Parcours Sensibles : « merci d’être venus si nombreux et de vous intéresser à nos vies »

photo-parcours-sensibles_10wIl y a juste une semaine, l’Antipode s’est transformé en cinéma pour une salle comble. Rien d’étonnant, me direz-vous, l’Antipode a déjà proposé plusieurs soirées cinéma, notamment des films musicaux. Pourtant, ce mercredi, c’était une œuvre bien différente qui était proposée, une œuvre filmée, culturelle, certes, mais surtout un projet fort, permettant à des gens qui sont habituellement laissés de côté, de reprendre une vraie place. Leur place.

Le film, c’est Parcours Sensibles d’Olivier Barbier, film documentaire retraçant les principales actions menées durant ce projet, pour donner à voir ce qui n’est pas visible, pour donner envie à d’autres d’ouvrir d’autres portes. La soirée se passe en trois temps : diffusion du film, échange-débat avec les acteurs et les participants au projet, puis apéro-soupe convivial. Ce mercredi soir, l’Antipode est complet. Dans la salle, la plupart des participants et des initiateurs du projet sont eux aussi présents. On avait rarement vu pareil métissage social lors de la projection d’un film.

Un projet à destination de personnes en situation de précarité

A l’initiative de Cultures Electroni[k], l’Association Trans Musicales (ATM), trois des MJC rennaises (Le Grand Cordel, la MJC Antipode  et la MJC Bréquigny) et 8 structures de la FNARS (Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale) se sont donc réunis dans un projet commun : permettre aux personnes en situation de précarité sociale de s’inscrire dans des découvertes artistiques et culturelles. L’année 2010 étant l’année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (on s’étonne que ce ne soit pas le cas tous les ans…), les structures rennaises ont donc eu la possibilité de monter un projet  avec l’aide du fonds européen de la lutte contre la pauvreté.

Projection de Parcours Sensibles à l'AntipodeA ceux qui seraient tenté de répondre qu’il existe déjà à Rennes, le dispositif Sortir ! (qui permet à certaines personnes en situation précaire de pouvoir se rendre à certains spectacles par exemple, au prix de 4 euros), les initiateurs expliquent que le projet s’adressait aux personnes pour qui Sortir ! n’était pas suffisant. Si nous avons la chance que 4 euros ne représentent pas une grosse somme pour nous, c’est déjà bien différent pour certaines personnes en grande précarité. Et si en plus, vous voulez sortir avec vos deux enfants, le prix augmente d’autant. Le projet était donc destiné à ces usagers des associations d’accueil et de réinsertion sociale le plus souvent, en très grande précarité. D’autant que comme le souligne Jean-Georges Kergosien de la FNARS, pour ces personnes, on pense d’abord au logement, au fait de se nourrir, de se vêtir… L’accès à la culture n’est envisagé qu’après. Que lorsque tout le reste est « réglé ». Or ne s’agit-il pas là justement, d’un vecteur important d’épanouissement et d’inclusion sociale ?

Rencontres artistiques… en maillot de bain

Ce projet, dans la pratique, cela veut dire permettre à des personnes en situation de grande précarité sociale d’aller à des concerts,  à des spectacles, de participer eux-mêmes à des ateliers de création et de pratique artistique.  C’est ce parcours, ces « Parcours Sensibles » que le film documentaire d’Olivier Barbier essaie de retracer. Pendant une petite heure, on suit les principales étapes de ce projet qui « aura mené une centaine de participants à l’Ubu, l’Antipode MJC, la Route du Rock, les Champs Libres, Cultures Electroni[k], le Grand Cordel MJC, la MJC Bréquigny, l’Opéra de Rennes, les festivals Marmaille, Mettre en Scène, Rencontres Trans Musicales de Rennes et Travelling » . On y voit des participants découvrir La Route du Rock avec la prestation de Yann Tiersen, après un détour par la mer que certains n’ont pas vu depuis très longtemps. D’autres profiter d’un concert subaquatique (Wet Sounds) pendant Cultures Electroni[k] entre autres…

