Maintenant 2013 – Nuit Arts et Sciences, le bonheur des happy fews

Maintenant 2013Nuit Arts et Sciences - ErraticOn ne verra que la fin de cette Nuit Arts et Sciences au Diapason. Mais quel final ! Une performance audiovisuelle époustouflante et une seconde d’une beauté à couper le souffle, tout ça pour une poignée d’happy fews. Compte-rendu.

On manque le début de la soirée pour cause de concert à la Parcheminerie (voir là) et de repas grignoté sur le pouce et on arrive juste à temps dans une salle plongée dans le noir, pour la performance audio-visuelle de Richard Eigner et Robert Seidel, Erratic. On avait dit dans ces pages que les images qu’on n’avait pu voir de la performance nous avait laissés perplexes et dubitatifs.

Autant dire que ce soir, il va falloir revoir notre copie tant on est happé par le travail des deux Autrichiens. Sur la scène un immense écran blanc sur lequel sont projetées les images de Robert Seidel, tandis que les deux hommes se tiennent en retrait derrière leur ordinateurs, avec quelques instruments en plus pour Richard Eigner (dont un grand portant avec d’immenses triangles -les instruments- et deux demi sphères blanches que nous n’avons pas identifiées) sur la droite de la scène.

Maintenant 2013Nuit Arts et Sciences - ErraticPour commencer, des images fugaces, en noir et blanc, filmées dans une forêt, défilent puis s’estompent, pour devenir progressivement des masses noires et blanches abstraites. Des taches blanches apparaissent, disparaissent, se déplacent sur l’écran, comme autant de fantômes, de présences éphémères. Car le travail de Richard Eigner et de Robert Seidel interroge le souvenir, et cela pour commencer à partir d’images fugaces de la capitale autrichienne. On se met alors à deviner ou sur-interpréter les différentes formes qui défilent sous nos yeux, en essayant de se rattacher à des images connues.

Mais comme cette image d’une tasse de café qui se brouille, Robert Seidel se plait à toujours confondre ensemble contextualisation et abstraction. Au milieu de tout ce noir et ce blanc, on a la réminiscence d’une ruelle, on reconstruit une devanture surplombée d’idéogrammes. On hésite entre le flux et le reflux des vagues. Richard Eigner frappe ses triangles qui résonnent dans la salle. Derrière, des drones ambient, des crépitements jouent également sur les réminiscences. A un moment, guidé par des images de paysages qui défilent, on pense au cheminement sonore des trains de Different Trains qui joue aussi sur les liens de mémoire (le train que prenait Reich enfant à travers les États Unis, les trains de la Shoah) à cause de ces lentes répétitions comme un train en pleine marche. Ailleurs ces crépitements, ces scintillements qui, selon Robert Seidel font « référence au gaz d’éclairage, qui a disparu de la ville en 1962 au profit de sources de lumière électriques » . Là encore on se met progressivement à sur-interpréter, cherchant à faire le lien entre les sons entendus et ceux qu’on imagine de la ville viennoise.

Maintenant 2013Nuit Arts et Sciences - ErraticPetit à petit, on se trouve de plus en plus immergé dans la performance. De temps en temps encore, une image concrète en noir et blanc aux contours définis apparaît. On s’y raccroche quelques secondes jusqu’à ce que l’image se mette à trembler, à perdre progressivement ses contours. Cet essai de reconstitution permanent de notre esprit fait écho à celui de la reconstruction du souvenir. Jusqu’à une seconde partie (pour dire vite) où des formes totalement abstraites et colorées commencent à se mouvoir sous nos yeux. Modélisations complexes aux couleurs vives, elles contrastent complètement avec le long déroulé d’images noir et blanc déroulé auparavant. Les créatures multicolores papillonnent sur l’écran et les sons qui les accompagnent se font souvent plus fluides, plus lumineux, si on peut dire. On se souvient alors d’une interview dans laquelle Robert Seidel expliquait préférer créer de nouveaux mondes plutôt que de recréer des mondes déjà existants.

