Chronique polar : la peur de l’ennemi intérieur

Quoi de commun entre les trois romans de la sélection présente ? La plus primaire des émotions et les plus élevées des réponses à celle-ci : justice, humour, révolte. A l’est, au sud, aujourd’hui, avant-hier, demain.

Un fond de vérité – Zygmunt Miłoszewski

unfonddeveriteSandomierz. Le personnage principal est une ville. Une ville de Pologne au bord de la Vistule, préservée en partie lors de la Seconde Guerre Mondiale. Une cité que le procureur Teodore Szacki trouve tellement belle qu’il décide de s’y installer, fuyant Varsovie et son divorce.
Il s’y emmerde mais cela ne dure pas. Le cadavre d’une femme est retrouvée, ainsi que l’arme du crime : un poignard traditionnel juif. Les légendes sur les meurtres rituels commis sur des enfants chrétiens pour récupérer leur sang peuvent ressortir. Le passé de la Pologne pendant lequel des survivants de la Shoah ont été massacrés aussi.

Les lectures de polars nous ont habitués à voyager dans le monde anglo-saxon, Etats-Unis en tête, et dans le nord de l’Europe depuis bon nombre d’années. Le roman de Zygmunt Miłoszewski, sorti en septembre chez Pocket, est d’abord arrivé chez nous par les éditions Mirobole. Celles-ci ont une ligne graphique magnifique, une propension à explorer à l’est du vieux continent, et des propositions à la fois du côté des littératures de l’imaginaire et du roman noir, voire à la frontière des deux.

La deuxième aventure du magistrat aux cheveux blancs est dramatiquement drôle, tragiquement émouvante et presque parfaitement prenante. Le cynisme du trentenaire qui les tombe toutes mais ne se sent bien avec aucune (ou presque), est contrebalancé par le désespoir du père qui perd sa fille et l’enquêteur qui enrage. Entre les néonazis et les bien-pensant de l’autre bord qui somment de choisir un camp et pas la justice, entre l’église du pays du président Duda et une cheffe qui recouvre le monde de sucreries, Teodore fait des conneries, des saloperies et des découvertes. Miłoszewski est la nôtre et on va se jeter sur le précédent, et le suivant qui vient de sortir en grand format.

L’installation de la peur – Rui Zink

linstallationdelapeurUne femme et son enfant. Deux types débarquent. Ils viennent installer la peur. Tous les citoyens du pays sont concernés, c’est une obligation. Mais la mise en place technique ne suffit pas. Pour que l’installation soit effective, il faut qu’elle soit active, que les gens y participent.
Alors les deux types parlent, expliquent …

Qu’est-ce qu’un polar ? Une enquête ? Il n’y en a pas. Un crime ? Il est d’État, diffus, va durer des années. Rui Zink a-t-il écrit un roman ? Ou une pièce de théatre ? La part des dialogues est énorme. C’est peut-être le contraire d’un thriller. On sourit. Pourtant ce qui est raconté est gravissime.
Comme apprendre à tous les enfants d’un pays à se cacher ou s’enfuir en cas de tentative de massacre.
On dira que ce livre est là parce qu’il est dans les listes de la petite souris. Parce qu’il est chez Agullo, monté par des anciens de Mirobole (et c’est pourquoi l’objet est beau).

Il est là pour dire qu’il existe. Pour parler de ce qu’on nous fait et de ce que nous nous faisons : envisager le pire, pour qu’il advienne.

L’acteur qui voulait tuer Staline – Paul Goldberg

acteur-tuer-stalineIls sont trois à débarquer chez Solomon Chimonovitch Levinson le 24 février 1953 vers 3h du matin pour l’arrêter. Ancien soldat de la guerre civile, il est surtout un des membres du Théatre d’État Juif de Moscou.
Cette année-là, Staline s’apprête à régler la question juive en URSS : pogroms, déportations, les hommes et les trains sont bientôt prêts.
Le Komandir Levinson décide de tuer le dictateur. Il va s’entourer de Friederich Robertovitch Lewis, un soudeur noir américain, Aleksandr Sergueïevitch Kogan, chirurgien, Moisey Semionovitch, pharmacien bundiste, amant de la femme du précédent, Kima Petrova, 21 ans et limite suicidaire et Ol’ga Fiodorovna, épouse et maîtresse.

Le hasard des sorties nous a mis dans les mains une sorte de mélange des deux romans précédemment mentionnés : l’humour, le mythe du Juif sanguinaire, le voyage en pays slave du premier, l’absurdité, le théatre et la terreur du second.
Il faudra ajouter ici les cours de russe, de yiddish et surtout la poésie.

Parce qu’il y a des morts, certains savent la donner, ils ont eu suffisamment d’occasions de l’apprendre, mais au milieu il y a ce nègre qui sait réciter le kaddish, qui est venu d’Omaha pour participer à la Révolution et ne peut que constater la symétrie des racismes, de part et d’autre du Pacifique. Cet homme est au milieu de la vie, quand ses compagnons sont plus près de la fin ou quasiment au début.
Au milieu de la vie, et au milieu de l’Histoire. Où le pire n’est jamais sûr.

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