Bouleversants sont les deux destins restitués avec pudeur, dans le dernier roman d’Anna Hope, La Salle de Bal.
Ella et John vont écrire et nouer un amour d’une grande force et d’une beauté singulière : « Elle ferma les yeux, la lumière tamisée du soleil dansait contre ses paupières. Elle ouvrit les yeux, le jour lui sauta au visage. Son cœur flancha. » (p.16).
Voici un récit d’une pureté de cristal où, à chaque instant, l’univers carcéral de cet asile d’aliénés de Sharston semble prêt à faire basculer ces êtres humiliés vers la folie. C’est tout le contraire qui va les embraser : chaque épreuve, chaque brimade, chaque punition renforcent leurs désirs de vivre, de se battre et peut-être d’aimer.
Le hasard sans doute nous a conduit sur l’écriture de deux livres mettant en scène une clinique et un hôpital. Celui de Katy Bonidan, Le Parfum de l’Hellébore, traite de l’autisme et de l’anorexie. Celui de Stéphane Cognon, Je Reviens d’un Long voyage, est le récit d’un rescapé, candide au pays des schizophrènes. On y retrouve la difficulté des relations des personnes internées avec l’extérieur. Et que dire de l’obscurantisme qui entourait souvent les maladies psychiques !
Dans le livre d’Anna Hope, c’est une histoire familiale qui va susciter la curiosité de cette brillante romancière. Son arrière grand-père trouvé indigent fut recueilli dans cet asile. Cette enquête va conduire la romancière à s’intéresser à la période précédant la guerre 14/18 et au projet de loi qui devait régenter les faibles d’esprit. Dans une démarche propre à promouvoir l’eugénisme, il avait été envisagé de stériliser les plus fous et les plus indigents.
Tout serait-il si funeste dans cet asile ? Ainsi la fameuse salle de bal réunit chaque semaine les pensionnaires, celle où va germer l’amitié entre John et Ella. Chantage ou perfidie, il faut être choisi et donc désigné pour participer à ce bal du vendredi soir. Il faut être irréprochable pour ne pas être exclu un vendredi ou plusieurs. N’est ce pas la mésaventure que va subir John et qui mettra Ella et John et leur amour naissant sur des charbons ardents ?
Le troisième personnage de ce roman Charles est le représentant du corps médical. Ce personnage qui apparaît presque sympathique au début va se révéler être un adjoint pervers dénué de tout bon sens, soucieux de redorer son blason à l’égard de son père brillant médecin. Son engouement pour l’eugénisme le conduira à dépasser ses prérogatives, son besoin de se montrer aux yeux des parlementaires, dont Churchill, en fera un agité du bocal.
John sera le premier à écrire, puis Ella, analphabète aidée de son amie, lui répondra. Cette amitié clandestine ponctue le roman avec pudeur en créant une intrigue amoureuse subtile et d’une très grande force. Ces échanges discrets, souvent contrariés par des mises à l’épreuve, finiront par triompher, mais comment ?
Au fil des mois seul l’évasion peut sauver Ella et John, mais par quels moyens partir et sans se perdre ?
Anna Hope réalise aussi une fresque de l’Angleterre d’avant-guerre à travers l’histoire de cette institution et des récits des indigents, puis ceux romancés de Ella et de John. Une documentation rigoureuse taille au plus juste la vie de cette communauté.
Il y a du Joyce Carol Oates dans cette romancière ; la profondeur des analyses est époustouflante, les caractères sont épluchés, les personnages scannérisés, par touches successives, comme un puzzle qui se dévoilerait complètement à la fin. Les mots simples trouvent sous sa plume une saveur, une douceur étonnante : « Comment il aimait les regarder quand tout était calme. Comment, quand leur fille tétait, il fermait les yeux et sentait sa présence, pareille à un feu follet éclairant la pièce.»
Une réussite littéraire éblouissante.