Puis vient une troisième partie, plus inquiétante, aux formes toujours mouvantes mais aux contours clairement définis où des organismes biologiques se mêlent avec des parties découpées de l’architecture viennoise, ornementations, piliers... Ces morceaux de sculpture isolés, apparaissent alors comme des éléments d’un décor théâtral, à la fois mouvant et passé sous des faisceaux lumineux. On pense au baroque et à ses vanités. D’autant que la musique dramatise les images ajoutant effet d’épouvante avec des montées inquiétantes, de lourdes basses ou des glissements soudain stridents. Au final, une performance assez époustouflante qui nous aura progressivement captivés. Notre seul regret étant qu’il n’y a pas eu grand monde pour la voir, comme celle, tout aussi captivante de l’artiste américaine qui enchaîne. Certes, on peut se voir comme de chanceux happy fews. Mais pour les artistes sur scène, c’est plutôt triste.

Maintenant 2013 Nuit Arts et Sciences Lesley FlaniganQu’importe, l’Américaine Lesley Flanigan n’en a cure et va nous livrer une performance qui va nous faire hérisser les poils d’émotion. La jeune femme propose en effet une version audiovisuelle de sa performance Amplifications (elle en présentera la version sonore seule le lendemain, dans le cadre d’Expérience 4  au Musée des Beaux Arts).

Seule sur scène, entourée de quatre haut-parleurs trafiqués, de micro-contacts et de circuits électroniques simples mêlés à sa voix,  la jeune femme approche puis éloigne lentement son micro des haut-parleurs, créant une sorte de larsen fragile et mouvant aux résonances progressivement hypnotisantes. Les membranes des haut-parleurs vibrent, voir même parfois grésillent, comme autant de drones mouvants. On s’est même surpris, certains moments, à y retrouver les grincements du crin d’un archet sur un instrument à cordes.

Maintenant 2013 Nuit Arts et Sciences Lesley FlaniganDevant elle, la jeune femme a également à sa disposition un pédale de boucles et une table de mixage dont elle se sert pour mixer et échantillonner en direct les sons produits avec la résonance de son micro. Et puis surtout, elle ajoute sa voix aux sons électro-acoustiques créés, là encore par couches qui se superposent, jouant sur les harmoniques, flirtant parfois avec une certaine atonalité, avant de retomber toujours sur l’harmonie et la mélodie. Le résultat est d’une beauté à couper le souffle.

Derrière elle, une petite caméra qui filme en gros plans le micro s’approchant ou s’éloignant du haut parleur, les mouvements des micro-contacts ou les membranes qui vibrent, transmet ces images sur le grand écran blanc. Parfois, la jeune femme se saisit également de la caméra pour jouer de contre-plongées ou de très gros plans.

On est stupéfait par la qualité de la performance qui mêle ensemble recherche acoustique et étude mélodique autour de la voix. On apprécie aussi particulièrement d’une part l’engagement total de la jeune femme dans sa performance, mais aussi le fait qu’elle parvienne, dans une même pièce à faire cohabiter douceur et violence, aridité et légèreté. Elle peut ainsi jouer sur les stridences, faire émerger agressivité latente à coups de larsens dissonants et grondants et dans le même « morceau » , mettre la plus grande douceur et créer les plus parfaites harmonies. On en est tout retourné. Après un final particulièrement émouvant où sa voix se transforme petit à petit en un chœur aussi aérien que fragile qui ferait pleurer les pierres, Lesley Flanigan fait grésiller une dernière fois un haut-parleur avant un court silence. Les lumières se rallument. On reste pourtant suspendu aux dernières vibrations invisibles de l’air. On est tombé sous le charme. Et pour longtemps.

Heureux les happy fews…

  Photos : Caro

 

_______________________________________

L’association Electroni[k] présente Maintenant du 15 au 20 octobre.

Pour plus d’1fos : http://www.maintenant-festival.fr/

 

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires