Hary, les éditions Les petits pas de Ioannis, 2010.
Je serai brève car seul le « bienfaisant silence » des poupées peut traduire l’émotion que je ressens à la lecture de cet article et … ma reconnaissance à son auteure, Tiphaine !
Merci pour ce trés bel article qui nous emplit d’émotion 🙂