Maintenant 2018 – Une semaine d’Expériences qui n’a manqué ni d’air ni de coeur

Sonoriser le Marché des Lices ? Jouer des pièces électroniques avec des robots accroupis au milieu d’un temple protestant ? Écouter une symphonie pour ballons de baudruche géants ou le cœur d’un saxophoniste en train de jouer ? Voilà quelques unes des Expériences offertes par le festival Maintenant pendant une semaine riche de découvertes bien souvent passionnantes. Compte-rendu.

Expériences, le concept

Dans la foisonnante (et captivante) programmation du festival Maintenant vient se nicher chaque année une toujours passionnante série de propositions particulièrement singulières. La série Expérience consacrée à la découverte de formes expérimentales aussi inattendues qu’inouïes nous emmène dans de délicieuses explorations de territoires sonores atypiques, parfois déconcertants, mais toujours excitants pour les oreilles, les méninges et le cœur. Particulièrement friand des étonnants dialogues qui se nouent entre un lieu bien souvent atypique (du musée des Beaux Arts au marché des Lices, du kiosque du Thabor au Temple Protestant sans oublier la salle des Pas Perdus du Parlement et là encore on en passe) et la performance musicale et visuelle qui s’y donne à voir et entendre, on a essayé d’en manquer le moins possible. On vous raconte.

Expérience 1 : Santa Melodica Orchestra d’Andreas Trobollowitsch

La veille, c’est au Théâtre du Vieux St Étienne que la performance suspendue d’Andreas Trobollowitsch accueillait les festivaliers pendant l’inauguration de Maintenant, mais ce premier week-end de festival, c’est au Marché des Lices que poireaux et autres cucurbitacées, étonnés, s’arrêtent devant l’étrange troupe qui a pris place sur la place Rallier du Baty. L’artiste autrichien Andreas Trobollowitsch qui nous avait scotché avec son orgue à ventilateurs l’an dernier (au Bon accueil et dans l’atelier mécanique de l’EESAB de Rennes) lors de la dernière édition du festival est en effet de retour avec une vingtaine de volontaires qui composent le Santa Melodica Orchestra. Le doux bonhomme concentre principalement son travail sur des compositions conceptuelles, des installations sonores et la création d’instruments de musique artisanaux… et inattendus ! Le garçon peut ainsi aussi bien écrire une partition pour trois musiciens-bûcherons armés de haches de différentes tailles qui l’exécutent face à des bûches de diverses longueurs et duretés (Hecker – le résultat est bluffant), qu’une pièce pour plante verte tournant sur une platine vinyle entre deux haut-parleurs, le son de sa rotation (notamment lorsque les feuilles viennent buter sur le micro) étant capté et diffusé par les enceintes. Ce samedi 6 octobre, les Rennais qui se faufilent entre les étals du Marché des Lices ont donc l’étonnante surprise de voir une vingtaine de performers tenant un immense tuyau surmonté d’un mélodica et d’un ballon de baudruche, éparpillée sur la place à mille endroits plus ou moins incongrus.

Certains sont campés debout sur un fontaine, d’autres, au sol, au milieu de la foule des terrasses et des plantes vertes sur les étals, d’autres encore surgissent aux fenêtres des étages entourant la petite place. A midi tapantes, les cloches de l’église voisine résonnent et donnent, dès leur dernier coup, le départ pour l’étonnante symphonie. Les vingt immenses tuyaux, reliés aux mélodicas et aux ballons de baudruche se mettent alors successivement en mouvement, tenus par la vingtaine de jeunes gens qui alternativement, ou de concert, soufflent à l’intérieur. Leur instrument ploie, se déploie au rythme du mouvement et du souffle qu’ils lui impriment. Le son qui en sourd est une sorte de drone assez onirique, prenant, même carrément fascinant pour peu qu’on prenne le temps de les écouter. Alors certes c’est un peu ardu ou conceptuel pour certains passants, mais l’on apprécie pour notre part particulièrement que la performance accessible à tous enchante soudainement la ville. D’autant que son aspect visuel assez fascinant accroche immédiatement les regards.

