La Terre Tremble !!! sera sur la scène de l’Antipode ce samedi 23 mars dans le cadre des Embellies. Le trio sera de retour à Rennes après avoir sillonné la France pour présenter son excellent dernier album Salvage Blues (Murailles Music, 2012).
Plus fluide, mais tout aussi accidenté que les précédents, ce nouvel album (que nous avions découvert sur scène au Jardin Moderne en septembre dernier lors de sa sortie) est une éclatante réussite. On était déjà très fan de cette musique qui peut tout autant jouer sur la répétition hypnotisante que sur des virages inattendus qui, sans prévenir, catapultent les morceaux dans des directions latéralement différentes. Mais avec ce nouvel album, on a l’impression que la musique de La Terre Tremble !!! a encore gagné en épaisseur. Que cette musique pourtant déjà tout en relief, a trouvé un moyen, non pas d’estomper ses contours, mais plutôt de les souligner. Et y a ainsi gagné en fluidité.
On avait déjà rencontré le trio en 2010 pour un premier focus sur la scène rennaise [là]. On y avait découvert, plutôt emballé, un groupe qui s’interrogeait sur la notion d’originalité en musique, sur l’illusion de créer du neuf ou sur la nécessité parfois de passer par des cadres qui se révèlent libérateurs. Les mêmes gars qui n’hésitaient pas à poser avec saucisse, côtelette ou cuisse de poulet en guise d’instrument pour une photo de presse. A l’écoute de Salvage Blues, on s’était donc promis de retourner les voir pour en savoir plus sur la (difficile) gestation de l’album et sur les (éventuelles) recettes magiques qu’ils y avaient employées. Rencontre.
Ecouter l’interview :
Alter1fo : Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Paul de La Terre Tremble !!! Ce ne sont jamais les questions les plus évidentes. Je m’appelle Paul Loiseau. Je joue dans un groupe qui s’appelle La Terre Tremble !!! en tant que batteur, chanteur et même un peu plus.
Tu joues de la guitare parfois…
Je fais de la guitare. En live, on ne me voit pas trop à la guitare. Mais sur disque, je compose pas mal. J’apporte des parties plus mélodiques et des choses plus électroniques aussi. Je joue avec mes deux comparses : Julien Chevalier et Benoît Lauby, tous deux guitaristes/chanteurs. Tu veux que je parle davantage de La Terre Tremble !!! ?
Non, ça va, on a déjà fait une interview [à lire là], donc les lecteurs peuvent s’y reporter pour en savoir plus.
Le dernier disque est sorti en septembre, après une longue attente. A priori sa gestation n’a pas été évidente.
C’est ça.
Entre autres parce que vous étiez un peu pris dans des automatismes, des rôles que vous aviez plus ou moins consciemment endossés. Est-ce que tu peux nous expliquer ça ?
Oui, c’est ça. C’est quelque chose dont on s’est vraiment rendu compte à la fin de la tournée de Travail. A force de jouer pour le format scène, en reprenant la composition on s’est aperçu qu’on était vraiment coincé. Il y avait quelque chose, qui n’était pas… frais.
Je parle de rôles, parce que c’est vraiment ça. On était figé chacun dans des rôles. Moi en tant que batteur/ chanteur qui envoie beaucoup, les deux guitaristes… On était resté là-dessus. C’est très dur de sortir de ces automatismes pour pouvoir partir sur du neuf.
On a vraiment besoin d’un cadre pour travailler. J’ai envie de dire, de quelque chose d’intimiste. Mais je ne sais même pas si c’est ça. On a besoin de se foutre des coups de pied au cul pour être dans l’inconfort. Toutes ces tournées, ça devenait trop confortable. Il y avait trop de choses acquises.
Donc on a mis le temps, vraiment, pour déjà souffler et ne pas trop se donner la contrainte de « il faut vite enregistrer un disque » . Parce que si ça ne vient pas, il ne faut pas se forcer. Et ce n’est pas grave. Et puis petit à petit… Il n’y a que le temps qui puisse régler ces choses. Donc, on a mis le temps.
Sur Elements, vous avez dit que vous vous étiez imposés un cadre, que vous étiez partis d’un motif rythmique. C’est une manière justement, d’échapper aux automatismes ?
