C’est toujours avec autant de gourmandise que l’on retrouve la série de soirées Expériences de l’équipe Electroni[k], consacrées «à la découverte de formes expérimentales et vitrine des avant-gardes». Trio sensible, duo kaléïdoscopique, quatuor de boîtes, mélopée des ondes courtes et groove des crépitements… on aura vu et entendu de toutes les couleurs. Retour sur cette folle semaine.
Le quatuor de soirées organisées par l’association Electroni[k] pour cette édition 2013 de l’événement Maintenant, démarrait mardi 15 octobre dans l’auditorium du Tambour à l’Université de Rennes II. Ce premier rendez-vous à Villejean fait désormais partie de nos petits rituels de démarrage de festival et c’est avec l’émoustillante sensation d’attaquer les antipasti d’un pantagruélique festin sonore et visuel que nous nous y rendons.
En matière d’apéritifs, les clips présentés en ouverture vont s’avérer assez savoureux. Réalisées par des étudiants lors d’un atelier de pratiques artistiques mis en place par l’association organisatrice et animé par Richard Louvet et Matthieu Chevalier, les 4 mises en images de musique fournies par des artistes locaux, nous ont épaté par leur qualité et leur inventivité. Si ceux réalisés l’année précédente nous avaient laissé plutôt dubitatif, les errances d’un robot jouet ou les bricolages acidulés d’un extraterrestre amoureux font preuve d’une fantaisie visuelle très rafraîchissante. Les deux autres tentent avec bravoure d’aborder des territoires plus troubles des fantasmagories masquées… et s’en sortent sans être ridicules, ce qui n’est pas un mince exploit.
En savoureux bonus, nous avons droit à un excellent petit clip documentaire dévoilant la fabrication des monumentaux gens plats réalisés par Jean Julien pour le Premier Dimanche des Champs Libres de mars 2013.
C’est ensuite au désormais trio rennais Fragments de prendre place sur scène. Leurs concerts aux Champs Libres avaient marqué les esprits et c’est avec une joyeuse fébrilité que nous voyons s’installer Sylvain Texier (The Last Morning Soundtrack) au piano, Benjamin Le Baron (F.Hiro), au clavier/machine et Thomas Beaudoin (le chanteur/guitariste de Piranha) à la guitare. On retrouve avec beaucoup de plaisir la délicatesse et la finesse de leurs compositions en équilibre entre pop aérienne, post-rock et ambient. Malgré le stress palpable de la bande, tout ça est parfaitement exécuté. Au fil des morceaux, Sylvain Texier quitte son piano pour la batterie, en faisant un petit détour par un clavier. Un trompettiste et un batteur viendront aussi les rejoindre le temps d’un superbe Off The Map. Joli tour de force, le trio réussit à insuffler une énergie réjouissante à leur live, tout en conservant la belle fragilité qui rend leurs compositions si touchantes. Seul un petit plantage en début de Paper Clouds nous rappelle que le projet est encore jeune. Le tout est en effet assez impressionnant de maîtrise, même si on sent encore chez eux une certaine retenue. Le très beau nouveau morceau joué en fin de concert montre que le potentiel est bien là, on a très hâte de voir ce que cela donnera quand ils arriveront à se lâcher complètement.
Nous avions aussi de grosses attentes pour le projet Ufodyssea. Cette collaboration entre Mioshe et Benoit Leray (sous l’improbable pseudo Kiwisubzorus) était riche en promesses. Nous aimons en effet autant les mythologiques créatures géantes avec lequel le premier habille les murs des villes, que le bestiaire foisonnant entre films Z et Maximonstres du second.
Le duo s’installe derrière une longue table couverte d’un joyeux bric à brac technologique mais aussi d’une belle pile de dessins qui seront retravaillés en direct pour être projetés sur le grand écran de la salle. La partie musicale démarre en douceur et nous emmène dans une langoureuse montée aux sonorités électro planantes. L’écran va lui aussi se peupler petit à petit d’un foisonnement multicolore entre océan primordial, jungle primitive et odyssée spatiale. Très progressivement et dans une transition tout en subtilité, la musique se fera plus dansante. Visuellement cela reste très impressionnant, même si on sent une certaine fébrilité chez le duo. Ils annonceront d’ailleurs après la performance avoir eu des soucis techniques. Ceci expliquant sûrement un certain manque de variété sur la longueur. Prestation chouette mais un peu frustrante donc, par rapport au potentiel des deux messieurs. On espère bien avoir prochainement l’occasion de les revoir en pleine possession de leurs moyens.
