Casimir aime Caroline, Caroline aime Casimir, c’est la fête foraine à Munich, bigarrure sociale, lieu d’improbables rencontres, la bière dégouline aux commissures et tout deux sont bien décidés à profiter comme les autres de ce moment de plaisir, occasion possible de délices sucrés, de voltiges aériennes russes (comme un présage), temps de divertissement sur fond de crise.
Car si l’amour est là, que le titre de la pièce sonne comme une évidence, une promesse ravissante, un lien indéfectible ; en cette année 1930, la déconfiture boursière de 29 qui frappe l’Allemagne de plein fouet ouvre le champ au cataclysme prochain. L’époque est propice aux bouleversements politiques, l’histoire de Casimir et Caroline chavire itou.
La crise, ou quand tout rompt.
Oui, il est question de ruptures dans cette pièce, de séparations : d’une rupture amoureuse, fragile mais parachevée par le sexisme orgueilleux de Casimir (attaché à l’époque ? Peut-être…), de séparation des sphères privées et publiques ; Caroline demande s’il est possible de « séparer vie privée et environnement », quand pour Casimir, devenu chômeur, amputé de sa fonction économique, il semble nécessaire de mettre un terme aussi à l’amour, et enfin du tournant historique occidental conduisant à la fracture éthique majeure du vingtième siècle.
Casimir et Caroline : écriture prophétique…
Le texte (écrit en 1931) d’Odon Von Horvath est visionnaire, j’y entends l’agitation croissante des années 30 préludant la prise de pouvoir des nazis, une violence latente et inéluctable qui éclate en fin de pièce : une violence physique, celle d’un molestage gratuit, une violence morale, celle de Casimir qui dit « non » à l’abdication de Caroline, quand il pense oui, juste pour l’éclat.
…et les monstruosités.
Il y a aussi cette scène vaguement surréaliste : c’est la foire, ses phénomènes, ses attractions et la difformité donnée à voir, à approcher pour le frisson : la femme gorille, l’Homme Bouledogue, monstre à menton hypertrophié et pendeloquant, le directeur des phénomènes à l’accent teutonique lance d’une voix mystérieuse sa mise en garde: « s’il ouvre la bouche il ne la refermera plus », pour cette fois c’est allé, elle est close, mais je crois que quelques temps plus tard, il l’a ouverte et déclenché le pire qu’on soit capable.
La mise en scène, quand le regard est empli.
La mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota est spectaculaire, l’excellent groupe de 19 comédiens, la scénographie : structure d’acier entre ciel et terre, la mise en lumière en clair-obscur, les projections emplissent le regard comme une déambulation au milieu des manèges forains.
Les images produites sont très belles ; je pense au tableau d’ouverture : pose collective sur les gradins qui dessine en (toile de) fond des silhouettes, c’est beau et puis c’est terrible parce qu’il y a ces fils que je devine épineux, peut-être barbelés ou sont-ce des ronces? Pour lors, on ne peut plus détacher ces ombres projetées des images d’enfermement que les guerres produisent. Ils sont tous là, 19 personnages, ils regardent le Zeppelin, fierté allemande, qui disparaît lentement dans les airs, ils respirent cette liberté et en même temps (en fond) ils sont déjà tous enfermés.
Un regard politique…
Le choix d’Emmanuel Demarcy-Mota est clairement historique, alors, évidemment, le tumulte de 1930 est présent sur le plateau, des fois jusqu’à saturation, au point où le dispositif, pour ne pas dire le théâtral, perturbe le théâtre.
…en écho ?
Mercredi 27 mai, le soir : première à Rennes de Casimir et Caroline ; le matin sur France Inter : crise, chiffres désastreux du chômage et Marine Le Pen, invitée pour les élections européennes :
il faut aller voir et entendre Casimir et Caroline.
Casimir et Caroline au TNB
Texte de : Odon Von Horvath
Mise en scène : Emmanuelle Demarcy-Mota
avec :
Sylvie Testud, Thomas Durand, Hugues Quester, Alain Libolt, Charles-Roger Bour, Gérald Maillet, Sarah Karbasnikoff, Olivier Le Borgne, Walter N’Guyen, Cyril Anrep, Laurent Charpentier, Muriel Ines-Amat, Ana Das Chagas, Gaëlle Guillou, Céline Carrère, Sandra Faure, Pascal Vuillemot, Stéphane Krähenbühl, Constance Luzzati
au TNB du 27 mai au 6 juin,
rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation, le mercredi 3 juin 2009.
en audio-description le samedi 6 juin 2009.
le site du Théâtre de la Ville, dirigé par Emmanuel demarcy-Mota
Je me suis permise de citer votre article dans le blog de http://www.libertin-art.com, avec un lien vers cette page ici-même. Il sera enlevé s’il ne vous agrée pas.
Bien à vous