Oui. C’est d’ailleurs la première chanson qui est venue. Ça faisait vraiment longtemps qu’on bloquait sur des choses qui n’avançaient pas. C’est parti d’une rythmique, tu vois, un truc assez monolithique, une note. On reste là-dessus et on essaie de construire avec ce peu de matériau. Centré sur cette rythmique assez martiale. Ça te donne une sorte de cadre. Mais je crois que je vous en avais déjà parlé… [on acquiesce] Que c’était à l’intérieur des cadres qu’on pouvait se sentir vraiment libre. C’est sur cette base solide, à partir de ça, qu’on s’est mis à broder.
Ça a été le déclencheur ?
Il me semble, oui. Il y a vraiment eu cette chanson qui a décoincé le truc. Ça durait depuis un petit moment. Ça faisait vraiment un an qu’on n’avait rien.
C’est dur…
C’est dur, mais en même temps, il faut savoir l’accepter. Et à partir de ce moment-là, il y a eu une espèce de, je ne sais pas, je parle souvent de couleur. On s’est rendu compte qu’il y avait un son qui commençait à se pointer.
C’est aussi lié au lieu dans lequel on a bossé, le studio Chaudelande, un endroit perdu dans le Cotentin. Une petite baraque retapée en studio. On a vraiment pu investir ce lieu, qui est également tenu par des potes. Les murs y ont une couleur. Ils ont apporté quelque chose au son du disque. Je ne saurais pas trop définir cette couleur, mais nous ça nous a paru évident. Au bout d’un moment, il y avait quelque chose qui se dégageait. Les choses sont allées un peu plus vite à ce moment-là.
On a l’impression que si ce nouveau disque continue à jouer avec les ruptures, à casser les structures, il est néanmoins plus fluide que les précédents. Tu es d’accord ? D’où ça vient à ton avis ?
On est d’accord, oui ! Je prends ça comme un compliment. [c’en est un] Pourtant on ne s’est vraiment pas dit avant l’enregistrement : « allez, faisons des choses plus fluides ». C’est venu assez naturellement. C’est aussi parce que faire des chansons, comme tu dis, pleine de ruptures, de cassures, ce n’était pas vraiment pas le but de La Terre Tremble !!! au départ.
Avec le recul, je me rends compte qu’on faisait presque ça par défaut. C’était nos erreurs, les erreurs du moment. Ce n’était pas un but en soi, on n’a jamais eu envie de faire une musique déstructurée. On s’imaginait faire des chansons. Je considère qu’on avait dans l’idée de faire des chansons et que quelque part, on les a ratées. (rires)
C’est ce qui fait que ça donne quelque chose aussi, le fait de rater. Je suis pour rater des choses, ça apporte aussi des choses. Avec Salvage Blues, effectivement, il y a peut-être quelque chose d’un peu plus droit, plus centré.
Malgré le fait qu’on ne se refait pas. Je n’arrive pas à considérer une chanson comme un truc qui va tout droit.
Même Elements, avec son refrain, n’est pas tout droit.
(Rires) Ça vient de notre approche de la musique. Je n’arrive pas à imaginer les chansons comme une ligne chronologique. Les choses font toujours des déviations, des transversales, des allers-retours. On joue beaucoup avec des notions de temps dans les chansons. On peut étirer le temps, le compresser. C’est assez ludique comme manière de faire.
Sur ce nouvel album les voix et le chant semblent prendre une nouvelle place. D’où vient cette envie ? Du fait d’avoir bossé avec Eric dans The Patriotic Sunday où les voix et les chœurs prennent une place importante (il nous a dit [interview de The Patriotic Sunday là] que c’est toi qui était arrivé avec les chœurs par exemple) ? C’est venu avant ? De ce projet-là ?
Non, je crois que l’envie de chanter, pour le coup, c’est venu avec le live. Les chansons de Travail, on se les est réappropriées pour la scène. Du coup, je me suis mis à sortir plus de moi-même, à crier plus, à sortir beaucoup plus de choses. Tout ça, ça m’a plu. Je me suis rendu compte que c’était là que je me sentais libre, quand je me mettais à crier comme un con dans mon micro (rires).
