Il y a 30 ans, disparaissait John Fante, un géant de la littérature américaine. Champion toutes catégories de la modestie, il se considérait comme le plus grand auteur de tous les temps. Le hic, c’est qu’il est mort dans l’anonymat le plus complet et qu’aujourd’hui encore, il est rarement, sinon jamais, cité parmi les auteurs de référence. C’est Philippe Garnier, le journaliste de Rock Et Folk qui l’avait fait découvrir aux français à la fin des années 80 en traduisant « Demande à la poussière » (Ask The Dust). John Fante était déjà mort depuis plusieurs années, mais la trouvaille avait fait grand bruit.
Profitant des 30 ans de sa mort, l’éditeur Christian Bourgeois a eu la bonne idée de réunir en 3 volumes, l’intégralité de l’oeuvre de l’écrivain maudit. Relire vingt ans après ces livres qui m’avaient tellement marqués m’angoissait un tantinet. N’avais-je pas dans mon enthousiasme de jeunesse idéalisé John Fante ? Mais dès les premiers paragraphes, on est happé par la force et la fluidité de l’écriture. On passe du rire aux pleurs, entrainé dans les péripéties d’Arturo Bandini, l’avatar de John Fante dans ses romans. Car John Fante ne raconte qu’une seule histoire, la sienne.
L’histoire de Bandini débute au Colorado. Fils d’immigrants italiens, il tente par tous les pores de sa peau de renier son héritage et de parvenir enfin à être un vrai Américain. Mais la tache est difficile, surtout lorsqu’on est coincé entre un père maçon, dur et fort comme un bœuf, volontiers volage et une mère douce, soumise et pétrie de christianisme. Pour ne rien arranger la famille est désespérément pauvre. Quand l’hiver devient trop froid, le ciment ne prend plus et son père ne peut plus travailler, alors il se venge et fait vivre un enfer aux siens. Mais le père fascine, il est tour à tour détesté ou admiré par ses enfants. C’est lui qui bat le rythme sur lequel danse sa famille (« Bandini », « L’orgie », « le vin de jeunesse »).
Puis Arturo Bandini grandit et s’émancipe (« Demande à la poussière », « Rêves de Bunker Hill », « La route de Los Angeles »). Il part à la cité des Anges où il va tenter de devenir écrivain. Comme Fante, il ne doute pas un seul instant de son talent, mais l’arrivée dans la grande ville marque une nouvelle période de vaches maigres. Peu à peu, Bandini va faire publier quelques nouvelles qui vont le sortir de la précarité. Puis ce sera l’engagement dans les équipes de scénaristes d’Hollywood. Un travail salarié complètement dénué d’intérêt, mais grassement payé. De quoi vendre son âme au grand capital.
Sur la 3ème partie de sa vie (« Plein de vie », « Les compagnons de la grappe », « Mon chien stupide »), on découvre John Fante sous les traits de Molise, encore et toujours écrivain pour les studios d’Hollywood. Molise est lui aussi empêtré dans ses problèmes familiaux, mais maintenant il s’agit de gérer ses propres enfants. Dans l’extraordinaire « Mon chien stupide », il vit dans une grosse maison à Malibu. C’est un scénariste sur le déclin et sa principale occupation consiste à exister entre sa femme et ses 4 enfants. Un soir, un énorme chien échoue dans leur jardin et va devenir le pignon central autour duquel toute la famille va se déchirer. C’est sans doute son roman le plus drôle, en tout cas, un parfait point d’entrée, car en plus de détenir tout ce qui fait la force de John Fante, c’est aussi l’un des plus courts. Cet ouvrage, n’est pas « Le vieil homme et la mer », mais « Le vieil homme et son chien ». Un livre pour lequel il n’aura malheureusement jamais le prix Nobel de la littérature.
C’est Charles Bukowski, un autre paria de la littérature qui fit beaucoup pour sortir John Fante de l’oubli le plus complet. On savait qu’il n’était pas tendre pour ses pairs, et seul John Fante trouvait grâce à ses yeux. Alors qui mieux que Bukowski pouvait parler de l’écriture de Fante : « Un jour j’ai sorti un livre, je l’ai ouvert et c’était ça. Je restai planté un moment, lisant comme un homme qui a trouvé de l’or à la décharge publique. J’ai posé le livre sur la table, les phrases filaient facilement à travers les pages comme un courant. Chaque ligne avait sa propre énergie et était suivie d’une semblable et la vraie substance de chaque ligne donnait sa forme à la page, une sensation de quelque chose sculpté dans le texte. Voilà enfin un homme qui n’avait pas peur de l’émotion. L’humour et la douleur mélangés avec une superbe simplicité. … Le livre était « Ask The Dust » et l’auteur John Fante. Il allait toute ma vie m’influencer dans mon travail. ».
Maintenant, si ni Charly ni moi même n’avons réussi à vous inciter à découvrir le brillantissime John Fante, c’est que vous ne le méritez pas.
J’aime l’article, j’ai envie de dévorer ces titres. Mais pourquoi faut-il traiter avec mépris ceux qui ne désirent pas découvrir cet auteur?
Point de mépris, c’est juste une phrase de conclusion pour inciter avec humour les lecteurs à se pencher sur le cas de John Fante. Il le mérite, vous le méritez 😉
Merci pour votre petit mot !