[2023] Des bouqu’1 sous le sap1 #17 : Le marais des neiges de Toshiyuki Horie

Marre de l’esprit de Noël ? Marre des infos cataclysmiques ? ça tombe bien, nous aussi ! Bienvenue dans notre 6ème calendrier de l’Avent Altérophile, dont on espère qu’il sera original et divertissant ! Tous les jours (ou presque) jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-amis, bon pour nos papetiers-amis, bon pour nos neurones. Sans prétention aucune, des coups de cœur qu’on a envie de partager, pas forcément des nouveautés, pas forcément des trucs inouïs. Juste des morceaux de papier, souvent imprimés, en format origami, d’une épaisseur à glisser dans les poches ou de gros pavés pour caler le sapin, qui nous ont émus, interpellés, questionnés, emballés ou intrigués… Et qu’on a envie de vous faire (re) découvrir. Ouvrez donc les pages jour après jour…

Si on reste dans les marais encore aujourd’hui, on change pourtant complètement de paysage : on quitte les Etats-Unis où nous avions campé quelques jours (voir ici), pour le Japon et une petite cité montagnarde, Le Marais des Neiges. On en doit la découverte à l’une de nos librairies rennaises favorites, la librairie Greenwich centrée sur la littérature étrangère, dont on apprécie le choix sûr, le calme chaleureux et la pertinente sélection à taille humaine. Dont ce chouette bouquin, donc, Le Marais des Neiges.

Paru en 2003 au Japon, ce recueil de nouvelles de Toshiyoki Horie a été traduit par Anne Bayard-Sakai pour être publié par Gallimard dans sa collection Du monde entier en 2012. Le Marais des Neiges, petite ville montagnarde sur le versant nord de laquelle ont été installées des pistes de ski, est la toile de fond et le lien entre ces sept nouvelles. C’est là qu’évoluent les personnages, aux vies apparemment anodines, loin du bruit et de la fureur du monde comme il va. Pas vraiment désuète, la cité échappe pour autant aux trépidantes décharges de la modernité et apparaît plutôt comme un peu à l’écart.

On y vient pour la nature, pour la qualité de l’eau, de la neige ou le climat frais de l’été. On la quitte au gré des mutations le plus souvent, ou pour un emploi comme vendeur d’extincteurs. Mais elle accueille de nouveaux lotissements, de nouveaux habitants, et même des touristes hors saisons qui grimpent jusqu’au belvédère. Un territoire a priori sans intérêt remarquable, à la rassurante banalité, nonobstant ses montagnes. Et qui progressivement change, on le devine, voire se termine. Le trafic automobile y devient plus dense, la ville gagne de nouveaux habitants, tandis qu’une tendre mélancolie accompagne l’effacement du passé.

Les personnages des différentes nouvelles y vivent, s’y croisent parfois, y mangent de temps en temps au même restaurant. Se sont connus autrefois, comme la femme du propriétaire du bowling de la première nouvelle qui suivait les cours de cuisine Au jardin d’orties tenu par Madame Oruchi (rendant son dernier souffle dans la seconde nouvelle). Monsieur Kazuki, de l’ultime histoire, qui a quitté la station de ski municipale pour vivre plus loin, doit son emploi à un ami d’enfance né comme lui au Marais des neiges. Le réparateur qui a mal serré le boulon de la machine de découpe de l’usine d’emballage dans le troisième récit s’occupe aussi de celles du bowling du premier tout comme des remontées mécaniques de la station. Bref, si chacune des nouvelles est une œuvre autonome, leur inscription dans un recueil où les personnages se côtoient les uns les autres, que ce soit dans la vallée ou dans le passage du temps, donne une densité supplémentaire à ce texte tout en finesse.

Madame Oruchi donne des cours de cuisine pour faire revivre les saveurs d’antan, Monsieur Kazuki retrouve le cerf volant de son enfance, un couple passe la porte du bowling qui va définitivement fermer quelques heures plus tard après vingt ans d’existence, une femme collectionne les lampes à huile, un restaurateur élève des poissons dans son sous-sol, dont un piranha noir. Plus loin un magasin de disques ou une école de calligraphie. Sans compter M. Tanabe qui a la sensation que son corps s’est mis à pencher à droite. Sans qu’on puisse affirmer que cela ait ou non à voir avec la perte brutale de son chien. Des histoires apparemment simples, celles de vies paisibles, sans éclats ostensibles ou évidents. Mais qui, à leur manière, célèbrent ces petits riens qui font nos existences, ces pensées qui traversent nos esprits dans leur infinie humanité.

Ici, les nouvelles ne reposent pas sur une chute, mais sur un précipité subtil de vies apparemment fort ordinaires et communes. Tout en pudeur, avec une sobriété subtile, Toshiyoki Horie dévoile les petits et grands drames/soubresauts intimes, l’étrangeté des coïncidences, la résurgence de souvenirs disparus, sans éclat, sans rage. Les doutes, les regrets, les souvenirs mélancoliques des unes, des autres, tissent un texte délicat, pénétrant. Forcément (peut-être à cause de l’intérêt de l’auteur pour l’Europe -il est spécialiste de littérature française au Japon et traducteur de Guibert ou Foucault à Tokyo), on pense à Soseki et ses descriptions sensibles des caractères. Tout comme à cette attention aux changements ténus -ou non-, qui innervent la société confrontée à la modernité. Un recueil qui donne à voir et entendre le frémissement des existences avec une infinie délicatesse. Et invite longtemps après sa lecture, à continuer d’arpenter ses versants en pente douce.

Le Marais des Neiges de Toshiyuki Horie, traduit du japonais par Anne Bayad-Sakai aux éditions Gallimard, Collection Du Monde Entier, paru le 15 Mars 2012 – EAN : 9782070137336.

 Retrouvez ici tous nos articles : Des bouq’1 sous le sap1 2023

Et nos archives : La sélection 2022
la sélection 2021
la sélection 2020
la sélection 2019
la sélection 2018

 

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires