Maintenant 2017 – Interview d’Erosie qui signe la nouvelle identité visuelle du festival

Cette année l’ébouriffant et passionnant festival Maintenant aura lieu du 10 au 15 octobre 2017. Un peu tôt pour vous en parler, pensez-vous? Et bien pas tout à fait puisque Maintenant, c’est déjà un peu aujourd’hui et que la facétieuse équipe d’Electroni[k] (les trublions inspirés qui organisent l’événement) sort aujourd’hui la nouvelle identité visuelle du festival version 2017.

C’est Erosie, un artiste hollandais venu du monde du graffiti et de l’art conceptuel, qui signe ce nouveau visuel. Un secret, illisible au premier coup d’œil, s’y dissimule. C’est ce qu’on a appris en discutant avec son créateur. On a aussi interrogé l’équipe d’Electroni[k] pour en savoir plus sur le comment du pourquoi d’une identité visuelle confiée tous les ans à un artiste différent. On en a même profité pour leur demander de nous en dire un peu plus sur l’édition à venir. Et on se surprend maintenant à attendre de nouveau l’automne avec impatience ! Explications.

Maintenant, c’est quoi ?

L’association Electroni[k] propose différentes manifestations à Rennes, notamment pendant le temps fort Cultures Electroni[k], renommé Maintenant depuis 2013 (à ce propos, lire ici) , autour des arts, de la musique et des technologies au travers de spectacles variés et souvent atypiques, mais toujours d’une réelle qualité artistique. Cette année Maintenant aura lieu du 10 au 15 octobre 2017.

Au fil des années, l’association Electroni[k] a ainsi complètement réussi à nous alpaguer avec ces propositions éclectiques, souvent décalées, à l’incongruité jouissive. A cause de cette bourricote d’équipe, on a dormi dans un dojo plein d’inconnus et écouté un concert en pyjama, on a entendu des légumes faire de la musique (mais on n’a pas mangé la soupe, faut pas exagérer!), on s’est caillé les miches dans la piscine St Georges pour une diffusion subaquatique qui nous a fait frissonner au sens propre et figuré, on a écouté un quatuor à vents en forme de cornes de brume. On a aussi regardé une tapisserie devenir vivante, fait des bulles en forme de montgolfières, et même allumé un nuage sur la place Hoche : bref, on a fait un paquet de trucs qu’on n’aurait jamais imaginé vivre.

En plus des offres plus classiques, Electroni[k] s’attache ainsi à constamment expérimenter de nouvelles formes d’accueil et d’interaction avec le public : des lieux apparemment incongrus (une piscine, un dojo, une maison de retraite…), des formats étonnants (des concerts sous l’eau, des installations qui s’écoutent sur des lits suspendus, des performances qui se découvrent au cœur de dispositifs sonores englobants ou de visuels hallucinants, des concerts au casque…). Et surtout, une volonté de s’adresser à tous les publics. Alors oui, chaque année, on attend octobre comme Noël avant l’heure, persuadés que l’équipe d’Electroni[k] aura caché mille surprises dans sa programmation.

Quelques questions à l’équipe de Maintenant à propos de l’identité visuelle, du choix d’Erosie et de ce à quoi on peut s’attendre pour cette nouvelle édition

Alter1fo : L’identité visuelle tient chaque année une grande place dans le festival. Tous les ans, vous allez chercher un artiste avec un univers singulier pour signer le visuel du festival. Pourquoi cette volonté ?

L’équipe de Maintenant : L’identité visuelle du festival est la première création présentée au public. Chaque année un artiste français ou international est sollicité pour proposer sa vision du festival. Les artistes graphiques sont une réelle source d’inspiration, leur créativité est stimulante. Ils développent des univers personnels riches aux techniques diverses : illustrations à l’encre, dessin, dessin assisté par ordinateur…

Toutes ces techniques qui se renouvellent et se croisent, tous ces univers nous plaisent et nous avons l’envie de les partager. C’est aussi le cas avec d’autres projets d’Electroni[k] (résidences, expositions ou ateliers par exemple). Chaque année est l’occasion de donner une couleur particulière à l’édition du festival, l’identité visuelle est un élément communicant pour tous les projets. C’est un élément marquant qui va focaliser l’attention de nos équipes, des partenaires, des journalistes et bien sûr de nos publics. Nous aimons renouveler l’image du festival tout en gardant une constance dans la qualité et l’exigence de la réalisation. L’identité visuelle doit intriguer tout en étant accessible, elle doit être communicante tout en étant issue d’un univers personnel. Un challenge utopique que nous aimons relever avec passion tous les ans !

Comment avez-vous découvert le travail d’Erosie et pour quelles raisons avez vous choisi de lui confier la réalisation de l’identité visuelle cette année ?

Gaétan Naël pour l’équipe de Maintenant : Nous avons découvert le travail de Jeroen Heeman (Erosie) à la fin des années 90. Puis, comme pour d’autres artistes, nous avons suivi son parcours et l’évolution de sa production, toujours avec la même envie et singularité.