On a composé les chansons avec le chant. Ça a changé tout de notre approche de la composition. C’est pour ça aussi, je pense, que les chansons sont un peu plus droites qu’avant. C’est parce que le chant était en partie l’élément central.
Quand tu dis que vous composez avec le chant, c’est-à-dire que vous pensez le chant d’abord ? Euh, … Ce n’est peut-être pas facile à expliquer…
Ce n’est pas facile à expliquer et ça dépend des chansons. Mais il est clair que quand on s’est mis à composer, je n’ai pas trop attendu avant de chanter. Je me mettais à chanter en même temps que je jouais de la batterie. C’était une grande première parce qu’avant je plaquais le chant par-dessus ce que je jouais. Ce qui n’était pas toujours évident ! C’était dur pour placer là voix.
Maintenant j’ai l’impression que j’arrive un peu plus à mêler mon jeu de batterie avec ma manière de chanter. Les deux sont composés ensemble, presque comme si c’était un seul et même instrument. Le chant a quelque chose d’un peu plus rythmique, de plus clair.
Quand vous enregistrez, vous faites prise par prise ou plutôt live ?
Quand on enregistre, on aime bien s’amuser. Il y a vraiment de tout, il y a toutes les approches. Contrairement à pas mal de collègues dans le milieu de la noise ou de l’indé, je ne suis pas non plus un acharné de la prise live. C’est très bien, parce que c’est là que tu auras le plus d’énergie. Ce truc comme une espèce de photo, d’un instantané… J’aime bien.
Mais pour nous, le studio sert à autre chose. Si ce n’était que ça, pour moi, ça ne servirait à rien. J’ai déjà dû le dire mais le studio a toujours été un lieu d’expérimentations pour nous. Donc je ne crache pas du tout sur le prise par prise.
En général, dans les chansons il y a une base qui a été enregistrée live, c’est-à-dire batterie et deux guitares. Et par-dessus cette base, on brode avec les chants, les instruments annexes, des guitares en plus, plein de trucs.
On ne s’est vraiment pas limité sur cet album. Il y a des chansons où il y a plus de 80 pistes. C’est n’importe quoi ! Mais ce n’était pas du gadget pour nous. On avait besoin qu’il y ait 80 pistes sur certains morceaux, pour faire ces espèces de cathédrales. Des cathédrales qui parfois sont un peu branlantes (rires) mais où il y a cette idée assez monolithique, qui déborde. Mais aussi une base très solide, vraiment comme du roc(k).
Pour Travail vous aviez enregistré sur un temps restreint, imparti, dans un lieu « inconnu ». Pour ce nouvel album, vous avez enregistré au studio Chaudelande sans contrainte de temps. Pourquoi ce choix ? C’est venu d’une frustration par rapport à l’enregistrement de Travail ?
Non, non, Travail, je suis content qu’on l’ait enregistré dans ces conditions. On l’a vraiment enregistré en une semaine avec Miguel [Constantino] qu’on ne connaissait pas du tout au moment de l’enregistrement. Vraiment on rencontrait ce gars-là. Les choses ont dû se faire vite. Maintenant, c’est évident que quand j’écoute Travail je me dis qu’on aurait pu procéder autrement. Je suis toujours très sévère avec les albums qu’on a faits avant.
Pour Salvage Blues, l’idée c’était de prendre le contre-pied de tout ça, de faire l’inverse. C’est-à-dire occuper un lieu pendant près d’un an, vraiment travailler. Autant sur Travail, on a beaucoup délégué à Miguel. Pour ce qui est du mixage, on était derrière, on supervisait de loin. Autant sur cet album, si on avait pu l’enregistrer nous-mêmes on l’aurait fait. Sauf qu’on n’a pas les qualités techniques pour le faire.
On bossait avec Manu Laffeach qui est notre ingé-son en live, un gars qu’on connaît bien et qui pige bien ce qu’on veut assez vite. On a vraiment bossé à quatre sur la conception très technique de l’album. Et en particulier sur le mixage, qui était la partie la plus chaotique de la conception.
Alors, la composition c’était dur, l’enregistrement facile, le mixage l’horreur…
L’enregistrement, cool, vraiment cool et le mixage un calvaire ! Ça a vraiment failli partir en naufrage. Il y a même eu des moments où on s’est dit : « arrêtons l’album. On passe à autre chose. Arrêtons. » On en est venu à des crises de nerfs pas possibles.
On a failli tout arrêter parce qu’on avait une sorte d’ « idée » précise de ce qu’on voulait pour le mix. En fait, on avait des concepts. Donc ce n’est pas du tout concret. C’est très abstrait. On voulait vraiment rompre avec les codes habituels du mix qui sont toujours « un peu trop », à mon goût… Dans le mix, on cherche trop à équilibrer. Il faut toujours que tout ait sa place. Tout est trop bien rangé. C’est comme une coupe de cheveux trop bien faite.
Nous, on voulait vraiment que ça déborde, que ça bave. Et bien, mine de rien, c’est dur à faire ! Finalement, il faut le provoquer. On a peut-être fait des erreurs au niveau de l’enregistrement, je n’en sais rien. On n’aurait peut-être pas dû enregistrer de cette manière, parce qu’il se trouve qu’au mix, on s’est retrouvé comme des cons, bloqués.
Mais on s’est un peu posé. On a laissé le mix reposer pendant quelques mois et on est revenu. Je ne sais pas pourquoi, au bout d’un moment, c’est allé beaucoup plus vite. Je ne sais pas, on avait fait notre petite cuisine dans notre coin. On avait réfléchi à ce qu’on voulait. On est arrivé avec des idées assez claires (enfin un peu plus claires) auprès de Manu. Et ça s’est débloqué ! Et aujourd’hui, je suis très très content du mixage qu’on a fait.
Pour le mixage, il y a eu une intervention quasi magique d’un vieil écho à bandes, tu peux nous expliquer ça ?
Tu as lu les interviews, toi ! (rires)
Je n’ai pas envie de me borner à la pureté du son. Ça ne m’intéresse pas trop. C’est dur ! Tu dois te battre avec les ingénieurs du son sur cette question en général. Parce que quand ils ont fait une prise, ils aiment garder la pureté de cette prise parce qu’elle est bien faite. « Regarde : on entend tout, les graves les aigus, la pureté du spectre ! Regarde, c’est parfait. Il faut le laisser tel quel » Et nous trois, on est plutôt du genre à se dire « non, pourrissons cette chose, cassons-la, brisons-la ! »
Encore une fois !
Je ne suis pas contre cette idée de passer les sons par des filtres, des choses très artificielles qui ajoutent quelque chose. Ma culture musicale est beaucoup liée aux sixties, et tous ces producteurs qui ont fait des choses incroyables. Je pense à Joe Meek ou à Phil Spector qui n’hésitaient pas à trafiquer, à briser les choses. Il y a eu cet outil, mais il y en a eu d’autre. Ce petit écho à bandes nous a vraiment sauvés parce qu’on a passé la plupart des pistes dans cette machine et ça nous a permis d’avoir une sorte d’écho un peu dub parfois… Enfin dub froid ! (rires) Il y avait une sorte de texture. Ce qu’on voulait, c’est qu’il y ait de la texture, un grain chaud, un peu rugueux. Ce genre de petit outil nous a permis d’arriver à ça.
Qu’est-ce que vous appréciez vous quand vous êtes en studio. Souvent on se pose la question de comment on passe du live au studio. Vous a priori, vous avez l’air d’apprécier. Qu’est ce que vous y aimez bien ?
J’aime et je déteste à la fois (rires).
C’est-à-dire que c’est un stress énorme. Vraiment. Je crois que le pire, ce sont les prises lives. C’est un calvaire pour nous parce qu’on est obligé de les refaire une centaine de fois. On n’est vraiment pas des supers bons techniciens de la musique, ce qui fait qu’on n’arrive pas à faire les choses bien d’un coup. Pour nous, c’est quand même une source de stress.
Mais ce qu’on apprécie, c’est justement le moment où on arrive à la partie production. C’est-à-dire qu’on a une base, qui vaut ce qu’elle vaut. Et comment fait-on pour sublimer le morceau maintenant ? Ça se rapproche plus de la production. La manière d’arranger un morceau. Ce que je préfère, c’est justement ce dont je te parlais : avoir un écho à bande et tripper, taper sur une caisse claire et ça ne ressemble plus à une caisse claire… Souffler dans un harmonica et mettre dix milliards d’effets par-dessus, ça donne un effet de trompette bizarroïde… Ce truc un peu psychédélique. Tout ça, c’est ce qui me plait. Quand ça devient un terrain de jeu.
Après c’est toujours dur parce que tu pourrais y passer des semaines et des semaines et des mois. Tu n’as plus envie de t’arrêter. Et à la fin, ton morceau ne ressemble plus à rien. Il ne ressemble plus du tout à l’idée initiale du morceau. Il faut savoir s’arrêter. C’est le plus dur aussi.
Je crois que c’est pour ça qu’il y a des gens qui prennent des producteurs justement.
Oui, c’est ce qu’on s’est dit, que ce serait bien qu’il y ait un mec un moment qui nous supervise parce qu’on n’est pas capable de savoir quand est-ce que le morceau est fini. C’était très dur.
Miguel pour Travail, avait davantage ce pouvoir-là. Je crois qu’il nous a un peu plus guidés sur la forme des morceaux, sur quand est-ce qu’il sentait que c’était fini. Tandis que Manu, je ne sais pas comment dire, il n’avait peut-être le recul que pouvait avoir Miguel. C’est comme si Manu faisait partie de La Terre Tremble !!!! sur cet album. Du coup, il n’avait pas le recul non plus. C’est pour ça que ça a été chaotique, mais qu’on s’en est bien sorti, je trouve.
Il y a un autre musicien qui est intervenu sur le disque. Il s’agit de Pierre Lambla qui est venu jouer du tuba et du cornet sur le disque. Comment s’est passée la rencontre et pourquoi avez-vous eu envie de ces instruments là ?
En fait, tout s’est fait via Thomas Poli, guitariste chez Dominique A entre autre. Il est venu nous aider pour l’enregistrement des voix. Parce qu’on n’a pas enregistré les voix à Chaudelande. Enfin, on a d’abord fait un enregistrement de voix à Chaudelande mais qui était catastrophique. Je n’étais pas du tout dans le mood pour chanter. Il y a quelque chose qui ne s’est pas passé, justement. Donc on a tout ré-enregistré à Rennes, chez moi. Thomas est venu nous aider à ce moment-là. Il est venu avec des micros. Il a vraiment contribué à l’enregistrement des voix.
Ça faisait un moment qu’on avait envie de cuivres sur cet album, qu’on avait envie de ces sonorités. Il y a pas mal de chansons où on entendait les « trompettes de la mort ». C’était vraiment pour rajouter un côté apocalyptique à la musique, je ne sais pas… Il y avait besoin d’un son de basse et donc on cherchait quelqu’un qui pourrait jouer non pas du cornet mais du tuba à la base. Et donc, c’est Thomas Poli qui nous a parlé de ce type qui habite à Vendôme. On est allé le voir direct et il était trop chaud pour le faire.
On est allé chez lui, enregistrer ça avec Thomas Poli. C’est un type assez extraordinaire. Il me fait penser à un mec des Mothers of Invention de Zappa. Je ne sais pas trop comment dire. Il a une dégaine assez hallucinée. C’est un type vraiment extraordinaire. On lui a envoyé les morceaux à l’avance. Je lui avais dit : « le morceau il est en fa ou… » Et lui est arrivé en ayant carrément composé des trucs, des harmonies là-dessus. On a tout enregistré en piste par piste chez lui.
Sa maison est accolée à une grotte troglodyte, c’est assez hallucinant. Il a une sorte de studio dans cette grotte troglodyte. On a tout enregistré là-dedans. Il y avait une super réverb’. C’était vraiment génial. Super belle rencontre. Et vraiment, j’espère refaire des choses avec ce gars. Et notamment, en live.
On a une espèce de projet qui nous trotte dans la tête, d’un jour (je ne sais pas quand), faire une version live de Salvage Blues avec les arrangements de cuivres. Ce serait mortel ! Mais il faudrait au moins un quartet de cuivres, pour que ça tienne la route, je pense… Ce serait bien. On ne lui a pas encore demandé. Mais j’aimerais bien qu’il participe à ça. Même pour les prochains albums, j’aimerais bien refaire appel à lui.