C’est en effet assez dingue de voir ces immenses tuyaux danser au-dessus des têtes et accompagner les mouvements de la place en plein marché au son de ce doux et délicat bourdonnement. S’il s’est d’abord défini comme un artiste sonore, Andreas Trobollowitsch a toujours intégré une dimension visuelle à ses performances, jusqu’à reconnaître désormais l’importance de cet aspect dans son travail. Le lent ballet des instruments et leurs musiciens possède un fort pouvoir hypnotique, un peu comme si la troupe de performeurs et les instruments devenaient ensemble un être propre, unique, organique et les enfants autour de nous restent particulièrement fascinés. Une performance décalée, suspendue pour peu qu’on s’y abandonne et qui aura su susciter interrogations et curiosité. On y aura même entendu : « Vu qu’ils soufflent, ça doit être le Grand Soufflet » …

(Photos : le bel œil de Mr B.)

Expérience 2 : Saudaà Group

Il était prévu que le Saudaà Group (également présent lors du premier brunch électronique le 7 octobre au Vieux St Étienne) joue le samedi 6 octobre au kiosque du Thabor. Mais pour cause de pluie prévue, la performance de l’après-midi est finalement déplacée au Théâtre du Vieux St Étienne. Alexis Paul a transformé une forme venue du passé (l’orgue de barbarie) en instrument actuel doté du langage MIDI. Instrument à vent (raccord donc avec l’édition 2018 de Maintenant qui se consacre à l’air), portatif, l’orgue de barbarie classique utilise une carte perforée pour produire du son (ce qui en fait finalement l’un des premiers systèmes de reproduction de la musique « enregistrée » !), évacuant dès lors la question de la virtuosité du musicien puisque tout le monde peut en tourner la manivelle et faire défiler la carte perforée. Alexis Paul l’a néanmoins transformé : « Depuis l’arrivée du système MIDI, des interfaces ont été développées pour remplacer la carte perforée par un fichier informatique. Ce dernier système permet d’agir sur l’orgue en direct à partir de n’importe quel contrôleur électronique et de composer sans avoir recours à la perforation, longue et coûteuse, des cartons. »

Son orgue est ainsi un instrument hybride, composé de 42 flûtes en bois actionnées au choix par des cartons perforés de 29 notes ou par le pilotage MIDI (autorisant 42 notes). Mais plutôt que de moderniser l’instrument seulement par la technique (l’utilisation du système Midi), Alexis Paul revisite également son répertoire (une musique plus minimaliste faite de nappes sonores, de drones, à laquelle il se permet d’ajouter d’autres sources éléctro-acoustiques) et ses dimensions symboliques. En 2016, sous le nom de Saudaá Group (autrement dit, lui et son orgue) il est ainsi parti faire le tour du monde, amenant son orgue, par nature voyageur dans des cultures qui ne le connaissaient pas, revisitant l’itinérance hors des frontières européennes qui ont vu jusque là l’orgue se mouvoir : Maroc, Arménie, Uruguay, Japon, Argentine, Géorgie, Islande, Mongolie, Grèce ou Liban ont ainsi été traversés par le musicien nomade et passeur qui s’est chaque fois associé à des musiciens locaux.

Ce samedi après-midi, son délicat instrumentarium organique et électronique est installé au centre de la nef du Vieux St Étienne dans une lumière douce et enveloppante et tandis que les gouttes tombent dru au-dehors, la vieille église se transforme en havre chaleureux dans lequel le public se love sur les coussins plus ou moins gigantesques qui jonchent le sol. Les lentes et délicates mélodies développées par le musicien se révélant particulièrement propices à la rêverie voilée de cette saudade qui lui est chère. Alors qu’on est assis, couché, évenlé sur les coussins sur le sol de la nef en train d’écouter la douceur mélancolique de Saudaà Group, on se laisse complètement hypnotiser par les mouvements graciles de la sculpture au-dessus de nos têtes, l’immense Polygon qui est suspendu au cœur de la vieille nef.

