Le théâtre de la Parcheminerie se voyait contraint de refuser l’entrée à certains ce jeudi tant l’affiche de ce début de soirée a attiré du monde avec la double prestation de l’orchestre de haut-parleurs des élèves de l’école de Trégain dirigé par Hervé Le Bitter et de Loup Barrow, le performer aux plus qu’étranges instruments. Compte-rendu d’expériences sonores inhabituelles.
Concert de haut-parleurs
C’est donc devant une salle complètement pleine plongée dans le noir que la petite vingtaine d’élèves de Cm1/cm2 de l’école Trégain s’installe en demi-cercle face à nous. Tous se figent alors, chacun immobile derrière une petite table surmontée d’un poste radio, dont les formes varient du vieux poste transistor aux formes rondes et généreuses de radios plus modernes. Hervé le Bitter se poste alors face à eux pour les diriger et nous offrir, dans la droite ligne des expériences de John Cage, un paysage sonore radiophonique inédit.
Les enfants, à tour de rôle ou de concert, tournent en effet les potards de leurs postes pour laisser entendre, qui de la publicité, qui quelques notes de reggae, qui, le bulletin info de la radio nationale. On perçoit des bribes de mots, parfois des phrases entière, ou juste quelques sons épars peu identifiables.
En arrière fond, derrière le demi cercle, Benjamin Le Baron, derrière ses machines, semble mixer le son (?).
Dirigés à l’aide du soundpainting (langage gestuel utilisé pour diriger un orchestre), les élèves rennais triturent les boutons de leurs postes radio avec exactitude et suivent avec une concentration étonnante la moindre indication de leur chef d’orchestre.
Ce dernier commence par jouer sur les effets de spatialisation du son en faisant aller et venir l’onde sonore le long de la demi-circonférence. Puis joue des sortes de clusters radiophoniques avec une poignée de postes jouant à sa demande ou parfois même avec la vingtaine de radios, mêlant ainsi voix, jingles ou notes dans un même ensemble.
Si la performance musicale ne nous convainc pas complètement, on applaudit en revanche le travail réalisé avec ces élèves tant on est épaté par la concentration de ces enfants (et on parle d’expérience !) qui, lancés par le chef d’orchestre, deviennent même pour certains chefs d’orchestre à leur tour et dirigent d’un bras tendu ou replié le reste de leurs camarades.
On est en tout cas ravi que de tels projets puissent exister et que l’association Electroni[k] ait la volonté de leur laisser une vraie place dans sa programmation. L’association Electroni[k] propose en effet de multiples projets, bien moins médiatisés, et souvent menés avec une intelligence remarquable (on pense par exemple à Parcours Sensibles) pour permettre l’accès des lieux culturels et la rencontre avec les œuvres (et les artistes qui les font) au plus grand nombre. On a souvent été ému par ces rencontres. On est heureux de voir qu’Electroni[k] continue ces actions moins médiatiques mais tout aussi essentielles.
Concert de séraphin, hammered dulcimer et autre Cristal Baschet avec Loup Barrow
On poursuit ce début de soirée avec la rencontre de l’univers musical de Loup Barrow. L’homme au parcours atypique (élevé dans les squats punks londoniens, batteur dans des groupes de rock, globe-trotter infatigable à la recherche de nouvelles sonorités et d’instruments rares) va nous proposer un moment musical singulier.
Il est en effet venu avec trois instruments aussi rares que stupéfiants : sur la gauche de la scène, un séraphin, entendez un plateau de verres plus ou moins remplis d’eau (que le musicien s’est construit lui-même après en avoir observé un à Venise), au centre, un hammered Dulcimer (dulcimer à cordes frappées) et à droite un stupéfiant cristal Baschet, instrument assez incroyable au clavier de cristal qu’on joue les doigts mouillés (les doigts glissent sur des archets de cristal mettant en vibration des axes métalliques dont le son est collecté puis amplifié acoustiquement par des cônes en fibre de verre et une sorte de grande flamme en métal).
Le musicien commence son set par un premier morceau complètement estomaquant joué en glissant ses doigts mouillés sur les rebords des verres en cristal. Le moment est complètement suspendu, d’autant que l’homme, à notre grande surprise, propose un jeu assez rythmique, ce qui nous semble encore plus complexe. On a les yeux et les oreilles écarquillés. Et autant le dire on n’est pas les seuls. Les enfants de l’école de Trégain désormais assis dans la salle retiennent également leur souffle. Comme tout un chacun dans la salle.
La fascination est peut-être légèrement moindre lorsque l’homme propose un second morceau au hammered dulcimer, mais à peine! Il frappe les cordes de l’instrument avec de petites baguettes et en tire des sonorités aux accents folk curieusement à la fois modernes et anciennes.
Après quelques morceaux, l’homme passe enfin sur le Cristal Baschet dont on meurt d’envie d’entendre le son tant son apparence est singulière. Le musicien en tire des notes tour à tour cristallines et profondes. On regrette juste de ne pas voir ses mains se mouvoir sur les archets de cristal derrière cette grande parabole de métal, mais le son qui emplit l’espace est bigrement impressionnant. On dirait parfois presque le son d’un synthétiseur analogique… qu’on jouerait avec de l’eau sans risquer de court-circuit fatal.
Loup Barrow aime à mêler ces sonorités cristallines et envoûtantes à sa voix grave et c’est peut-être ce qui nous emballera le moins. Sa voix fatiguée ce soir-là n’est pas d’une justesse à toute épreuve, mais surtout les morceaux chantés, s’ils sont arrangés avec l’originalité indéniable que leur confère l’instrumentation utilisée (mais aussi la virtuosité avec laquelle ils sont utilisés, le garçon est tout de même sacrément doué) tombent, une fois accompagnés par le chant en anglais, du côté sombre de la pop.
On le regrette tant le garçon montre un talent indéniable lorsqu’il touche ses étranges instruments, notamment par son approche rythmique du jeu.
Ou également par son incroyable facilité à échanger avec le public, à communiquer avec les auditeurs. L’homme se fait passeur. Il reste ainsi de longues minutes après le concert pour expliquer le fonctionnement de chacun de ses instruments à la salle, retourne même son lourd cristal Baschet à la demande d’un spectateur qui souhaite en voir le fonctionnement, explique son parcours, les projets sur lesquels il travaille, l’histoire de ses instruments ou sa rencontre avec eux (et notamment aux enfants de l’école qui lui posent moult questions !).
Pour finir, il nous propose alors de choisir l’instrument avec lequel il achèvera son set. Les enfants s’enthousiasment pour le séraphin. On acquiesce également. Ce moment singulier se clôt sur les notes cristallines de cette harpe angélique. On ressort de la salle plutôt estomaqué par les découvertes qu’on vient de faire. Une chose est sûre, Loup Barrow est un sacré passeur.
Photos : Caro
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L’association Electroni[k] présente Maintenant du 15 au 20 octobre.
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