03_Wet-Sounds-1Et c’est déjà là que l’on sent l’émotion nous gagner. Car pour aller écouter un concert sous l’eau, il faut nécessairement un  maillot de bain. Et certains n’ont pas de quoi s’en acheter. Les initiateurs du projet ne le disent pas, souhaitant toujours que les participants gardent leur dignité. Le film ne montre jamais ces petites batailles quotidiennes qui serrent la gorge. Parce que, comme le rappelle la directrice de la MJC Bréquigny après la projection, lorsqu’on raccompagne les participants après un spectacle et qu’on leur demande « où vous dépose-t-on ? » , la réponse est des plus brutales. Pour certains, c’est directement la rue. Or, dans le film, dans les échanges qui suivent la projection, c’est davantage l’aventure culturelle et humaine qui est mise en avant. Cette rencontre avec les artistes, avec les œuvres. Ces temps forts qui se jouent, avec ces liens qui se tissent progressivement. Et les intervenants le rappellent, il ne s’agit pas « d’aller vers » mais plutôt de « faire avec » , c’est la condition « nécessaire pour qu’il y ait respect et reconnaissance » .

Accompagnement et rencontres avec  les artistes

En tout, explique Anne Burlot-Thomas, ce sont déjà 62 actions qui ont été menées : ateliers de pratiques artistiques, actions d’accès aux spectacles… Mais le plus intéressant, c’est qu’il s’agit d’un véritable accompagnement. Les lieux de spectacle, par exemple,  sont régis par des codes implicites : on ne se comporte pas de la même manière selon les lieux où l’on se trouve. Vous n’ouvrirez pas votre paquet de chips à l’opéra, vous n’irez pas en costume trois pièces au Hellfest (quoi que…). On peut crier à la Route du Rock, on évite plutôt au TNB (quoi que, là encore). Tous ces codes, pour peu qu’on ne les connaisse pas, risquent de nous faire nous sentir à côté. A côté, pas comme il faut. Et de nous barrer, implicitement, l’accès des lieux culturels.

La nuit américaine - Electroni[k] - Herman Kolgen/Steve ReichIl en va de même pour les repères artistiques. Carine, l’une des participantes explique qu’elle a apprécié « La Nuit Américaine » lors de Cultures Electroni[k] (avec Different Trains, de Steve Reich, une œuvre de musique contemporaine) alors qu’elle, elle est « plutôt gothique » . Chacun arrive donc avec son bagage, ses références. Mais la rencontre avec l’artiste précédant la prestation est souvent une bonne manière d’accompagner la rencontre avec la musique. La prestation de La Corda aux Trans Musicales bluffe les participants qui ont eu, petit à petit, le temps de s’imprégner de la musique des Rennais. En résidence à l’Antipode pour sa création à la Route du Rock, Yann Tiersen a lui aussi rencontré les participants avant, puis après sa prestation. Les commentaires sont enthousiastes : « Yann, si je peux te dire quelque chose, pour moi tu es le Mozart du rock » .

Cette rencontre avec les artistes a aussi lieu lorsqu’on propose aux participants de s’essayer à des ateliers de pratiques artistiques.  David Lemoine, par exemple, chanteur de Cheveu (et en concert samedi à l’Antipode) monte un groupe avec des personnes d’ADSAO et du foyer St Benoit de Labre (centres d’hébergement et de réinsertion sociale) : 4 à 5 musiciens volontaires découvrent avec lui la création de morceaux, l’écriture de textes, l’enregistrement… Il explique que cette relation sur le long terme demande de l’énergie et de l’investissement mais qu’au final , « on a apporté du sens » . Ces rendez-vous de semaine en semaine, font « que le temps devient de l’expérience, du capital » . Et qu’après 6 mois de travail ensemble « on est plus riche, c’est ça qu’on a vraiment partagé » . Et c’est aussi là qu’on voit que le projet porte ses fruits. Ce petit groupe créé durant cet atelier de pratique artistique continue aujourd’hui à exister de manière autonome. Ils ont enregistré une petite maquette pour le plaisir et continuent à écrire des chansons. Dans ce projet, souligne Anne Burlot-Thomas, « il s’agit de construire des espaces ouverts durablement » .