Le Théâtre du Vieux St Étienne accueille en effet l’œuvre de l’artiste belge Lawrence Malstaf. Autrement dit une forme mouvante, complètement hypnotique, composée simplement de tubes très légers articulés ensemble. Grâce à un mécanisme utilisant moteurs et contrepoids (à noter le mécanisme est complètement visible), la structure devient un paysage géométrique en mouvement et semble même quasi dotée d’une vie propre, les illusions d’optique transformant notre regard. D’autant plus que les mouvements de l’installation, l’ajustement de sa forme et son équilibre dans les airs restent totalement imprévisibles, comme menés par le hasard et la coïncidence. C’est assez épatant de voir la structure se mouvoir au-dessus du public sans que celui-ci n’y prête vraiment garde. Ou plutôt si, justement, c’est un peu comme si ce Polygon quasi doté d’une vie propre se rappelait à nous soudainement, faisant descendre ses contrepoids d’un côté ou de l’autre au moment où on avait presque oublié sa présence. Non seulement, entre les hautes arches et les vieilles pierres de l’ancienne église, l’œuvre prend une résonance encore nouvelle, mais celle-ci s’épaissit encore de la performance ouatée et poétique qui se déroule dans la vieille nef. Si on reste quant à nous un peu sur notre faim musicalement (on aurait préféré davantage d’épaisseur ou d’aspérité), le dialogue qui se noue entre l’œuvre et la performance est définitivement l’une des belles réussites du moment, tout comme la belle harmonie qui s’est tissée entre le lieu, le public et l’artiste en un hic et nunc poétique et suspendu. Magique.

(Photos : l’irremplaçable Mr B.)

Expériences 3 (et 4) : Joasihno

Joasihno – Maintenant 2018 – Crédits Photos : l’humble, adorable et talentueux Gwendal Le Flem

On change de lieu pour l’expérience suivante le 10 octobre, puisque c’est la première fois qu’on pénètre dans le Temple Protestant de Rennes et c’est déjà tout emballés que nous attendons la (ou plutôt les performances puisque les musiciens jouent le lendemain dans le cloître de la fac de Sciences Eco, performance à laquelle nous ne pourrons assister, vrai travail oblige) du duo allemand Joasihno, issu de la sélection SHAPE de cette année. Ce qu’on a pu voir et entendre (ils ont déjà sorti trois albums et une poignée de eps depuis 2009) du duo composé de Cico Beck (les fans de Notwist le re-situeront facilement dans leur galaxie et se souviendront comme nous avec émotion de la manière dont il avait fait glisser un Neon Golden en house extatique mode club berlinois à la Route du Rock) et Nico Sierig, nous met d’ores et déjà en appétit.

Car la musique des Allemands se donne quasi autant à voir qu’à entendre. Imaginez un peu à même le sol, au centre du Temple, un instrumentarium incongru mêlant instruments acoustiques (comme des xylophones ou des métallophones) -mais parfois passés par des pédales d’effets qui en distordent les sons-, synthétiseurs analogiques, guitare électrique, percussions traditionnelles (cymbale de batterie, tom de caisse claire ou maracas) à d’autres plus improbables (cubes et bols en métal heurtés par une masse au bout d’un fil suspendu), -voire dispensables, hum la flûte-. Mais figurez-vous surtout cet assemblage hétéroclite joué à la fois par deux musiciens en chair et en os, accroupis par terre, qui s’échangent les places et les instruments au fil de la performance, et par de petits robots musiciens qui s’animent et jouent dans le temps et le ton. Le tout devient alors assez fascinant. Notamment ce robot qui frappe régulièrement la caisse claire ou ces époustouflants moulins rythmiques qui se mettent à tournoyer dans les lumières provoquant d’hypnotiques jeux d’ombres sur les parois du temple.

Alors même si on est parfois un peu gêné par l’acoustique du lieu, qui transforme quelques moments en bouillie moins digeste, on parvient sans peine à se laisser imprégner par la musique produite par le duo, en même temps exigeante et ludique et ce dès l’introductif Nuh Nuh. Entre electronica et dancefloor hédoniste, entre répétition kraut et ritournelle pop, alliant rythmiques minimalistes et/ou en contrepoint à la Steve Reich/Moondog, la musique des Munichois qui se donne à voir, file autant le sourire que de délicieuses fourmis dans les jambes. On est même ravi d’entendre que le duo est bien moins sage en live que sur disque, se permettant des passages plus bruitistes, ou de vraies puissantes montées (Bells Game, notamment). Alors certes, il y a quelques moments un peu moins convaincants (la flûte, on y revient), mais la qualité du set est quand même impressionnante, et le concert se révèle d’une belle tenue entre apesanteur aérienne, mélancolie bruitiste et beat envoûtant et/ou irrésistible.

