Petite sélection de polars sortis au printemps, à lire pendant l’été. Nous vous proposons une collaboration d’auteurs français, un récit historique dans l’Espagne de la Première République et un autre dans la France occupée.
L’honorable société – Manotti/DOA
Ils sont trois, militants écologistes. Julien, le hacker, Erwan, le chef, et Saffron, la petite amie du chef. Ils parviennent à pirater l’ordinateur personnel de Benoit Soubise, chef de la sécurité au CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Via sa webcam, ils assistent au cambriolage de son appartement, puis à son assassinat.
L’enquête dirigée par Pétrus Pâris, du 36 quai des orfèvres, s’oriente vers les trois jeunes, rapidement qualifiés dans la presse d’éco-terroristes.
Sauf que Soubise était un flic de la DRCG, et qu’il était devenu récemment l’intime de Barbara Borzeix, qui dirige le service juridique de la plus grande entreprise de BTP, sous les ordres d’Elisa Picot-Robert. Les liens de celle-ci avec le candidat de droite à la présidentielle sont plus qu’étroits.
Et nous sommes en plein dans l’entre-deux-tours.
Agrégée d’histoire, Dominique Manotti a déjà écrit des romans sur la corruption, le foot, la spéculation immobilière etc…DOA (Dead On Arrival) a lui été scénariste de la série Braquo et ses livres précédents parlaient de terrorisme, de services secrets, de mafia, entre autres.
En lisant le résultat de leur collaboration, on pense bien sûr à Sarko, DSK, Lauvergeon, à Bouygues, Lagardère, à Tarnac. Et on se dit que voilà un sujet et une intrigue vraiment casse-gueule. Alors la maitrise en est d’autant plus impressionnante. Au lieu d’avoir deux auteurs qui ajoutent leurs différentes couches, au risque de surcharger, on a l’impression que chacun a aidé l’autre à dégraisser. En gérant un certain nombre de personnages (flics, politiques, journalistes, barbouzes, substitut du procureur, femmes d’affaires, gamins paumés), ils ne s’appesantissent sur aucun, les pièces peuvent bouger les unes par rapport aux autres.
Dans une scène de perquisition chez le terroriste présumé, Pâris trouve des livres sur les situationnistes, anarchistes, marxistes, écologistes. Et des polars : « les inévitables Manchette, Daeninckx, Izzo, Fajardie. » Du premier, les auteurs ont pris l’écriture au plus près de l’os, du dernier la polarisation politique.
Avant le grand cirque de 2017, cette réédition est bienvenue.
Barcelona – Daniel Sanchez Pardos
Barcelone, 1874. Gabriel Camarasa a regagné l’Espagne avec sa famille, 6 ans après l’avoir fui lors de la Révolution. Etudiant en architecture, il rencontre un élève plus âgé que lui qui va bientôt devenir son ami : Antoni Gaudi. Celui-ci lui sauve la vie alors qu’ils assistent à un incendie.
Le bâtiment détruit abritait un journal : « la Gazette du soir », le principal concurrent des « Nouvelles Illustrées », dirigées par le père de Gabriel. Sempronio Camarasa est accusé du crime, et bientôt d’un autre beaucoup plus grave.
Fiona Begg, l’illustratrice vedette du quotidien spécialisé dans les affaires criminelles, va s’associer au duo, achevant le mélange entre sentiments et mystères à éclairer.
Il y a quelque chose de suranné dans la langue et la vision de ce jeune narrateur. Sans doute une question de milieu social. Ou parce que ce personnage est vu par tous les autres, et lui même, comme naïf.
Alors bien sûr, ce qui va lui arriver va le transformer, en même temps que son pays. Heureux ceux qui ne connaissent pas l’histoire de l’Espagne, ni celle de son célèbre architecte barcelonais : Daniel Sanchez Pardos va les promener dans les rues de la capitale Catalane, à son rythme. Pas très rapide, on est à pieds. Mais avec pas mal de survols en même temps, on ne peut pas rester devant chaque bâtiment (sauf l’église Santa Maria Del Mar). Parfois avec des coups d’œil en arrière pour dire devant quoi on est passé, ou des anticipations sur ce qu’il y a après un virage. Baladé dans la crasse, la misère, la haute société, les complots… et ce qui mène les génies.
Poursuivre ses propres dragons ?
Le Bon Camp – Eric Guillon
Alger, 1961. Joseph Mat est seul dans une cave. Depuis des jours il est torturé. Le FLN a payé pour des armes qu’il n’a pas reçues. Le suplicié sait qu’il va y passer. Il en profite pour passer en revue tous ses souvenirs. Né en 14, son père mort pendant les combats, laissé par sa mère chez ses grands-parents. Le papet est anar et végétarien, Jo va en Espagne en 36. Revenu en France, il entre dans la résistance mais est balancé par un collègue communiste.
On vous la fait dans l’ordre mais dans le roman, les idées s’enchainent comme elles viennent. Une histoire amenant une anecdote, qui mentionne quelqu’un sur qui il y a presque toujours quelque chose à raconter.
Parce que Jo Mat en a croisé du monde : de Pierrot le Fou, à Robert Blémant, du Mammouth au Docteur Petiot, Eric Guillon raconte des gens réels, des gens sur qui il s’était déjà renseigné pour pondre son bouquin sur Abel Danos, sous-titré : entre Résistance et Gestapo.
C’est qu’ici entre les deux camps et le Milieu, les frontières sont au minimum poreuses. Les héros ne sont pas blancs et les enfoirés pas tout noir non plus.
On ne risque pourtant pas de se perdre dans tout ce merdier et cette profusion de blazes, parce que c’est écrit de la meilleure des façons : avec ce qu’il faut d’empathie pour le condamné (et ses amis, ses amours …) et le langage de l’époque. La gégène, c’est le bibi chatouilleur, un lit c’est un pageot, le sang, le raisiné etc …
La plus grande partie du roman se passe pendant la Seconde Guerre Mondiale et donne envie d’en apprendre plus sur les truands avant et après celle-ci. Peut-être en allant voir, entre autres, les bouquins sur le tatouage sortis aussi chez La Manufacture du Livre.