L’ordre de la tracklist est important sur un disque, il vient souvent faire sens. Comment avez-vous choisi l’ordre des titres pour Salvage Blues ?
C’est compliqué. Il y a une histoire de rythme. On considère presque un disque comme un film. Il y a quelque chose de cet ordre-là. Ça paraît un peu pompeux, mais j’allais aussi dire comme un opéra. Il y a toujours cette idée d’ouverture, de développement et une conclusion. Il y a des choses qui coulaient de source. On n’a pas tant galéré que ça pour l’ordre des chansons. On était tous d’accord. Il y avait une évidence dans l’ordre des morceaux, notamment sur le morceau d’ouverture. Quand on l’a enregistré, on a tout de suite vu que c’était un morceau d’ouverture. C’est pareil pour le dernier morceau. Pour nous, c’était nécessaire de terminer par quelque chose de très calme. C’est comme si on était des cow-boys sur nos chevaux et qu’on partait au loin en disant au revoir avec un coucher de soleil en arrière–fond…
Avec Patriotic Sunday, au contraire, c’était beaucoup plus dur pour choisir l’ordre des morceaux parce que c’est un disque de pop. On n’était pas du tout d’accord avec Éric. C’était étrange. Tu te rends compte que tu peux changer la couleur d’un disque en inversant les chansons, en les changeant de place…
Après les pochettes de Travail ou Trompe l’œil, assez minimalistes, géométriques et « abstraites », celle de Salvage Blues surprend pas mal. D’où vient l’artwork de l’album ?
Comme d’habitude, on a voulu prendre le contre-pied du précédent. Au départ, je devais me coller à la conception de la pochette. J’ai essayé plein de choses. On avait juste dans l’idée de sortir du truc complètement graphique, mathématique, optique, comme on avait fait sur Travail. On voulait quelque chose de très charnel. Voire violent. Quelque chose de figuratif. Et je ne sais pas pourquoi, depuis le début on imaginait une peinture, une peinture très classique presque.
J’ai essayé de peindre des choses. Ça ne marchait pas parce que je ne suis pas non plus un super peintre. J’ai mis la barre trop haut. Au bout d’un moment, je me suis dit : « je laisse tomber et on va confier ça à un copain ! » Il s’appelle Simon Poligné. C’est un gars de Rennes, qui, il me semble, fait les Beaux-Arts. Il bosse dans plein de trucs, dans des collectifs artistiques comme Superstrat. Il joue dans le groupe Condor qui a joué à notre release party. Il joue dans des groupes d’impro, électronique, trucs débiles… On savait qu’il peignait des choses.
Au départ on est allé le voir pour lui demander une peinture. On lui a fait un cahier des charges assez précis. Il se trouve qu’il ne l’a pas vraiment respecté. (rires) Mais quand même il y avait l’idée de base qu’on souhaitait, à savoir, quelque chose d’assez violent, l’idée de quelque chose de figuratif qui partirait vers quelque chose de très abstrait. Il y a un truc un peu vaporeux qui se dégage de cette pochette. J’en suis hyper content : je trouve qu’elle ressemble vraiment à la musique.
Tu parlais de couleurs justement. Est-ce que ces couleurs correspondent à celle de la musique ?
Elles correspondent absolument pour moi. Dans ce sens où elle a quelque chose d’à la fois très sombre et a en même temps ces couleurs presque fluos. Elle est très contrastée. Je l’aime bien aussi parce qu’il y a plein de manières de la regarder. Il y a plein de points de vue possibles. On peut l’observer des heures, voir qu’il y a des choses à l’arrière, sur les côtés. Tout se répond. Tout en étant assez bancal. C’est assymétrique. C’est exactement ce dont on avait besoin.
En plus de l’artwork, vous aviez fait une sorte d’encart promotionnel à la Chris Ware pour la presse, si j’ai tout compris. Tu peux nous en parler ?