Joasihno – Maintenant 2018 – Crédits Photos : l’humble, adorable et talentueux Gwendal Le Flem

Expérience 5 : Jason Sharp et Adam Basanta

On attend tout autant de la performance du Canadien Jason Sharp accompagné de son complice Adam Basanta le lendemain, le 11 octobre, aux sympathiques et bien nommés Ateliers du Vent. Membre actif de la scène expérimentale montréalaise, notamment en tant que saxophoniste collaborant avec une grande variété d’ensembles jazz et de groupes issus de l’écurie Constellation (Sam Shalabi, Matana Roberts, Thee Silver Mt Zion, Land of Kush…), Jason Sharp a logiquement sorti un premier album solo sur le label montréalais, A Boat upon its blood en 2016, avant de collaborer avec le designer sonore et expérimentateur Adam Basanta pour son second long format paru cette année Stand above the Streams qui constitue l’essentiel du set de ce soir.

Utilisant la technique bien connue des jazzmen ou musiciens contemporains du souffle continu (technique respiratoire permettant d’expirer de l’air et donc de jouer d’un instrument de façon ininterrompue et prolongée), Jason Sharp, tout comme son compagnon de label Colin Stetson, est de ceux qui façonnent le(ur) son pour un résultat riche et stupéfiant. Pourtant, c’est en occultant très vite l’image de Colin Stetson, qu’on profite pleinement de la performance. Car si les deux musiciens partagent une même technique et certaines aspirations, la musique produite par Jason Sharp et Adam Basanta part aussi dans des directions différentes. Et pas moins inintéressantes.

Le set commence par un moment véritablement suspendu pendant lequel Adam Basanta fait varier la pression d’air sur de petits hauts parleurs nous semble-t-il, en baladant des micros au dessus d’eux, tout comme en les recouvrant, plus ou moins, avec des verres, tasses et autres pots de confiture vides : les vibrations en même temps pleines et éthérées qui s’en dégagent se révèlent à notre grand étonnement complètement hypnotiques. On a également la surprise de voir que les musiciens jouent chacun avec d’étranges partitions, nous rappelant que leurs expérimentations, toutes physiques qu’elles soient, n’en sont pas moins en partie écrites.

Car pour Jason Sharp, la musique expérimentale (électronique ou non) est d’abord une expérience physique. Les sons devenant une immense masse sonore qu’on traverse physiquement, les résonances de certaines fréquences dans le corps donnant quasi la possibilité de s’y plonger, de s’y engager. Ainsi, continuant d’explorer les relations entre corps et machines, Jason Sharp enregistre les battements de son cœur tandis qu’il joue, grâce à un moniteur cardiaque, Adam Basanta se chargeant alors de travailler la matière sonore obtenue  (reposant donc tout autant sur les résonances du saxophone, les battements de cœur, le souffle des respirations) en temps réel. Le souffle et les battements cardiaques du musicien permettant à l’artiste de déclencher de nouvelles sonorités inouïes, qu’ils maîtrisent tous deux à l’aide de pédales, de tables de mixages, synthétiseurs, ordinateur et autres machines hérissées de fils.

Mais ce qui nous épate pareillement, c’est la variété d’un set qui se permet de changer de ton, de jouer constamment sur les reliefs, passant d’apaisements suspendus en déchaînements patiemment et diaboliquement construits. Avec son saxophone basse énorme comme seul dégommateur apocalyptique de tympans, Jason Sharp produit des sons profonds et telluriques qui raclent profond dans les poumons et l’abdomen. D’autant plus quand le souffle sortant de son saxophone vient faire vibrer un tom de caisse claire suspendu devant lui, déclenchant un grand raout de vibrations.

On regrette juste que parfois dans le mélange entre organique et rythmiques électroniques, un four on the floor un peu trop entêtant vienne prendre un tantinet trop de place, tout comme on peine à être convaincu par les sonorités synthétiques un peu celtiques qui surgissent dans un long enchaînement. Malgré cela et quelques difficultés d’ordre technique, on ressort de là particulièrement ravi. A la fois étranges et puissants, les deux  longs morceaux joués ce soir incorporent tout ensemble musique éléctro-acoustique, micro-tonale, drone, noise, jazz, mais surtout parlent d’abord aux corps et aux âmes. Un moment plutôt impressionnant.

Photos – l’œil en feu et l’oreille en enfer : Mr B.

Expérience 6 : Flavien Berger et Marc Melià

Ce vendredi 12 octobre, c’est à l’Antipode MJC que l’on se rend, tout comme une foule de festivaliers qui (c’est aussi le cas chaque soir au Vieux St Étienne) se presse à l’intérieur, la soirée affichant complet, complet.

Le concert débute avec l’électro pop rêveuse et spatiale de Marc Mélià. Né à Majorque mais résidant aujourd’hui à Bruxelles, le musicien est également derrière ses claviers chez Françoiz Breut, Borja Flames ou encore Le Ton Mité mais a par contre composé seul Music For Prophet (suivi d’un récent ep en septembre, Echoes of Prophet), un album hommage au mythique synthétiseur Prophet 08. C’est donc en solo dans des halos de lumière colorées que se présente l’artiste, heureux de partager le plateau avec Flavien Berger (pour l’anecdote, la légende veut que lors d’une rencontre imprévue après un concert à Liège de ce dernier, il aurait glissé une K7 de l’album dans la main de Flavien Berger. Heureux hasard qui permettra la sortie du disque sur le label Les Disques du Festival Permanent).

La casquette vissée sur la tête, assis derrière son synthétiseur fétiche, Marc Melià explore avec une grâce certaine la mélancolie profonde et le potentiel mystique d’une musique faussement froide et robotique. On est progressivement happé par les variations sensibles qu’il imprime à ses longues mélopées synthétiques, qu’il développe a priori sans utiliser aucune séquence pré-enregistrée. On est d’ailleurs particulièrement surpris d’entendre qu’avec juste son synthé modulaire, le musicien parvient à embrasser un spectre sonore aussi large. Moments délicats et planants, parfois rehaussés d’une voix trafiquée au vocoder (on n’a jamais été fan de ces sonorités, mais on se soigne) comme sur Fata Fou, ici, ou emballements synthétiques tout en échos plus loin : la musique sensible et éthérée de Marc Melià amalgame futur et passé pour enfin leur accorder la concordance du moment. On plonge tête première dans les chaudes nappes analogiques qui déferlent doucement. Et quand parfois les rêves synthétiques prennent de l’élan (Arpeggio on ne sait plus combien), on les suit avec les mêmes palpitations. Une parfaite entrée en matière pour les températures tropicales qui vont suivre.

Le public massé en rangs serrés devant la scène a déjà pris fait et cause pour Flavien Berger et ponctue de cris d’amour et d’enthousiasme son entrée en scène comme chacune de ses interventions. La sortie de son second album, le très acclamé Contre-Temps qui semble envoûter un public de plus en plus nombreux n’y est certainement pas étrangère. Nous, on n’est encore pas sûrs d’être convaincus et on attend le live pour y entendre plus clair.

Musicien aux idées larges et synthétiques, Flavien Berger produit une électro pop résolument hors format, désormais beaucoup chantée (toujours en français, avec l’envie d’évoquer plus que de raconter), parfois étirée pour laisser planer l’auditeur. Tour à tour sombre, naïve, poétique, la musique du jeune homme, particulièrement personnelle, se permet toutes les incartades, allant bien souvent là où on ne l’attend pas (un arrangement volontairement cheap, un rockabilly forain, une autobahn électronique qui déroule ou une fête foraine entre Mars et l’Abyssinie) et c’est tant mieux. Seul au milieu de ses machines, accompagné par deux fantômes noirs encore immobiles, le garçon va commencer par enchaîner les titres de son dernier long format en date (quitte à en changer légèrement les paroles comme sur Deadline) -avec quand même le plus ancien Océan Rouge-, long voyage entre pop synthétique couleur Pamplemousse et chanson, marqué par des synthés étonnamment touchants et un chant qui vient doucement se lover au creux des oreilles.

