La sixième édition de Bonus, le festival du Théâtre de Poche à Hédé avait lieu du 24 au 27 août 2017. Pour ne rien vous cacher, au départ, nous ne devions y aller que le samedi… et puis finalement, nous y avons passé trois belles journées d’affilée. Nous avons rassemblé nos impressions sur cette édition particulièrement foisonnante et qui aura surtout confirmé le caractère à la fois singulier et convivial de l’événement.
Depuis sa cinquième édition en 2015, le festival Bonus d’Hédé (à une vingtaine de minutes au Nord de Rennes) est passé en formule biennale. Il aura donc fallu patienter deux ans pour retrouver l’événement mais si c’est le prix à payer pour avoir cette densité et cette fraîcheur, ça en valait amplement la (longue) chandelle. Ce choix clairement assumé par toute l’équipe organisatrice devait lui permettre de reprendre son souffle, renouveler la formule et redynamiser la programmation du Théâtre de Poche. Pari hautement réussi donc pour cette édition 2017 qui aura trouvé un équilibre particulièrement plaisant dans sa programmation comme dans son organisation.
Bonus, c’est d’abord un lieu : le village d’Hédé, entièrement aménagé pour ces quatre jours de fête. On adore y déambuler pour passer d’un spectacle sur un terrain de tennis à un autre dans une des écoles ou dans la salle de sport avant de retrouver les sièges du Théâtre de Poche pour enfin conclure la journée par des concerts sous le chapiteau près du château. On a tout autant apprécié nos pauses boisson/repas/jeux/lecture/bavardages… sous l’étonnant dôme de la place de mairie. Bonus, c’est aussi des gens. On aime aussi le festival pour sa capacité à rassembler les publics les plus divers avec une fluidité et une convivialité remarquable. On y croise des mordus de théâtre écumant la programmation avec un appétit d’ogre, des nouveaux découvrant sourire aux lèvres l’événement, des habitués comparant leurs souvenirs les plus marquants avec les spectacles du jour, des familles profitant juste de l’ambiance des animations et des spectacles gratuits et, signe qui ne trompe pas, de nombreux bénévoles se faufilant pour voir un maximum de spectacles entre deux temps de services. Bonus, c’est enfin un mélange savoureux et détonnant de théâtre, de cirque, de concerts là encore en équilibre adroit entre exigence, expérimentation et accessibilité.
Le tout donne une ambiance effervescente et détendue qui fait du festival un de nos rituels favoris de fin d’été.
Cette particulièrement réussie édition de 2017, confirme ce statut haut la main. Nous y avons été accueilli avec une bienveillance adorable. Notre appétit insatiable a été rassasié par une programmation théâtrale et musicale irréprochable. Comme le public et la météo était, de plus, au diapason, ce fut donc une édition de rêve. Pour enfin parler un peu spectacle, notre grand coup de cœur de ces trois belles journées fut Eperlecques de Lucien Fradin. Ce spectacle remarqué lors du Off de la dernière édition d’Avignon avait la rude tâche de remplacer dans la programmation la version d’Art de Yasmina Reza par la compagnie flamande tg Stan annulée tardivement pour cause de raison familiale. Nous avons pris tant de plaisir à voir se déployer le propos de la pièce au fil du spectacle que nous allons essayer de vous en dire le strict minimum. Seul en scène avec chemise rose impeccable, gilet sans manche, moustache et rétroprojecteur, Lucien Fradin démarre son spectacle sous la forme malicieuse d’une conférence géographique, sociologique et parodique sur la commune d’Eperlecques dans le département du Pas-de-Calais. Par un glissement progressif et minutieux, le monologue va dévier vers les territoires plus intimes et autobiographiques d’une exploration des affres adolescentes. Grâce à une écriture toute en finesse et un jeu d’acteur nuancé et puissant, le spectacle prend petit à petit une ampleur de propos et d’émotions assez remarquable. Nous conseillons donc au plus haut point à ceux qui l’aurait loupé de surveiller de près le retour éventuel du bonhomme dans le coin.
En dépit de ce sommet, vu dès le vendredi, et qui restera indétrôné les jours suivants, nous avons été ravis par la qualité générale des spectacles proposés cette année. On n’a certes pas été tout le temps émerveillé ou bouleversé mais jamais nous n’aurons eu le sentiment de voir des choses pas suffisamment abouties et travaillées pour ne pas en tirer satisfaction. Retour tout simplement chronologique sur ce que nous a offert ce Bonus n°6.
Nous avions beaucoup aimé leur adaptation en 2015 au grand air et sous les courroux conjugués d’Éole et de Zeus de L’Heure Où Nous Ne Savions Rien L’Un De l’Autre de Peter Handke. Nous retrouvions donc avec de belles attentes la troupe de comédiens amateurs de l’atelier adulte du Théâtre de Poche emmenée par Christelle Kerdavid. La troupe ne partait pas cette année d’un texte mais a construit Au bord de la ligne autour de deux contraintes : la thématique du clown et l’utilisation incongrue d’un court de tennis moussu comme terrain de jeu. Comme souvent, les contraintes ont du bon puisque la bande s’empare du thème et du lieu avec inventivité et gourmandise. Les tableaux s’enchainent sur un rythme soutenu (presque trop même !). En ajoutant une forme de banquet de famille déjanté, la bande ajoute à la forme clownesque, un ton parfois mélancolique et souvent féroce. Comme les années précédentes, on salue bien bas le travail et l’implication de la troupe qui mérite bien qu’on les cite tous : Hélène Chomat, Annick David-Gilles, Régis Desaunay, Laurence Eon, Elisabeth Faure, Samuel Fleischhhaker, Serge Guennou, Servane Lebleu, Gérard Ligier, Sophie Lucas et Sophie Mouraud.