En fait, je regrette presque d’avoir fait ce truc car dans les chroniques, c’est revenu tout le temps. Beaucoup de gens ont adoré ce truc. Nous on voyait ça comme une blague. Et beaucoup de gens ont aussi pris ça un peu au sérieux. Du style presque : « pour qui ils se prennent à donner des directives ‘nous on fait pas de math-rock, on fait pas de l’indie, etc…’ »
Tu parlais de Chris Ware. C’est évident que c’est en voyant les BD de Chris Ware et sa manière de monter les choses et de les formuler avec cette espèce d’ironie un peu acide qu’on a eu envie de rigoler avec ça et de ne pas juste proposer quelque chose de formel. Parce qu’on n’arrive pas à parler de notre musique. On a donc eu envie de prendre cet outil-là pour faire une blague. Mais bien faite. (rires)
Une question qui n’a rien à voir, mais tu peux nous parler de Shakespeare ?
(Rires) Non, je ne peux pas vous en parler (rires) Tu as vu l’interview ? [on acquiesce de nouveau]
C’est sur la chanson Elements.
Je compose quasiment les paroles au dernier moment, juste avant d’enregistrer. Et avant ça, ce sont soit des espèces de pseudo-yaourt ou des bribes de phrases que j’ai dans la tête ou des trucs que j’ai notés. Je n’arrive pas à écrire les paroles en même temps que de composer la musique.
Il se trouve que là, j’avais ce bouquin qui traînait avec moi, un bouquin de Shakespeare, La Nuit des Rois. Ce bouquin m’a vraiment touché. Mais là, pour le coup, je l’ai vraiment ouvert à une page au hasard. Ça peut paraître présomptueux, mais presque un peu, comme Burroughs pourrait le faire à la manière du cut-up. « Bon on va tomber là-dessus et je vais essayer de mélanger les phrases. » Mais en fait, j’ai vraiment pris un paragraphe en entier. J’ai chanté en lisant ce texte. Ça sonnait parfaitement. Il y avait quelque chose de musical dans la langue, ça coulait. Donc au bout d’un moment, je me suis dit : « je vais devoir écrire et je ne retrouverais pas la métrique, le truc qui coule ».
J’ai décidé de rester un peu centré sur ce texte. Je ne l’ai pas gardé tel quel. Je l’ai un peu changé. Mais j’ai gardé la métrique. J’ai un peu écrit par-dessus le texte de Shakespeare (rires). Ça peut paraître bizarre.
Ça ne me pose aucun problème parce que ça pourrait presque ressembler à du sampling. C’est un peu comme le sample pour le hip hop, on reprend des bouts de trucs. Je ne suis pas complexé par l’idée qu’il faut que tout vienne de toit [on en avait déjà parlé là], au contraire. Pour moi, la musique ne sert pas à exprimer mon moi intérieur.
On se sert de ce qui nous entoure. Ça peut être n’importe quoi : ça peut être dans la pub, dans de la littérature classique… Je ne suis pas complexé par rapport à ça. Musicalement on le fait. On pioche à gauche, à droite. Même si on ne va pas jusqu’à pomper des plans à des groupes qu’on aime. Là on a poussé le truc jusqu’à se retrouver avec ce texte de Shakespeare.
Pour finir, vous jouez aux Embellies samedi 23 avril. Après cette date, quels sont vos projets à venir ? Des choses que tu voudrais souligner particulièrement ?
Tout est à souligner. (rires) Là, jusqu’à juin, il y a pas mal de dates, des tournées à droite à gauche. Il y a cette date aux Embellies. C’est bien parce que ça faisait longtemps qu’on n’avait pas joué à Rennes et on sentait que c’était le moment de donner quelque chose à notre public rennais. On est content de faire cette date, surtout à l’Antipode. On n’a jamais joué à l’Antipode.
Il y a aussi le ciné-concert qu’on fait sur les vieux cartoons des années 30. On le refait à Rennes en septembre. Il y a Nancy bientôt. Il y a d’autres dates. On va commencer à le jouer en France.
Excuse-moi, je t’interromps. Mais à ce propos, il y a quelque chose qui m’a semblé curieux. Vous êtes des gros mordus de films, et le choix de Tom et Jerry semble plutôt surprenant… Pourquoi ce choix ?