Ça chaloupe façon Castelmaure, la température à l’Antipode atteint les 40°C à l’ombre à l’aise et la foule ondule. L’éternité l’été dernier. On n’était pas parti pour se laisser gagner. Et pourtant. Progressivement, la sincérité du garçon nous accroche. Flavien Berger bouscule les eighties et la chanson, les faisant tournoyer comme les longues robes noires de ses fantômes qui occupent la scène, les catapulte à notre époque, curieusement modernisées, réinventées, quitte à nous faire parfois froncer l’oreille sur quelques écueils qu’on aurait préféré évités, mais en défendant toujours une démarche éminemment personnelle. Et ne s’interdit pas de longs développements répétitifs assez hypnotiques tel ce 999999999 particulièrement réussi.

La dernière partie du set achève d’ailleurs de nous convaincre (et à en croire la foule qui danse tout autour, c’est partagé), avec un irrésistible enchaînement final qui nous touche autant qu’il nous secoue. Notamment un magnifique A reculons, qu’on aimait déjà d’amour (Julia Lanoë qui aime à l’envers et Mansfield forever obligent), tout en contrastes apaisés et emballements rythmiques, qui font battre le cœur plus vite. C’est encore pire avec l’épique blues forain synthétique La Fête Noire qui voit l’Antipode chavirer tout autour, pris aux tripes par ce rockabilly malade tout en hululements, apaisements et descentes en accéléré façon montagnes russes. Addictif. Avec une ultime descente de grand huit directement dans l’océan sur l’immense Léviathan joué en rappel, long développement passionnant et prenant, qui conclut le set sur un final indéniablement classe.

Expérience 7 : Octave Courtin, Capharnaüm

Ce samedi 13 octobre, c’est dès l’après-midi que l’on se rend à la première Expérience du jour. Si vous êtes des habitués du Bon Accueil, vous connaissiez peut-être déjà Octave Courtin puisque l’artiste sonore diplômé de l’EESAB y a proposé exposition et performance au début de l’été. Maintenant nous offre une chouette séance de rattrapage en invitant à son tour l’artiste pour une présentation de son Capharnaüm dans l’imposante Salle des Pas Perdus du Parlement de Bretagne. Imaginez un peu : un grand carré de moquette recouvert de coussins rouges sur lequel on s’installe, encerclé par trois énormes ballons de baudruche en plastique noir plutôt énigmatiques. Allant de l’un à l’autre, glissant quasiment sur ses pieds nus, Octave Courtin ouvre de petites valves avec une intense minutie et tout autant de délicatesse. Les énormes ballons sont en effet reliés par des tuyaux à différentes anches (d’accordéon, de cornemuse…) qui créent progressivement une symphonie à vents de drones riches en harmoniques pour le moins surprenante. D’abord à peine perceptibles (on croit même un moment que les bruits de la rue vont couvrir la délicate masse sonore qui nait doucement), les immensément fines variations sonores s’immiscent progressivement dans nos conduits auditifs. Il ne se passe quasiment rien et c’est pourtant déjà tout. Les ballons (de deux mètres de diamètre tout de même !) font circuler l’air qui devient alors une masse sonore extrêmement ténue, qu’on écoute respirer, vibrer, s’étendre.

Jouant sur la spatialisation sonore et visuelle de sa performance (la disposition circulaire, la forme des ballons), qui permet encore davantage l’entrée en résonance des différents sons, Octave Courtin invite chacun à s’immerger pour sentir quasiment physiquement la matérialité des masses sonores qu’il crée. On apprécie également que tout artiste sonore qu’il soit, le jeune homme s’autorise également à questionner la dimension plastique et visuelle de son travail. Notamment, en plus de la spatialisation de sa performance, par la création d’objets sonores issus de la transformation d’objets de la vie quasi quotidienne (ou presque) tels ces énormes ballons de baudruche ébènes choisis tant pour leurs qualités acoustiques que plastiques.