Erosie est nourri de nombreuses influences (typographie, architecture, musique, graffiti…), nous y voyons un effet miroir avec le festival Maintenant. Ses productions renvoient à des puzzles, ou tangrams imaginaires. La recherche plastique est continue dans son travail. Erosie compose ses images tel un funambule qui s’autorise les accidents. Il se réinvente continuellement, dans un jeu typographique libéré des cadres. Un travail intuitif lui permettant d’exister tant dans les galeries, que sur les murs du monde entier.

Il a livré un travail d’orfèvre, très minutieux et sensible, où les couleurs et les textures s’articulent avec évidence, pour donner à lire… Maintenant.

Beaucoup de choses sont encore confidentielles et en cours de réalisation actuellement, mais à quoi peut-on s’attendre pour l’édition 2017 de Maintenant ?

Gaétan Naël pour l’équipe de Maintenant : Nous retrouverons avec grand plaisir le Théâtre du Vieux Saint-Étienne comme cœur du festival. Une nouvelle Nuit Américaine se dessine avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne, les rencontres professionnelles s’étoffent. Les conférences Demain mettront en lumière les expériences et initiatives d’acteurs et professionnels d’aujourd’hui qui font et participent à la création de demain, autour de deux thématiques : 1. Tissus, textiles & vêtements connectés ; 2. Livre, lecture & numérique.

Attendez-vous à une édition dense, surprenante et enthousiasmante !

Rencontre avec Erosie qui signe la nouvelle identité visuelle du festival

Alter1fo : Comment êtes-vous entré dans le monde du graffiti et de l’illustration ?

Erosie : Enfant, je dessinais beaucoup et j’étais très intéressé par l’observation des premiers graffitis du milieu des années 80, les personnages, les couleurs, les traits épais : c’était particulièrement excitant.

Plus tard, j’ai commencé à en produire moi-même et ça m’a amené à faire une école d’art un peu après, au milieu des années 90. J’ai commencé ma carrière d’illustrateur professionnel après mon diplôme.

Alter1fo : On dirait que vous tentez de rapprocher plusieurs domaines a priori cloisonnés (le graffiti, l’art conceptuel, l’illustration, la typographie, entre autres), en mélangeant toutes ces influences, ce background, dans votre travail. Vous avez dit ne pas aimer être coincé dans un genre, une catégorie. De quelle manière pensez-vous que ces mélanges nourrissent votre travail ?

Erosie : En fait, je crois que cette « phobie des catégories » était davantage une réaction à l’encontre d’une hype autour du street art de la première heure, autour de 2005. J’avais l’impression que le fait d’être étiqueté signifiait la fin de l’ouverture dans l’expérimentation (celle de faire des choses dans la rue qui n’étaient pas du graffiti, n’appartenaient pas au design, à l’art, mais se situait quelque part entre…) J’aime passer d’une influence à l’autre, mélanger différentes approches, pour essayer… Et voir où elles vont m’amener. Il y a tellement à découvrir.

Alter1fo : Vous avez dit qu’en réalisant ce « cercle parfait » à la bombe de peinture en 2008-2009, c’était la fin du graffiti pour vous, parce que tout était dans ce cercle. Mais, dans le même temps, vous dites que ça a donné une nouvelle orientation à votre travail. Pouvez-vous nous expliquer ?

Erosie :  Je pense qu’il s’agissait d’une approche conceptuelle pour réaliser un cercle, liant l’approche du graffiti à un thème historique du monde de l’art ; du peintre Giotto à Rembrandt, en passant par la calligraphie zen, le cercle a toujours été une forme métaphorique fascinante. Pour moi, ce qui était fort c’était de réaliser qu’un simple geste, bien exécuté, pouvait avoir un gros impact, comme un graffiti, mais dans un contexte très différent. J’ai voulu avoir cette approche comme ligne directrice de mon travail. La satisfaction directe dans le geste, plus intuitive que celle du cercle, était quelque chose que je recherchais dans mes collages, peintures ou dessins.

Alter1fo : Vous aimez intégrer des éléments de surprises dans le processus de création. Vous avez dit essayer de travailler à partir de concepts, autour d’une direction, mais que la manière d’arriver à l’œuvre finale devait émerger d’un processus organique, changeant constamment. Pouvez-vous nous expliquer ? Qu’en est-il de cette friction entre ce qui est planifié et l’improvisation ?

Erosie : Le travail que je réalise aujourd’hui vient des pages de mon carnet de dessins, une grille remplie de formes intuitives, comme des lettres mais qui seraient illisibles. Pour créer ces formes, j’altère légèrement la forme première puis je procède pas à pas. Donc, par exemple, au bout de cinq étapes, j’obtiens un résultat vraiment différent, que je n’aurais pu atteindre autrement. C’est ce que j’aime.

Photo :  Blind Eye Factory

Alter1fo : Vous vous occupez du label 3024 avec Martyn, pour lequel vous réalisez les visuels. La musique électronique est souvent faite à partir de boucles, de couches de sons superposées. Dans vos projets, vous travaillez également sur la superposition de couches. Dans quelle mesure la musique électronique inspire-t-elle votre travail ?

