Frénésie désopilante, troisième mouvement beau à pleurer, du Glass, du Adams, du Satie. Des violons, des machines, une batterie. Des artistes. Des publics. Un opéra. Et au final une troisième « Nuit Américaine » réussie pour Cultures Electroni[k].
L’Opéra est archi-comble pour ce troisième et dernier volet des Nuits Américaines consacrées aux compositeurs minimalistes américains. Mais pourquoi donc proposer des concerts de musique minimaliste dans la programmation de Cultures Electroni[k] vous demandez-vous peut-être ? Et bien parce que la musique minimaliste américaine est une influence majeure pour un grand nombre de musiciens électroniques contemporains. Cultures Electroni[k] et l’Orchestre symphonique de Bretagne nous ont donc proposé de redécouvrir ce répertoire en trois volets : après Different Trains de Steve Reich et In C de Terry Riley les années précédentes, c’est au tour de la Symphony n°3 de Philip Glass et à la Symphonie de chambre n°1 de John Adams d’attirer un public très nombreux ce mardi soir.
Cherchant à établir et à mettre en lumière les ponts entre électronique et musique classique, les Nuits Américaines précédentes ont également toujours associé performances de l’Orchestre Symphonique de Bretagne et musiciens de la sphère électronique avec les venues de Tim Hecker, Purform ou Arandel les deux premières éditions. Pour la troisième année consécutive, les organisateurs nous ont proposé une soirée en deux temps : une première partie consacrée à deux compositeurs phares du mouvement minimaliste donc, Philip Glass et John Adams, suivie par un second moment célébrant le mariage entre musique classique contemporaine et életronique avec Vanessa Wagner au piano et Mùrcof, tout ça dans un Opéra plein comme un oeuf !
On court sur la moquette des escaliers pour arriver à trouver une place dans un Opéra bondé, pour une soirée qui commence tôt. Plusieurs personnes attendent dans le hall en espérant quelques désistements inattendus qui pourraient leur permettre de rentrer. On doute qu’ils y soient parvenu tant le public s’est déplacé en nombre pour cette troisième Nuit Américaine. Les publics se mélangent, habitués de concerts à l’Opéra ou grands fans des développements électroniques plus ou moins variés. Après une présentation conjointe de Cyril Guillory (coordinateur de Cultures Electroni[k]) et de Marc Feldman (administrateur général de l’OSB) qui permet de donner quelques clefs de compréhension des oeuvres au public, les 19 musiciens à cordes de l’Orchestre Symphonique de Bretagne s’installent sous la direction de Darell Ang pour interpréter la Symphonie n°3 de Philip Glass. Sûrement l’un des compositeurs les plus connus du courant minimaliste et répétitif, du fait de ses nombreuses compositions pour des musiques de film (The Hours, Koyaanisqatsi, Chroniques d’un scandale, l’Illusioniste et on en passe), de son travail sur l’opéra avec Robert Wilson (Einstein on the Beach, notamment) et de ses accointances avec des musiciens tels Brian Eno, David Bowie, Patti Smith ou Aphex Twin (et là encore on en passe !), Philip Glass fait partie des pionners du genre avec Reich, Riley ou La Monte Young.
Ainsi les premières œuvres de Philip Glass (jusqu’en 1974) s’inscrivent pleinement dans ce courant répétitif et minimaliste, notamment 1+1 ou Music in Fifths. Mais les compositions du musicien évoluent par la suite : la répétition n’est plus le principe essentiel de composition. A tel point que pour ces oeuvres postérieures, Philip Glass préfèrera utiliser l’expression « musique avec structures répétitives » . C’est notamment le cas pour l’oeuvre interprétée ce soir, la Symphonie n°3 (1995). Commandée par le Stuttgart Chamber Orchestra et son chef d’orchestre Dennis Russel Davies, elle a été composée pour les 19 instrumentistes à cordes et chaque musicien y est considéré comme un soliste. Le premier mouvement commence par cet enchevêtrement progressif de cordes qui nous permet progressivement d’oublier l’agitation des minutes précédentes, la course sous la pluie et dans les escaliers. On rentre doucement dans l’oeuvre jusqu’à cette première accalmie en pizzicati annonçant la flamboyance du second mouvement, enlevé et faussement joyeux avec ses nappes de cordes basses qui jouent sur la tension par en dessous. A certains moments, on entend l’influence de Steve Reich avec ces motifs répétés à la manière de boucles continues. Et puis arrive le troisième mouvement, de loin, notre préféré. Les violoncelles commencent sourdement tandis que les altos les rejoignent pour une première exposition du motif. On est aussitôt happé. L’interprétation de l’Orchestre de Bretagne est captivante et fait ressortir toute la pesanteur et la mélancolie qui se dégagent de cette partie. On voudrait que jamais cette répétition progressive ne s’arrête.