Notre regard s’y perd d’ailleurs dans les reflets du ciel et des hautes fenêtres lumineuses qui s’y impriment. Les enfants s’allongent, regardent, écoutent. Les coussins deviennent canapés, oreillers. Les corps se détendent, s’immergent, s’abandonnent au moment. Octave Courtin, en le rendant sensible, étire le temps. Et le donne. Aussi, lorsque les bruits de la rue deviennent à nouveau progressivement perceptibles, tandis que les vibrations sonores s’amuïssent dans un souffle et nous ramènent dans cet autre présent, on émerge de cette parenthèse riche des résonances aussi sonores que plastiques que ces incongrus ballons ont su éveiller.

Photos : l’œil et l’oreille bourdonnants de Mr B.

Expérience 8 : Bertùf

On connaît et on apprécie beaucoup le travail de Bertùf par ici, qu’on a déjà pu croiser à de nombreuses reprises sur le festival Maintenant avec des projets très divers, qu’il s’y révèle chef d’orchestre pour tablettes et portables avec le SmartMômes Orchestra ou de défilé de modes avec les SweatZIP (vêtements-instruments de musique réalisés par la couturière Agathe Mercat), ou qu’il y donne notamment des performances suspendues dans la pénombre des Champs Libres ou du Vieux St Étienne, à partir d’objets de son quotidien récupérés et transformés. Morgan Daguenet, alias Bertùf fabrique en effet ses propres instruments pour broder de minutieuses toiles musicales propices à la rêverie et à l’évasion. Nous avons souvent été captivés par la subtilité et la délicatesse et les nuances que l’artiste était capable de tirer du merveilleux bric-à-brac qu’il créait. Tout comme souvent épatés par des projets un peu dingue comme ce récent Entropiques qui se présente comme un boîtier cd, mais muni d’une sortie audio minijack et d’une entrée d’alimentation (le câble est inclus !) et qui laisse entendre une composition musicale infinie, autrement dit sans fin, générée par un programme interne. Avec en plus deux boutons qui permettent soit une redistribution complète, soit de figer la musique. Bref le garçon est épatant et on aurait été ravi de découvrir sa proposition pour l’Expérience 8 au Grand Logis de Bruz, mais nous n’avons malheureusement pas le don d’ubiquité. L’artiste y proposait d’expérimenter la cymatique autrement dit l’art (ou la science) de la visualisation des vibrations sonores. S’inscrivant dans la tradition des physiciens du 19ème Franz Melde, Jules-Antoine Lissajous ou August Kundt qui ont tenté de créer des dispositifs (avec des moyens particulièrement rudimentaires) afin de visualiser les phénomènes acoustiques et sonores, la performance de l’artiste promettait pourtant de nous alpaguer autant l’œil que l’oreille. On espère que ce n’est que partie remise.

Expérience 9 : Emilie Levienaise-Farrouch

On commence à avoir les yeux qui clignent de fatigue mais on est complètement ravi d’achever cette belle semaine d’expériences hors du temps avec Emilie Levienaise-Farrouch au Musée des Beaux Arts de Rennes. Ce n’est pas la première fois que Maintenant nous y convie pour une performance musicale (on se souvient d’un moment suspendu avec le vibraphone de Masayoshi Fujita ou d’un autre exceptionnel avec les textures électroniques de Klara Lewis, notamment) et on est particulièrement heureux d’y retrouver la pianiste et compositrice qui nous a particulièrement émus avec ses deux premiers longs formats, qu’il s’agisse de Like Water Through Sand (novembre 2015) à l’impressionnant artwork, sorti sur 130701 sub-division néo-classique du label Fatcat, ou du tout récent Époques, inspiré par quinze jours de résidence à Aldeburgh, dans le Suffolk, dans la maison d’Imogen Holst (fille de l’assistant du compositeur Benjamin Britten, Gustave Holst) au milieu de la campagne anglaise. Cette fin d’après midi du 13 octobre, on est donc un poil impatient lorsque sous les impressionnantes peintures religieuses (et notamment sous un Christ descendu de sa croix) la musicienne, le piano et l’ordinateur prennent place.