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Le second rendez-vous nous amène dès le lendemain route de Lorient au Jardin Moderne. Nous filons directement dans la salle de concert pour y découvrir le dispositif Muzikoboucle créé par deux étudiants de l’EESAB (Ecole Européenne Supérieure d’Arts de Bretagne) avec l’aide du DJ rennais Douchka et de la plasticienne Diane Grenier.
Au centre de la pièce sont installés 4 postes rouge, vert, bleu et jaune. Chacun dispose d’un confortable siège et d’un panneau de commande avec 3 curseurs sobrement labellisés : vitesse, équaliseur et filtre audio. Le tout fonctionne avec un principe aussi simple que délicieusement ludique. La présence de fesses sur un des coussins déclenche l’activation d’un sample (fourni par Douchka) et l’apprenti musicien/ingénieur du son n’a plus qu’à bidouiller les boutons pour le modifier. Sauf que tout ça est multiplié par quatre et que les spectateurs/acteurs vont découvrir les joies et les difficultés d’une création collective. Car pour que tout ça sonne autrement que comme une disgracieuse cacophonie, il va falloir moult échanges et essais. La grande force de l’installation est bien d’insuffler instantanément cette envie d’un projet collectif avec de parfaits inconnus. On tend l’oreille pour repérer quel son on contrôle, on teste, on négocie, on revient à zéro quand tout part en quenouille. Que ce soit sous les projecteurs braqués sur les postes ou comme simple auditeur/spectateur, l’énergie créatrice dégagée par l’expérience est très plaisante. A noter que le design épuré mais très soigné des bornes participe grandement à l’engouement suscité par l’installation.
Après une bonne heure passée à jouer et écouter l’engin, nous retournons côté bar pour le premier des deux lives électro proposés ce soir là. Les rennais de Nins & Ankiel sont derrière les laptops. Ils jouent une house très classique et manquant un chouïa de piquant et de personnalité. Surtout que l’ambiance vernissage coude sur le bar, avec ces bavardages mollassons n’arrange vraiment pas les choses. Nous lâcherons donc l’affaire avant le set de Douschka.
Nous prendrons tout de même le temps d’aller regarder Origines : portraits de famille, l’exposition d’Alex Cherkesly. Ces troublantes revisitations graphiques de photos de famille plus ou moins anciennes possèdent une force d’évocation peu commune. Le travail sur les regards, par exemple, est d’une intensité remarquable.On vous conseille donc fortement d’y passer y jeter un coup d’œil. Elles resteront accrochés au Jardin jusqu’au 13 novembre.
Au final, une soirée qui démarrait bien mais qui nous aura laissé un peu sur notre faim.
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Dans les Expériences programmés par Electroni[k], les sets plus électro-accoustiques et radicalement expérimentaux se déroulant au théâtre du Vieux Saint Etienne ont souvent été notre chouchou du lot. La soirée du vendredi 18 octobre ne fit pas exception.
En guise de préambule, nous avions droit à rien de moins qu’une réinterprétation de la fameuse et tonitruante chevauchée des Walkyries de Richard Wagner par deux étudiantes de l’EESAB (Ecole Européenne Supérieure d’Arts de Bretagne) : Anne-Clémentine Fleury et Flavia Lopez. Pour revisiter la fameuse bande originale du massacre héliporté d’Apocalypse Now, les deux demoiselles ont bricolés deux étranges machines : d’abord une énorme boîte à musique munie de hauts-parleurs sur laquelle une manivelle maousse déclenche des contacts selon un ordre prédéfini sur un rouleau, ensuite une structure métallique captant grâce à des micros les bruits émis par la torsion motorisée de câbles de différents matériaux. Le tout est complété par des séries de hauts parleurs disposés au sol et par les bruits de la torsion des maillons d’une longue chaîne traversant le sol en pierre de cette ancienne église. La gamme de sons produite est assez intrigante mais manque un peu de relief et d’ampleur pour un tel lieu. Une entrée en matière sympathique qui nous met dans les conditions parfaites pour les deux grosses claques qui vont suivre. Pas de quoi par contre, comme disait Woody Allen à propos de la musique du compositeur allemand, vous donner envie d’envahir la Pologne.
