[interview] David Khara : « L’argent est un dieu cruel »

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David Khara. Photo Astrid di Crollalanza © Flammarion

Atomes crochus est sorti au début du mois d’octobre dans la collection J’ai lu. Le roman démarre par des extraits de journaux télévisés avant de nous envoyer à la sortie d’une prison où l’on découvre Enzo, l’un des personnages principaux du roman. Le style est incisif, efficace et ne laisse pas place à l’immobilisme. La première partie partie carbure à l’énergie et peut faire penser aux films de Robert Zemeckis et de Steven Spielberg lorsque ces derniers ont réalisé des films d’aventures. Au milieu du livre, le récit se calme pour offrir un beau moment de flottement dans un hôtel américain. A la manière de Michael Mann dans Miami Vice, David Khara extrait deux personnages de l’intrigue pour les faire discuter, apprendre à se connaître et redécouvrir des sensations qu’ils avaient tout deux perdues. Ensuite, le ton est plus proche des précédents romans avec un goût certain pour le polar. Pour nous, il s’agit d’un de ses meilleurs romans et c’était l’occasion parfaite pour s’entretenir avec l’auteur.

Alter1fo : Atomes crochus ne fait partie d’aucune série. Il ne s’inscrit ni dans le prolongement des projets, ni dans celui d’Une nuit éternelle. Tu voulais expérimenter autre chose ?

David Khara : J’avais l’idée d’Atomes crochus en tête depuis 2011. Depuis 2011, je savais que je voulais écrire un bouquin qui soit un roman d’aventure, très années 1980 dans sa construction, et j’avais envie d’écrire quelque chose dans l’esprit d’A la poursuite du diamant vert. Je vais prendre deux références cinématographiques. Il y a A la poursuite du diamant vert pour le côté très improbable avec cet aventurier qui se retrouve avec une fille incapable de rien, qui n’est jamais sortie de chez elle. Sauf qu’à partir du moment où il va la croiser, tout va se mettre à foirer pour lui, contrairement à elle qui va se sortir de tout comme une fleur. Quelque part, cette idée a déjà existé avec l’homme de Rio. C’est fondateur. Françoise Dorléac y est tellement insouciante, insupportable de candeur alors que l’autre, Belmondo, vit un enfer pour sortir de ce merdier. Je voulais le mettre avec ce que j’aime faire, pas simplement ce que je sais faire. C’est-à-dire avec du suspense, quelque chose qui soit un page turner mais pas avec le côté sombre qu’ont pu avoir tous mes bouquins avant.
Je voulais écrire un bouquin léger mais pas seulement. J’ai essayé d’amener un esprit à la Ettore Scola et c’est la deuxième référence cinématographique. Il a fait un de mes deux, trois films préférés qui s’appelle Nous nous sommes tant aimés dans lequel il transforme des situations dramatiques en situations comiques. C’est le propre du cinéma italien de faire ces tragi-comédies ou ces comédies dramatiques où tu n’es jamais vraiment mal. L’idée, dans Atomes crochus, était de croiser Robin des bois et Roméo & Juliette. J’ai un propos central par bouquin et j’ai une problématique générale qui m’obsède. L’art est toujours lié à une obsession. Ce qui m’obsède, c’est la question de la grandeur de l’être humain. Ça m’interroge, ça me désespère la plupart du temps mais c’est toujours cela que j’ai voulu traiter. Je mets donc en perspective des gens dont la solitude est liée à leur pouvoir. J’avais envie, et c’était le plus difficile pour moi, d’amener un élément de comédie romantique. Dans mes bouquins, j’ai toujours traité de l’amour avec beaucoup de pudeur. Dans Le projet Bleiberg, ce qui guide le héros principal, c’est la perte de sa famille et tout ce qu’il fait, il le fait par amour même si lui ne prononce jamais le mot. Là, je voulais aller vers ce terrain là et ça a été très difficile.

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Concernant le titre, Atomes crochus, il fait écho à une expression datant du XIXème siècle. Peux-tu nous expliquer ce choix ?

Evidemment, il y a un clin d’œil à une des enquêtes dans le bouquin. J’aurais pu rajouter « ou pas » au titre parce qu’il y a la relation Enzo/Janet qui est très amusante de cet homme et de cette femme qui se détestent pratiquement au premier coup d’œil. C’est un bouquin où il y a beaucoup de couples dont les rapports évoluent et c’est ça qui m’intéressait. Après, évidemment, il y a le jeu de mots autour du nucléaire qui est le côté un peu acide. J’ai parlé à la fois du blanchiment d’argent et du nucléaire avec beaucoup de colère mais pas seulement pour ceux qui ont commis les faits dont je parle. Aussi, pour nous en tant que citoyens à l’échelle planétaire où on laisse faire des trucs phénoménaux.

Au début du roman, un accrochage entre deux véhicules près d’un aéroport empêche les occupants d’embarquer à bord de leur avion. Chacun de leur coté, Enzo et Janet essaient de se présenter à l’embarquement pour tenter d’y entrer. Trop tard, l’avion a déjà décollé. Ce dernier explose dans les airs, envoyant des débris en direction de l’aéroport. On y sent une réminiscence du 11 septembre, événement qui apparaissait déjà dans Les Vestiges de l’aube. En tant qu’écrivain français, quel est ton rapport à cette attaque ?

Il n’y a pas d’événement live qui soit équivalent en termes de puissance et de violence. Comme beaucoup de gens, j’ai vécu l’événement en direct. Accessoirement, le lien n’existe que par le personnage d’Andrew et sur ce bouquin là, c’était moins une préoccupation que le fait que cela ramène au trauma d’un américain. Je ne crois pas qu’un auteur américain aurait écrit le bouquin de la perspective d’Enzo.