Car la Bordelaise installée à Londres, pianiste de formation donc, est loin de se cantonner à son instrument de prédilection, mais aime à interroger les frontières, les tensions, entre organique et électronique, sons intimes et espaces sonores immenses, contraction et expansion, force et fragilité. Mêlant tout ensemble parties solo au piano, fields recordings, instruments acoustiques (cordes, vents, bois…) et textures électroniques ambient, Emilie Levienaise-Farrouch crée une œuvre qui peut tout autant combler le fan de Rachel’s, d’Hildur Guðnadóttir et de Julia Kent, que ceux d’Oliver Coates, Mira Calix (ces quatre derniers ayant d’ailleurs joué dans les différentes éditions précédentes du festival), de Richard Skelton, ou de sa compagne de label Resina… Et on en passe. Mais pour le coup, ce soir, c’est davantage le dépouillement que choisit la musicienne. On entend bien sûr quelques textures électroniques, mais l’essentiel n’est pas là.

Ça nous surprend d’abord. Et il nous manque les cordes de l’altiste Rob Ames et du violoncelliste Brian O’Kane. Et puis finalement plus. On comprend que le live recentre. Que c’est un autre voyage auquel la pianiste (également designer sonore, compositrice pour des bandes originales de films ou des installations vidéos) nous invite. Un voyage qui intègre ces silences pleins qui accompagnent chaque fin de morceau. Un voyage qui se laisse le temps des résonances sur les cordes. Il y a parfois la voix de Duras -?- (qui a en partie inspiré le premier album de la jeune femme, en référence à l’évolution et à la construction des souvenirs, ou plutôt la reconstruction continuelle de ceux-ci au cours d’une vie) qui accompagne le piano, parfois juste quelques souffles électroniques ténus, quelques textures. On n’en demande finalement pas plus.

Car la musique d’Emilie Levienaise-Farrouch, dont la virtuosité repose bien davantage sur l’expression que sur l’acrobatie technique, est avant tout essentiellement lyrique et mélodique (à la manière de l’indispensable Michael Nyman pense-t-on à plusieurs reprises notamment sur Redux -?- ou l’envolé Epoques). Et s’entend d’abord avec le cœur. Nos comparses sont charmés, trouvent le moment joli, à la manière de ce fragile Martello, surtout dans l’écrin de cette salle de musée. Nous, on y trouve autre chose. Qu’on ne s’explique tout d’abord pas. On sait que la musicienne ne conçoit pas sa musique comme une narration, comme une succession d’événements narratifs, mais plutôt comme un flux passant d’une émotion à l’autre. Et c’est bien l’émotion qui progressivement nous saisit complètement. Comme si l’on devenait soudainement totalement perméable à l’intention, à l’émotion que la pianiste met dans son jeu, au fort lyrisme qui en émane. On tremble même fort sur Bleuets, tout en subtile délicatesse, porté par les variations harmoniques de la main gauche, les répétitions tournoyantes de la main droite. Sur l’encore plus prenant Morphee, intérieurement ravagé par l’humanité qui sourd du jeu de la musicienne, on a même les yeux très humides on l’avoue. On vit le moment en plein. Et on ressort de là exsangue, la gorge encore serrée du tourbillon émotionnel qui nous y a saisi. Peut-être, certes, beaucoup plus intensément que d’autres, mais aussi sûrement qu’une évidence qui se fait jour. Une intense et belle façon d’achever cette semaine d’expériences.

Photos : l’infatigable Mr B

On a souvent dit ici qu’on attendait Maintenant comme Noël avant l’heure, tant après un mois de septembre souvent tonitruant et/ou éreintant, la perspective de l’éclipse temporelle que nous offre l’équipe d’Electroni[k] avec ses projets toujours riches en nourritures pour la tête, le corps, les oreilles, les yeux et le cœur, apparaît comme un havre essentiel. Cette édition n’a pas failli à la règle. Maintenant nous a à nouveau propulsé dans un présent à vivre en plein. Et on a déjà hâte que ça recommence. Merci.


En 2018, Maintenant a eu lieu du 5 au 14 octobre à Rennes.

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