L’oeuvre explore les textures, de l’unisson juqu’à la poly-harmonie de tout l’orchestre. Le troisième mouvement (une chaconne) commence donc avec trois violoncelles et quatre alto qui jouent un motif harmonique. Mais à chaque répétition de ce motif, de nouvelles voix sont ajoutées, jusqu’à ce qu’au final, les parties des 19 musiciens soient totalement imbriquées. Le rythme syncopé et ces progressions de cordes qui se répètent se révèlent tout aussi émouvants qu’addictifs. On est complètement dans la musique. On se dit même que tout toute cette symphonie n’est faite que pour se faire cueillir par ce troisième mouvement. Lorsque le premier violon commence son motif solo, nos derrières résistances tombent et on suit chaque note qui sort de l’instrument dans un déchirement. L’interprétation en est magnifique et il nous faudra tout le quatrième mouvement pour nous en remettre, épilogue rythmé qui entremêle l’enjouement et la tension des premiers mouvements avec la mélancolie sous-jacente du troisième mouvement. Au final une grande oeuvre et une belle interprétation par l’Orchestre de Bretagne ce soir. Les applaudissements, nourris et chaleureux, viendront confirmer notre sentiment.
C’est alors à une autre partie de l’Orchestre de Bretagne de monter sur scène pour éxécuter la Symphonie de chambre n°1 de John Adams. De 10 ans le cadet de Steve Reich ou Philip Glass, John Adams est pourtant lui aussi tombé dans la marmite du minimalisme et a composé plusieurs oeuvres reposant sur la répétition de brèves cellules (Shaker loops notamment). Avec la Chamber Symphony (1992), John Adams joue sur des superpositions rythmiques d’une grande virtuosité. Ainsi que sur un mariage détonnant, teinté d’une sacrée dose d’humour : «Je me trouvais dans mon studio où j’étudiais la partition de la Symphonie de chambre de Schoenberg, pendant que dans une pièce voisine, mon fils Sam, âgé de sept ans, regardait des dessins animés (ceux datant des années 50, les meilleurs !) à la télévision. La bande musicale hyperactive, insistante, agressive et acrobatique des dessins animés se mêlait dans ma tête à la musique de Schoenberg, elle-même hyperactive, acrobatique, et nettement agressive, et j’ai réalisé soudain à quel point ces deux traditions possédaient des éléments communs.»
De là naissent les trois mouvements de sa Symphonie de chambre, qui vagabonde de sautes d’humeur en contrastes grinçants. Flûte, hautbois, clarinettes, bassons, cor, trompette, cordes, clavier électrique ou même batterie se répondent dans une frénésie désopilante. Ca bondit, ça saute, ça catapulte. Et puis ça grince, aussi. N’oublions pas que l’oeuvre a été inspirée par Schoenberg, maître de l’atonalité (même si lui refusait le terme). Sans être totalement dissonnante, l’oeuvre d’Adams se permet des incartades qui irritent peut-être l’oreille non aguerrie, mais qui sont toujours rattrapées et contre-carrées par des acrobaties rythmiques jubilatoires. Comme le reste du public, on applaudit à deux mains le travail épatant du batteur (peut-être parce que le plus facilement visible) qui décoche et triple-saute plus vite qu’un champion olympique. On est également constamment surpris par des développements inattendus et des rebondissements in-ouïs. L’analogie avec les cartoons est particulièrement parlante tant le rythme repose sur de la dynamite. Là encore, les applaudissements éclatent à la dernière note. Le chef et ses musiciens sont abondamment salués.
Trois élèves du Conservatoire à Rayonnement Régional de Rennes, Juliette Divry, Johan Dargel et Tom Baudouin assurent ensuite la transition entre cette partie de musique classique contemporaine et le mariage entre musique classique contemporaine et életronique à venir. Sur le papier la transition est parfaite puisque les trois jeunes gens se proposent de nous livrer leur réinterprétation numérique de la Symphonie n°3 de Philip Glass qu’on vient d’entendre. Sur la scène, c’est plus complexe, parce qu’il n’est pas évident de succcéder à un orchestre d’une vingtaine de personnes à trois.