Projection de Parcours Sensibles à l'Antipode

Des rencontres humaines avant tout

Il s’agit finalement, de recréer du lien. Des liens avec les œuvres, des liens avec la culture, mais aussi des liens entre chacun d’entre nous. Présentes lors de la mise en place de La Nuit Américaine au Diapason, certaines personnes qui bénéficient de ce projet se prennent au jeu et sentent qu’ils ont aussi un rôle à y jouer : ils montent les amplis, branchent pour certains qui ont une ancienne formation d’électricien. L’un de ces techniciens d’un jour, passionné par ce qu’il est en train de vivre, deviendra même bénévole aux Trans Musicales quelques mois plus tard.

Les liens, forts, se sont tissés. Entre les participants, entre les intervenants. Lorsqu’ Anne Burlot-Thomas, la voix tremblante, souhaite remercier Salima Malik-Rivière qui a travaillé d’arrache-pied pendant tout le projet, cette dernière, humble se cache. Ce sont les participants au projet qui vont la chercher et la ramènent sur le devant de la scène dans les applaudissements. Et quand Alexandre, usager du projet, remercie  avec une grande sincérité les gens dans la salle « d’être venus si nombreux et de vous intéresser à nos vies » , l’émotion est palpable.

Quel(s) avenir(s) pour le projet ?

Béatrice Macé (Directrice de production et de projets des Rencontres Trans Musicales) rappelle d’ailleurs la mission des acteurs culturels. « Chaque artiste à une capacité d’émouvoir » , aussi le rôle des acteurs culturels est, selon elle, est « d’aplanir (les choses) pour que ce soit simple à un public de voir un artiste et à un artiste de jouer devant un public (…) Il faut qu’on prenne tout en considération pour que cette rencontre ait lieu » . Sentiment partagé, semble-t-il,  par les acteurs culturels présents dans la salle ce soir, qui ré-affirment que leur rôle n’est pas « seulement de garantir une offre, mais d’aller vers les publics » .

Projection de Parcours Sensibles à l'AntipodeAnne Burlot-Thomas, souligne justement la réactivité et l’engagement des différentes structures qu’ils ont souhaité intégrer dans le projet. Les réponses ont été le plus souvent enthousiastes. Mais si un tel projet a pu exister cette année, est-il possible de le poursuivre, sans le fonds européen de la lutte contre la pauvreté ?  D’autant que comme le fait remarquer la directrice de la MJC Bréquigny, les lieux culturels ont très envie de poursuivre l’aventure. Mais, s’inquiète-t-elle, pour que le projet continue, il faut que les structures d’accueil et de réinsertion sociale puissent continuer à apporter l’accompagnement nécessaire.  Les accompagnateurs sociaux ont en effet peu de temps et de moyens pour accompagner, or leur présence est très importante.

Pourtant, comme  le rappelle Anne Burlot-Thomas, « ça ne sert à rien de créer des espaces si on n’est pas capable de les maintenir« , avec ces Parcours Sensibles,  « il s’agit de construire des espaces ouverts durablement » . Elle souhaite néanmoins rester positive. Car elle le sent, l’énergie nécessaire pour continuer les choses est « là, elle existe » . C’est en tout cas tout le mal qu’on souhaite à une si belle aventure.

On laissera la conclusion au groupe La Corda. On les avait justement interrogés sur cette expérience avant leur passage aux Trans Musicales :  « Electroni[k] nous a aussi proposé de nous impliquer dans l’un de leurs projets, qu’ils appellent « parcours sensibles », un « projet de découvertes artistiques et culturelles en direction de personnes en situation de précarité ». On était assez réticents là-dessus au départ, car on sait comment certaines associations utilisent les projets « sociaux » pour choper des subventions sans trop se fatiguer, mais on voit au fil du temps qu’ils font ça avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité : ils tissent patiemment des liens avec des personnes de milieux très différents, ce n’est pas de la poudre aux yeux. Et donc voilà, il y a tout un suivi autour du projet de ciné-concert. Bref, cette association est étonnante et nous sommes super heureux de faire des trucs avec eux. »

Sentiment grandement partagé par une bonne partie de la salle ce mercredi soir.


1 commentaire sur “Parcours Sensibles : « merci d’être venus si nombreux et de vous intéresser à nos vies »

  1. Anonyme

    c COOL
    tro b1

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