Justement parce qu’on est des gros mordus de films ! On a préféré se diriger vers quelque chose qu’on ne connaissait pas trop, qui pour nous, était assez léger. Au départ, c’est l’Antipode qui nous a proposé ce ciné-concert et ils nous ont laissé le choix du film. Ça a été un calvaire, justement parce qu’on est des mordus de films. Au début tu es tenté de prendre tes films préférés. Et puis tu les regardes et là tu te dis : « mais qu’est ce que je vais apporter ? » parce qu’au niveau du rythme, le son, pfff…
Justement, quels sont vos films préférés ?
(rires) Je n’en sais rien. Il faudrait en citer une centaine. Je ne sais plus, mais on a tout envisagé ! Mais même des daubes… Il était question des Gremlins un moment. Des Gremlins à Kubrick, on a tout exploré et rien n’était envisageable. A un moment, on s’est dit : « est-ce qu’on ne ferait pas mieux de faire des formes courtes ? » On est vite arrivé à cette idée de vieux cartoons. On est allé regarder ce qui se faisait et on est tombé sur les studios Van Beuren qui font ces deux personnages Tom et Jerry (qui ne sont donc pas le chat et la souris qu’on connaît habituellement). Il y avait quelque chose qui collait tout de suite, au niveau du rythme, de l’ambiance.
Ça nous a paru suffisamment riche et léger. En même temps, ce n’est pas quelque chose qu’on respecte comme un Kubrick ou un Herzog qui ferait qu’on serait sous le poids de ces réalisateurs. Même s’il y a des ciné-concerts sur l’Aurore (F.W. Murnau) par exemple : Mellano a très bien fait ça. Mais on ne s’en sentait pas capable.
On a rencontré Red un soir dans un bar à l’époque où on cherchait un film. On savait qu’il avait fait un ciné-concert sur le match de foot Séville 82. Il nous a dit : « mais les gars, ne prenez surtout pas un chef d’œuvre, surtout pas un muet noir et blanc. Prenez un épisode de Derrick. Ça fera l’affaire. Vous aurez bien plus de choses à dire sur quelque chose de vide que sur un gros film »
On ne l’a pas trop écouté non plus parce que les dessins animés Tom et Jerry sont très riches. Mais ce sont des choses moins lourdes.
Comment ça se passe pour composer pour un ciné-concert ?
On se sert quand même de matériaux qui viennent de ce qu’on fait à la fois sur Salvage Blues et de ce qu’on fait en live. On va reprendre des bribes de choses qui sont dans nos compos, que ce soit un sample, un riff, une mélodie… On essaie de construire quelque chose avec. C’est très étrange. Je pensais que ce serait plus compliqué que ça. Mais le film te donne une sorte de partition que tu dois suivre. Les choses sont allées assez vite.
Par rapport à ce qu’on a joué la dernière fois sur Rennes, on va allonger un peu le ciné-concert. Il va durer une heure à peu près. Il y aura un peu plus de courts métrages de Tom Et Jerry.
D’autres choses avec The Patriotic Sunday éventuellement ?
On a fait une mini-tournée récemment plutôt dans le sud et puis à Rennes ! Ça faisait du bien de reprendre ce projet qui pour nous est assez léger. J’aime bien être au service d’Eric. C’est très jouissif d’être au service de son écriture.
Lui, il est super occupé, mais il me semble qu’on va tourner fin mai, notamment avec des dates à Lorient et Bordeaux avec un type qu’on adore qui s’appelle Chris Cohen. On est ravi. On est aux anges de jouer avec ce type parce qu’on est vraiment fanatique de son dernier album. Deux dates avec ce gars, c’est le bonheur !
Merci !!
Merci beaucoup.
Prise de son, montage son, photos interview : Caro
Photos live : Solène, Caro, Yann.
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La Terre Tremble !!! sera en concert aux Embellies avec Arch Woodmann, Bumpkin Island et Boy & The Echo Choir à l’Antipode MJC (2 rue André Trasbot, Rennes) samedi 23 mars à 20h30.
Tarifs : 8€ / 13€ / 16€ (+ pass 2 jours : 28 € / pass 3 jours : 42 €)
Plus d’1fos : http://www.festival-lesembellies.com/index.php
Le site de La Terre Tremble !!! : http://laterretrembleband.tumblr.com/