Erosie : De différentes manières, à la fois de façon directe et indirecte… Je me suis rendu compte un jour, en observant Martyn pendant un set, de l’intérêt de choisir ses disques en réaction à ce qui se passe. Il y a un certain nombre de disques, il doit y avoir un plan, mais le résultat final reste ouvert. La réaction de la foule, la nécessité soudaine de modifier la construction pré-établie du set… J’ai toujours pensé que ce serait chouette de traduire cette approche visuellement.

Alter1fo : Dans l’espace public, les graffitis sont rarement permanents, figés. Ils sont constamment (partiellement ou totalement) recouverts, transformés. Le temps les modifie constamment. Votre nom d’artiste, Erosie (érosion en hollandais) est peut-être une évocation de ce processus. Est-ce que votre manière de travailler (avec beaucoup d’étapes, de couches) est une autre façon d’évoquer l’importance du temps ?

Erosie : Pas de façon si délibérée… Mais dans un sens, c’est lié. Ça vient de l’idée de la ville, de la façon dont elle absorbe ou rejette les graffitis en son sein, la manière dont elle est nettoyée, repeinte, ce processus constant. Maintenant, ça a un peu changé, mais je crois qu’il y a toujours ce lien…

Alter1fo : Vous utilisez différentes techniques (collage, bombes de peinture, peinture au pinceau…) que vous mélangez ensemble, en différentes couches. Ces couches semblent en même temps cacher et dévoiler les différentes étapes du processus de création, la « géologie » de votre travail. Est-ce que c’est quelque chose que vous recherchez ?

Erosie : C’est le processus de répétition qui m’attire, mais avec différents modes d’exécution. Concernant la peinture et le collage, l’approche « réactive » est davantage nivelée.

Comme en empilant différentes formes les unes sur les autres, avec mes dernières fresques et peintures, le processus est devenu plus linéaire. Chaque élément déclencheur est placé à côté d’un autre.

Alter1fo : Le nom du festival, Maintenant est un bel écho à la manière dont votre travail inclut « le moment » dans le processus de création. Vous avez réalisé l’identité visuelle du festival. Quelles étaient vos envies avec ce projet ?

Erosie : Oui, ça fait sens… Je crois que l’essentiel de cette idée est venu de l’équipe de Maintenant qui a vu cette approche reflétée dans mon travail (essentiellement basé sur la pochette de l’album de Martyn et Steffi, Evidence from a good source).

Alter1fo : L’identité visuelle que vous avez réalisée pour Maintenant semble aussi basée sur le travail à partir de formes venant de lettres, comme dans votre précédent travail Linguaggio Universale réalisé en 2015 en Italie. Vous avez dit avoir, sur plusieurs années, développé une série à propos de l’interprétation du langage, dans lequel les lettres que vous dessinez apparaissent comme des silhouettes. Pouvez-vous nous expliquer ce projet ?

Erosie : Les fresques du Langage Universel sont, en quelque sorte, une approche pour créer un sorte de travail « participatif », sans être trop direct. Je crois que c’est important de réaliser que son travail est public : beaucoup de personnes vont le voir, il va faire partie de l’immeuble à part entière, de la rue, de la ville, de beaucoup de vies différentes.

C’est abstrait, mais à cause des couleurs et de la variété des formes, cela reste très ouvert aux interprétations. En Italie, c’était particulièrement chouette de voir à quel point ces peintures ont été bien reçues par les gens qui vivent vraiment dans les immeubles sur lesquels elles sont peintes… Double bonus.

Photo : Blind Eye Factory

Alter1fo : Votre identité visuelle pour Maintenant nous a fait penser à Matisse et ses papiers découpés. Est-ce que c’est quelque chose que vous aviez à l’esprit ?

Erosie : J’imagine que ça vient du dessin en forme de feuille…

Bien sûr, c’est une grande influence, mais pas de manière directe, puisque pour moi les formes sont davantage basées sur des lettres et des détails architecturaux (entre autres).

Alter1fo : Est-ce que l’équipe de Maintenant vous a laissé carte blanche pour cette identité visuelle ou avait-elle des demandes précises ?

Erosie : Ils aimaient vraiment mon approche du collage, mais pour le reste, il n’y a eu aucune limitation.

Alter1fo : Quels outils, techniques et matériaux avez-vous utilisé pour créer cette identité visuelle ?

Erosie : L’idée de départ était de réaliser cette image à partir des dix lettres du mot Maintenant.  Et de cette façon, relier directement les formes aux lettres, bien que certaines formes aient évolué vers des choses très différentes. Ce n’était pas fait pour être lisible, plutôt pour suggérer, refléter une certaine ambivalence, à l’image de ce que met en avant le festival.

Alter1fo : Pour finir, quels sont vos prochains projets ?

Erosie : Je vais faire une exposition solo à Amsterdam à la Mini Gallery en octobre et je travaille en ce moment sur une fresque murale à Berlin. Je vais également travailler sur plusieurs tirages et à une publication de mon travail. Beaucoup de choses à faire !

Merci !!

If you don’t speak french, you can read Erosie’s interview here.


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