Essais : Michel Odent et Fabienne Cazalis

Il y a 20 ans, Michel Odent, fort de ses diverses expériences médicales autour de la naissance et de son travail de recherche en santé primale (1), publiait son livre fondateur. Mais peu nombreux étaient les lecteurs en France qui pouvaient le comprendre, quand, outre le contexte très médicalisant de la maternité, l’éditeur d’alors avait, dès le titre, délayé le message initial.

Essais-Bébémammifère

Aujourd’hui, les éditions l’Instant Présent nous offrent la possibilité de le (re)découvrir sous son véritable titre et dans son intégralité. Une introduction à cette seconde édition française, par l’auteur lui-même, apporte des précisions quant à la lecture de l’ouvrage : un avertissement sur le fait que, malgré son avant-gardisme, ce texte a bien été écrit il y a deux décennies et en porte parfois les marques, et des clefs pour aller plus loin en ce qui concerne des chapitres qui prendraient plus d’ampleur aujourd’hui.

Le bébé est un mammifère, pas une personne, il vient sans masque et, depuis des millénaires, le monde dans lequel il vient s’est chargé, par le biais de nombreux rituels, de lui en forcer un en ne permettant pas un contact néo-natal prolongé avec sa mère, et en lui empêchant de fait l’accès au colostrum (2).

Avant cela, même, il est rare que l’accouchement soit protégé comme il le devrait. La sécurité apportée par la médicalisation est toute relative, et chaque intervention, même minime, même seulement verbale, risque de perturber la physiologie particulière de ce moment. Michel Odent, responsable du service de chirurgie à l’hôpital de Pithiviers, puis en tant que « sage-femme » accompagnant des accouchements à domicile à Londres, a proposé des aménagements en structure pour les unes et a étudié respectueusement les besoins de base de toutes. Il en tire des conclusions intelligentes et simples qui ont le pouvoir de transfigurer notre vision de la naissance et permettront ce qu’il appelle « la révolution colostrale« . Genèse de l’homme écologique… et non retour en arrière, ou retour, s’il faut vraiment ce mot, vers ce qu’on n’aurait jamais dû, si ce n’est quitter, du moins perdre de vue : la femme qui accouche doit à la fois se sentir en sécurité et à la fois ne pas être ou ne pas se sentir observée pour libérer l’hormone principale nécessaire à son merveilleux travail et à l’attachement avec son bébé.

Michel Odent se veut-il provocateur quand il dit que le plus grand degré d’humanisation de la naissance serait la césarienne pour toutes ? ou bien a-t-il simplement une vive conscience (et l’intention tout aussi vive de la partager) des dérives malheureusement très actuelles dans les pays industrialisés autour de la médicalisation excessive des naissances par rapport aux nécessités de notre mammalité(3) qu’on ne peut pas ne pas reconnaître ? Par ailleurs, il pointe aussi l’excès d’images de naissances dites naturelles parce que dans l’eau ou à quatre pattes, dans la mesure où elles induisent un conditionnement de femme entourée (et observée de fait) d’autres personnes, incluant un ou des hommes, car pour lui, l’essentiel est de rendre aux femmes le droit de s’isoler vraiment et le respecter. Les sages-femmes ayant elles-mêmes leur propre expérience d’un accouchement physiologique (4) et/ou travaillant principalement à l’oreille leur rendraient donc le meilleur service.

Au long des treize chapitres de ce livre, on pourra être interpelé comme dit précédemment par quelques rares lignes un peu « datées », mais aussi, même sans être un néophyte des questions abordées, par des concepts détonnant dans notre vision limitée de la maternité : ainsi sera-t-on bien inspiré de lire avec une attention particulière le chapitre « Allaitement et monogamie », de ne pas s’offusquer de ce qui peut choquer au premier abord et d’en prolonger les questions par d’autres encore.

Enfin, il est bon de se laisser porter aussi par les photos qui émaillent cette réédition et dont les sujets répondent à leur façon à l’éloquent regard du bébé en couverture.

Retrouvons ici les deux volets d’une interview que les éditions l’Instant Présent ont mise en ligne pour compléter la parution du livre : nous y découvrons un homme passionné et passionnant et les quelques minutes d’entretien auxquelles nous assistons paraissent bien courtes…

Essais-Curiosites-enfantement

Par ailleurs, il sera enrichissant de compléter la lecture de « Le bébé est un mammifère » par celle du court texte de Fabienne Cazalis « Curiosités de l’enfantement », chez le même éditeur.

A travers une collection d’extraits de publications scientifiques récentes, Fabienne Cazalis nous offre un tour d’horizon non exhaustif du sujet, et évidemment subjectif, mais ses engagements humanistes, transdisciplinaires et non violents s’accompagnent d’une invitation à chacun à approfondir de ses propres recherches et rencontres. Ses quelques chapitres qui tiennent chacun sur deux à six pages du petit fascicule abordent un historique des risques de l’accouchement, la mammalité, la question de la présence du père, la sexualité post-partum… Le point de vue est celui du plus grand respect de la parturiente qu’une collaboration éclairée des futurs parents et des praticiens de la naissance permettra et préservera.

(1) étude des conséquences des événements qui se déroulent durant la période primale (de la conception au premier anniversaire) sur la santé et le comportement de l’enfant et de l’adulte qu’il deviendra.

(2)Le colostrum est un liquide épais riche en protéines et en anticorps sécrété par la glande mammaire avant et/ou après la naissance de l’enfant, avant que la sécrétion de lait maternel ne commence.

(3)La mammalité se comprend comme l’ensemble des caractéristiques communes aux mammifères : animaux vertébrés, à poils, vivipares, allaitant et dont le cerveau comprend le néocortex.

(4)On comprendra le terme « accouchement physiologique » selon la définition actuelle du groupe de travail du Ciane : il s’agit d’un accouchement non déclenché, sans péridurale ni analgésiques, sans césarienne ni épisiotomie ni extraction instrumentale.

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