Nous avions loupé Floé lors du dernier festival Agitato et nous étions donc très heureux d’avoir une séance de rattrapage. On retrouve donc les titanesques et bancals cubes blancs de l’artiste plasticien Vincent Lamouroux cette fois installés dans l’herbe près du château. Ils vont servir de terrain de jeux à l’acrobate Jean-Baptiste André de l’Association W, pour une chorégraphie aussi spectaculaire que sensible. Le monsieur grimpe, glisse, s’accroche, tangue, saute… dans un lent périple sur ces formes imposantes et pourtant semblant si vulnérables. A la manière d’un Buster Keaton sur banquise, il réussit à faire passer au second plan sa maîtrise physique impressionnante pour conserver une fragilité et un émerveillement inquiet à son personnage.
Pour la pièce Ça s’écrit T-C-H écrite et mise en scène par Alexandre Koutchevsky, la compagnie Lumière d’août nous convie à une ballade théâtrale en sous-bois. Nous suivons donc Marina Keitchewsky et Elios Noël dans divers lieux en extérieur, sans gradin mais avec coussins et tabourets, pour suivre la quête des origines de Jean-Jacques Tchaïkovsky dont le lourd patronyme du célèbre compositeur russe va amener à une savoureuse enquête sur lui-même. Construit sur des dialogues avec le public, sa bouchère ou sa professeure de russe, le voyage existentiel du personnage s’avère très plaisant. On aime d’ailleurs beaucoup l’utilisation faite de l’étonnant espace scénique.
Nous sommes ensuite de retour sous le préau boisé de l’école Abbé Pierre pour Éloge et défense de la routine, par les habitués du festival de Grand Magasin. Pascale Murtin et François Hiffler y développent avec malice et un merveilleux sens de l’absurde un hommage argumenté et documenté au train-train, aux habitudes, à ce qui ne sort définitivement pas de l’ordinaire. Comme pour la Conférence De Choses de la 2B Company vue au même endroit il y a deux ans, le plaisir est d’abord langagier. Le duo joue avec les comptines entêtantes, les répétitions et les phrases en poupée russe s’imbriquant à l’infini et l’on prend un grand plaisir à guetter les petits déraillements qui viennent fatalement s’immiscer dans ce bloc rassurant d’habitudes. Le spectacle se conclut en beauté sur une brillante et vertigineuse spirale verbale basée sur l’épuisement progressif et implacable d’un long poème de Rimbaud.
Pour le dernier jour, nos alterzouzous ont gentiment accepté de nous tenir la main pour découvrir la partie plus « jeunesse » de la programmation. On démarre au Théâtre de Poche avec Bang! conçu et chorégraphié par Herman Diephuls avec ses interprètes : Mélanie Giffard, Dalila Khatir. De façon assez téméraire, le spectacle explore les peurs. On y croise donc des fantômes, des bourreaux, des grands méchants loups mais sont également évoqués la peur de l’autre, de la solitude et bien sûr de la mort. Sans oublier d’être parfois cruel, le duo aborde ses frayeurs plutôt de manière cathartique et jubilatoire. Les deux actrices se livrent ainsi avec une débauche d’énergie à une performance très généreuse et physique dont on ressort finalement tout ragaillardi.
On reste dans la performance physique pais pas-que avec le duo Ensemble de la Compagnie Jupon. Comme pour l’excellent Face Nord de la compagnie Un Loup Pour l’Homme il y a deux ans, la salle de sport est transformée en une arène circulaire surplombée d’arcs de cercle métalliques. Les deux acrobates Julien Scholl et Jérôme Pont démarrent sur une série de jeux, d’abord aussi naïfs et drôlatiques que savoureusement tordus. Mais la confrontation va vite prendre des atours plus troublants. Quelles limites entre la confrontation et la domination, entre la rivalité et l’humiliation ? Quel point d’équilibre peut-on trouver pour construire au lieu de détruire ? Le duo brouille les pistes, appuie là où ça fait mal et pousse le bouchon trop loin jusqu’au point de rupture avant de progressivement se réunir pour une seconde partie aérienne avec corde ou barre verticale à couper le souffle.
Spectacle très fort par ses démonstrations physiques spectaculaires mais aussi par sa puissance et sa richesse d’évocation, Ensemble démontre, une fois de plus, le potentiel poétique et émotionnel des arts circassiens.
En plus de tout ça nous avons aussi été charmé par la jonglerie venue des origines des torches virevoltantes de Mobile/feu de Jorg Müller, été épaté par la cocasse et très savante maladresse du Funambule Pierre Déaux. Nous avons également eu le plaisir de bouger nos petits corps avec frénésie lors des concerts fiévreux de Cannibale et de Lord Rectangle.
Vous l’aurez compris, nous avons vécu cette sixième édition de Bonus avec un ravissement constant. Merci donc à toute l’équipe du Théâtre de Poche et à tous ceux qui ont rendu possible ce festival décidément merveilleusement à part. Longue vie à ce joyeux et foutraque rendez-vous dont l’ambiance si particulière ne cesse de nous étonner à chaque nouvelle occurrence. Il y a bien des événements locaux plus médiatisés tout aussi riche et passionnant dans leur domaine particulier mais aucun ne parvient à avoir la variété et l’atmosphère aussi conviviale que chaleureuse que Bonus. A dans deux ans donc et, pour trouver le temps un peu moins long, on vous conseille fortement de lorgner régulièrement du côté de la prochaine programmation du Théâtre de Poche.