Institutrice près de Vannes en Bretagne, Cathy Bonidan a écrit plusieurs romans avant de se décider à publier son premier texte sous le pseudonyme de Mel Pilguric. Son roman Le Parfum de l’hellébore rencontre un grand succès en 2017, décrochant 11 prix littéraires.
Il est étrange de commencer en 1956, cette fiction, Le Parfum de l’Hellébore, qui se déroule en milieu hospitalier. L’auteur Cathy Bonidan est vannetaise. En janvier 1955, une épidémie de variole se déclare à Vannes faisant une vingtaine de morts, dont le Dr Grosse. Parmi les victimes, plusieurs jeunes filles. L’épidémie sera éteinte grâce à une vaccination de masse sur toute la Bretagne.
Ces faits encore présents dans la mémoire collective soulignent que la médecine en 1956 est très éloignée de celle que nous connaissons. En 1955, des femmes meurent encore en couche, des enfants meurent en bas âge. Que dire de la médecine psychiatrique ? on parle encore de la maison des Fous. Les électrochocs sont toujours pratiqués dans les années 1970.
En 1956, soigner l’autisme ou l’anorexie et guérir l’autisme était alors aussi improbable que de gravir l’Anapurna sans oxygène. « Dans tout l’asile, on entendait des cris et des plaintes. Le personnel semblait traverser les couloirs, sans but, le regard vide et sans plus d’expression que les pensionnaires. De nombreux malades se traînaient au sol et bavaient sans que quiconque ne se soucie de les remettre debout ni de leur essuyer la bouche. » (p. 223)
Ainsi la construction du roman par Cathy Bonidan entre deux époques apparaît d’une grande finesse et nous aide à bien comprendre que les premières observations empiriques ont mis du temps à s’imposer et que la connaissance de l’autisme, la maladie qui fait le cœur de l’ouvrage, n’était pas totalement explicitée en 1957.
Pour l’autisme et pour Gilles, cette lente conquête de l’autonomie a pu se faire grâce à Serge, le jardinier, qui lentement et en dehors de toute contrainte a patiemment réalisé son éducation. Une éducation assise sur les saisons, une éducation ancestrale, charnelle et terrienne. « Rien ne presse, silence ça pousse » lui dira Serge, « ne fais aucun effort ; dessine dans la terre, avec un râteau comme un pinceau ».
Il se dégage du livre de Cathy Bonidan, une grâce, une minuscule légèreté de connivence, dans laquelle Gilles a trouvé une paix intérieure, une aisance, une gestuelle douce et simple qu’il a pu assimiler sans avoir à produire un labeur.
Pourtant comme en regard un autre drame se joue. Une enfant de treize ans, Béatrice, anorexique est en train de sombrer, ses traits se creusent, sa malice déserte son regard. Pourquoi ? Son entourage ne comprend pas et aujourd’hui encore le malaise semble être prêt à frapper, ici ou là une toute jeune fille, face à la même stupeur des soignants.
Béatrice, pleinement adaptée au milieu scolaire, réussit ses études. Lectrice, elle découvre avec bonheur la littérature, mais devant son corps, devant la nourriture, son esprit dévisse.
Comme Gilles, on retrouve Béatrice dans la deuxième partie du roman. On apprendra son destin, qui ne laisse qu’un immense point d’interrogation. Pourquoi Béatrice s’est laissée glisser dans une détresse insondable ?
En parallèle, l’itinéraire de Gilles est essentiel. C’est l’espoir de vivre, la conquête de la liberté grâce à la présence de Serge.
Dire le pourquoi de ce métier d’enseignante, celui là même de Cathy Bonidan, c’est donner du sens à la présence, c’est effacer le trouble, ce sentiment toxique de solitude, cette gangrène inhérente à ceux qui sont tombés dans la spirale de l’anorexie.
Béatrice confrontée à son anorexie, est éprouvée par un manque de vie partagée, de reconnaissance paternelle, de capacité à s’abandonner à des gestes charnels, à son doudou. La priver de livres fut stupide ; l’encourager à lire dans les bras d’un autre ou d’une autre n’aurait pu que la rattacher à la vie.
Ce livre nous touche. La souffrance est là, présente à fleur de mots.
Citations
« Je viens de fêter mes 14 ans. Quel bel âge, direz-vous ! Et que l’on est entouré d’une famille aimante et attentive. » (p101)
« ll s’agit de savoir pourquoi il y a quelque chose chez l’autiste, ou chez celui qu’on appelle schizophrène, qui se gèle, si on peut dire.
Et vous ne pouvez dire qu’il ne parle pas. » (P 89)
« Le malade mental se comporte comme s’il se trouvait dans un trou noir et profond, sans issue, emprisonné là, à la fois à cause de ses angoisses et à cause de l’indifférence des autres qu’il ressent comme une hostilité délibérée à son égard. » (p 209)
« Je marche sur un fil au-dessus de ce purgatoire. À tout moment, le désir de les rejoindre peut m’empoigner et me faire tourner la tête, tel le vertige qui nous saisit au bord d’une falaise. »
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Le Parfum de l’Hellébore / Cathy Benidan
Éditions de la Martinière
05/01/2017