Après quelques minutes de pause, nous effectuons un virage à 180° pour découvrir ce que nous a concocté l’allemand Stephan Mathieu. Habitué à aller chercher sa matière sonore dans d’antiques machines (78 tours, vieilles bandes magnétiques…), le monsieur s’arme ce soir, pour sa performance Messier 32, d’un antique poste radio et d’un électronium (synthétiseur et séquenceur primitif ressemblant à un demi-accordéon). Ce qu’il va en tirer relève de la magie pure. Du mélange des bourdons lancinants des ondes courtes et des notes de son antique instrument, Mathieu tire un souffle sublime qui va remplir l’endroit de façon fascinante. La subtilité et la fragilité des variations obligent l’auditeur à une immersion totale dans cette mélopée éthérée. On s’y plonge avec délice en savourant chaque seconde d’une musique à la sensibilité extrême. Le grand frisson tout simplement.
Nous n’aurons même pas le temps de dissiper les poussières d’étoile illuminant nos cervelles que Tristan Perich va lui aussi nous propulser vers de célestes sphères. L’américain travaille lui avec un matériau à la fois plus moderne que ceux de Mathieu et pourtant totalement désuet à l’époque où un appareil électronique est sensé être obsolète 6 mois après sa sortie. Il utilise en effet, entre autre, des puces électroniques, mais pas les monstres animant les smartphones, plutôt celles qui faisaient fonctionner les premiers ordinateurs familiaux dans les années 80. A partir de cette technologie somme toute fort basique en 2013, le monsieur va pourtant lui aussi tirer des merveilles. Assis dans l’obscurité, Perich manipule avec lenteur et précision une série de boutons semblant arrachés d’un tableau de bord de jumbo jet mis au rebut. A nouveau la magie va opérer. A partir de ces cliquetis basiques, le bonhomme va broder des nappes d’une complexité et d’une richesse folle. Qu’il nous perde dans d’insensés bourdonnements virevoltants entre les quatre enceintes restituant sa performance ou qu’il nous coupe le souffle avec l’a-rythmique battement de cœur électronique d’un peacemaker à bout de souffle, Perich va nous faire passer par tous nos états. A nouveau le lieu s’emplit entièrement, d’une substance musicale époustouflante qui nous propulse loin, très loin.
On sort de là ravi et chamboulé en remerciant mille fois l’association Electroni[k] de nous faire vivre aussi régulièrement des instants aussi intenses. On aura en cadeau bonus, la joie de pouvoir acquérir un des boitiers de la 1-Bit Symphony de Tristan Perich. Cet étui CD transparent ne contient pas de disques, mais un petit circuit de microprocesseurs auquel vous n’avez qu’à brancher vos écouteurs pour savourer une symphonie en 5 mouvements s’achevant sur une sublime boucle infinie.
L’horaire ne nous aura hélas pas permis d’aller voir la quatrième et dernière expérience de cette édition. On vous reparle pourtant par là de la prestation de la très belle Lesley Flannigan mais ce sera celle qu’elle a livrée à la nuit Arts et sciences du jeudi 17 octobre.
En bonus (un peu caché), il y avait cette année, une expérience 5 en plein cœur de Rennes, le jeudi 17 octobre. Le duo d’artistes néerlandais Thomas Rutgers et Jitske Blom proposait avec Openbaar Kabaal, un concert de rue impromptu. Que ce soit place de la Psalette, place de la Mairie, place Sain-Michel ou place Sainte Anne, ils ont malicieusement détourné le mobilier urbain pour le transformer en de joyeuses caisses de résonances. Si, comme nous, vous les avez consciencieusement loupés, vous pouvez vous rattraper en regardant l’excellente vidéo du camarade Damien Stein.
Retrouvez notre dossier spécial Maintenant 2013
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L’association Electroni[k] présente Maintenant du 15 au 20 octobre.