Le contexte des attentats en France a-t-il influé sur cette ouverture d’Atomes crochus ?

J’ai commencé à écrire le bouquin en juillet 2014 et la scène de l’aéroport a été terminée à l’été 2015. J’étais arrivé à un moment où il y a un assaut qui doit être donné dans un hôtel et je l’ai attaqué le 13 novembre. Le lendemain, tu te mets à ton ordinateur et tu te rends compte que tu ne peux pas écrire une scène de fusillade. Tu appelles quelques copains qui font le même boulot que toi et ils te disent que ce n’est pas possible. Soit tu en mets trop, soit tu te retiens. Il y a des références dans le bouquin qui ont disparu. Quand j’ai travaillé avec le F.B.I, ils m’ont parlé d’affaires vraiment drôles autour d’attentats déjoués simplement par le fait de montrer leurs plaques parce qu’ils pensaient que le F.B.I savaient tout alors qu’ils ne savaient rien. Une fois les attentats arrivés, cette anecdote marrante ne l’est plus. A la base, l’avion qui explose, dans mon roman, cela reste de la fiction.

La construction du récit fait penser au genre du buddy movie où deux individus opposés vont devoir progresser ensemble. On songe à L’arme fatale notamment. 

L’arme fatale m’a beaucoup inspiré pour Les vestiges de l’aube. La scène qui m’a énormément inspiré, c’est dans le troisième opus, lorsque Murtaugh [Danny Glover] annonce à Riggs [Mel Gibson] qu’il va prendre sa retraite. Je trouve la scène émouvante puisqu’on n’est pas dans la virilité débile. Là, par contre, il y a un énorme hommage à Walter Hill parce que Jeb Cates est taillé comme Nick Nolte et fait exprès de lui ressembler. Au départ, je n’avais pas en tête le personnage de Stéphanie Shark. Elle est venue plus tard, après ma rencontre avec la vraie personne.

Elle prend de l’épaisseur lorsqu’elle est seule dans la voiture, confrontée à sa peur de ne pas être à la hauteur. 

Oui mais pas que. Ce qui a changé, c’est que cet agent féminin qui devait être de passage est resté. Accessoirement, c’est que c’est un bouquin girl power. Les trois femmes qui sont présentées sont maltraitées par les hommes. Au final, ce sont les trois femmes qui règlent tout et qui l’emportent.

Si on s’intéresse à l’architecture du roman, on peut y dégager deux grandes parties. La première partie, jusqu’à l’hôtel, emprunte des éléments au récit d’aventures tandis que la seconde partie vire au polar. 

J’irai plus loin en disant qu’il y a trois phases. La première dure jusqu’au moment où Enzo et Janet peuvent enfin se poser à l’hôtel. Là, le ton devient plus nostalgique. Ensuite, il y a un côté plus noir, plus intimiste. La troisième phase est celle du drame à l’italienne. Je n’ai jamais écrit quelque chose de linéaire, cela ne m’intéresse pas. Il y a une promesse que je fais au lecteur, c’est celle de les surprendre. Cela signifie que, pendant un moment, je vais leur raconter quelque chose qui n’est pas du tout la réalité. C’est un vrai plaisir.

Au cœur de l’intrigue, une hypothèse est émise que le Griffon soit responsable de toute cette machination. Pendant une bonne partie, on ne sait pas du tout qui il est ni ce qu’il représente. Là encore, il y a une volonté de disséquer certains mythes américains avec cette idée du Mal que l’on pourrait se figurer et anéantir pour rétablir l’équilibre. Par exemple, le cinéaste John Carpenter croit intimement à cette idée du Mal que l’on ne pourrait pas expliquer par une approche sociologique. Que penses-tu de cette thématique ?

Pour moi, c’est complètement dépassé. Quand tu regardes le 11 septembre, c’est significatif. Il faut une personnification du Mal. Si les Américains n’ont pas ça, ils ne savent pas contre qui ils se battent et pensent être menés à la défaite. En l’occurrence, c’est que le Mal est diffus dans le roman. Il est surtout ancré. Cette volonté de personnifier le mal est une façon d’oublier qu’il est présent en chacun de nous. Ce n’est pas moraliser le récit que de dire ça. L’être humain a des instincts et nous sommes, avant tout, des animaux. Nous essayons de devenir des êtres de raison. Il y a un formidable conte dans Mon nom est personne avec l’histoire du poussin. J’aurais adoré l’écrire parce que c’est ça la réalité. « Ceux qui te mettent dans la merde ne le font pas toujours pour ton malheur, et ceux qui t’en sortent ne le font pas toujours pour ton bonheur ».

Quelle a été ta plus grande difficulté dans l’écriture de ce roman ?

La fin. Le livre mélange le comique et le romantique et à l’époque de l’écriture, je n’étais dans aucun des deux états. Ecrire la fin, ça a été très dur au point que j’ai cru que je n’allais pas y arriver. J’ai donné ce que je n’avais pas à ce moment-là. J’ai eu ce que je racontais pratiquement au dernier chapitre.

Quels sont tes prochains projets ?

Je suis en train d’écrire un thriller se déroulant dans le monde médical. Ça tourne autour de la greffe de peaux humaines et de la création d’organes par imprimante 3D. C’est aussi basé sur la réalité avec des gens normaux. On va plutôt dire avec des gens standards (rires). Ensuite, il y aura le retour d’Eytan et entre les deux, la suite de Thunder. Concernant les bandes-dessinées, il y aura une adaptation du Projet Bleiberg et ce, en trois tomes. Serge Le Tendre sera au scénario et Frédéric Peynet au dessin. A côté de ça, je travaille sur deux séries télévisées en simultané.

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