Encore moins quand on a des problèmes de câbles. Aussi, Juliette Divry au violoncelle est-elle un peu ésseulée alors que les deux garçons qui l’accompagnent cherchent activement à trouver d’où vient le problème. Ils ont bien sûr toute la sympathie du public derrière eux. Fort heureusement, le problème de branchement est résolu et la pièce peut continuer plus sereinement. Les trois jeunes gens ont parfois de bonnes idées et quelques développements sont vraiment intéressants. On sent néanmoins la jeunesse dans cette réinterprétaton et certaines idées, intéressantes, auraient méritées d’être plus abouties. On reste ainsi perplexe quant aux parties de claviers qui n’apportent, à notre humble avis, pas grand chose à la pièce, si ce n’est la desservent. Néanmoins on applaudit avec force la performance des trois jeunes gens qui ne sont qu’au début de leur carrière et à qui l’on souhaite un brillant avenir. Surtout qu’on est persuadé que les problèmes de sons du début et le fait de succéder à un orchestre symphonique ne rendaient pas la performance facile.
L’Opéra n’a pas désempli pendant l’entracte et Vanessa Wagner et Mùrcof semblent à leur tour très attendus. Et pour cause ! Grand nom de la musique électronique, le Mexicain est un maître dans l’art de créer des textures synthétiques minimales, souvent belles à pleurer, à égale distance entre musique contemporaine et ambient. L’homme a déjà collaboré avec d’autres artistes venus d’horizons musicaux différents, tels Erik Truffaz (jazz) ou Talvin Singh (tablas indiens, pour faire vite). Pour Electroni[k], il est donc aux cotés de la pianiste classique Vanessa Wagner. Les deux musiciens se proposent ce soir de revisiter des oeuvres de compositeurs contemporains (Claude Debussy, Erik Satie, Philip Glass, John Adams, Arvo Pärt ou encore Maurice Ravel pour n’en citer que quelques uns…) Sur la scène, un grand piano à queue fait face à la table recouverte de machines de Mùrcof.
On commence par un temps de présentation : les deux musiciens, l’un après l’autre, exposent leurs univers respectifs. C’est d’abord Vanessa Wagner qui commence, seule au piano, face à un Mùrcof silencieux. Puis c’est au tour de Mùrcof de donner un aperçu de son univers, lui aussi en solo. On apprécie particulièrement cette entrée en matière qui donne un aperçu des talents des deux artistes. Puis sur le troisième morceau, les premières modifications de Mùrcof se font entendre. Les arpèges se teintent d’écho. On doit le dire, on est vite renversé par les talents d’interprétation de Vanessa Wagner, tout en nuances et délicatesse. Vanessa Wagner, en plus de son piano a une sorte de pad placé à côté de ses partitions à partir duquel elle lance des basses d’un coup de main. Sur Satie, les échos se font plus amples et les notes claires de piano se teintent d’un halo harmonique qui entre alors en résonnance avec le piano. Parfois les nuances apportées par Mùrcof sont relativement minimales et discrètes, quelques souffles ou glissements, des crépitements, un long écho.
Au final, on sortira comblé par cet éventail de propositions artistiques variées et ambitieuses. Et autant vous dire qu’on n’a pas été les seuls !
Photos : Caro
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Cultures Electroni[k] a lieu du 8 au 14 octobre 2012 à Rennes. Plus d’infos sur le site de Cultures Electroni[k].
impression similaire quoique plus tranchée… autant la première partie de la soirée était excellente, autant la seconde était navrante…
réussir à mièvriser à ce point des oeuvres dont toute l’excellence tenait justement dans leur délicatesse rigoureuse… ils n’ont qu’extrait une essence vulgaire, perverti, grimé inutilement, à coup de reverb grossière, de beats ultra cheap, pour un effet plus que salement convenu.
et vas-y pour du Satie ensuqué et confit à vomir.. et du Glass bon pour la fête de la bière…
on aurait aimé une renaissance, une reterritorialisation avant-gardiste, on n’a eu droit qu’à de la daube de supermarché.