Marre de l’esprit de Noël ? Marre des infos cataclysmiques ? ça tombe bien, nous aussi ! Bienvenue dans notre 6ème calendrier de l’Avent Altérophile, dont on espère qu’il sera original et divertissant ! Tous les jours (ou presque) jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-amis, bon pour nos papetiers-amis, bon pour nos neurones. Sans prétention aucune, des coups de cœur qu’on a envie de partager, pas forcément des nouveautés, pas forcément des trucs inouïs. Juste des morceaux de papier, souvent imprimés, en format origami, d’une épaisseur à glisser dans les poches ou de gros pavés pour caler le sapin, qui nous ont émus, interpellés, questionnés, emballés ou intrigués… Et qu’on a envie de vous faire (re) découvrir. Ouvrez donc les pages jour après jour…
Aujourd’hui découverte d’une fort belle collection aux Editions Arthaud, la si bien nommée Versant Intime.
Un jour de pluie où les feuilles mortes tapissent les chemins mêlées à la boue, on pousse la porte d’une chaleureuse petite librairie de campagne à Guichen, Le refuge (qui porte bien son nom et son épigraphe, « des livres pour affronter le dehors »). Sur une table éclairée, lueur bienvenue sous le ciel bas, une sélection éclectique et fertile autour de l’automne nous attire l’œil. La couverture dessinée de Terres d’automne et les paragraphes sur la quatrième nous promettent une plaisante découverte calé devant la cheminée, après une bonne marche dans la forêt et ce, bien qu’on n’ait encore jamais lu Franck Bouysse (auteur notamment de polars auxquels il est tout d’abord affilié – mais pas que, ce serait tellement réducteur). Il s’agit ici d’un entretien au long cours avec l’écrivain et journaliste Fabrice Lardreau qui dirige cette étonnante collection dont on apprend (tardivement) l’existence, Versant Intime, donc, bien que pourtant déjà riche de dix titres (les premiers volumes sont parus en 2018).
L’amoureux des montagnes qu’est Fabrice Lardreau signait en effet depuis fort longtemps des séries de portraits publiés dans Montagne & Alpinisme, magazine du club alpin français, dans lesquels il interrogeait diverses personnalités (écrivains, navigateurs, personnages politiques, scientifiques) sur leur rapport à la montagne et l’influence qu’elle exerçait sur leur vie, voire sur leur œuvre et travail. La collection qu’il dirige aux éditions Arthaud reprend le même principe tout en l’élargissant, proposant « des rencontres avec de grandes figures des lettres, des arts, des sciences ou du voyage, qui évoquent leur attachement passionné à la nature (…), leur rapport aux éléments, au territoire. Mais aussi leurs lectures et leur émerveillement devant la beauté (parfois fragile) du monde. »
Alors on ne vous cache pas que ce sont surtout pour le moment des entretiens avec des amoureux.ses de montagne, mais l’une des rencontres, celle avec Chantal Thomas offre une ouverture bienvenue sur l’océan (en Bretagne, on appréciera) et la collection promet de s’ouvrir encore davantage vers la mer. En grand.es amateur.trices de géographie des territoires, également curieux.ses de ce qui nous est étranger (des artistes nous dévoileraient peut-être la Beauce sous un éclairage inattendu ?) on souhaiterait même que cela aille encore plus loin, vers des territoires peut-être moins époustouflants de prime abord, mais fertiles pour les artistes ou voyageurs et voyageuses qui en viennent ou s’y amarrent. On verra si les publications à venir iront ou non dans ce sens.
On débute donc pour notre part par ce Terres d’automne centré sur le rapport que Franck Bouysse entretient avec la Corrèze, ce pays des Trois Roches, cette ferme familiale, de laquelle il aperçoit le Puy de Sancy et les lumières d’automne qui dévoilent les objets et les êtres, tout comme les « dernières fleurs de gaura ou d’hélianthe. » Avec lui, on observe et différencie les multiples verts qui se côtoient dans ces paysages de la haute Corrèze. « J’éprouve ici quelque chose de puissant qui me dépasse… Cet environnement me prend avec une force inouïe ! Je suis à ma place, ici, et c’est plus lié à la terre, au rapport avec un élément, qu’à l’attachement à un territoire, à une notion de terroir. Je pense que tous les gens de la terre se ressemblent foncièrement. »
On suit ainsi son parcours, son adolescence d’amoureux de livres (c’est tellement peu commun là où il vit que lorsqu’il choisit un Maupassant dans une librairie, il a quasiment l’impression d’acheter des revues porno), ses lectures (des Trois Mousquetaires aux romanciers nord américains en passant par la bande dessinée et Simenon) et ses piliers littéraires (on partage son amour immense pour Faulkner ou sa fascination face à Terra Nostra, tout comme sa sensibilité aux Paysans de Depardon) sa découverte de l’écriture, du métier, cet artisanat qui s’apprend, jusqu’à son retour aux sources, près de la ferme de sa grand-mère et de son oncle. « C’est l’écriture qui m’a ramené ici. Il s’est passé quelque chose quand j’écrivais Grossir le ciel en 2012. Cette histoire située dans le monde paysan au coeur des Cévennes, m’a happé. J’avais l’impression d’être aspiré par mon enfance en travaillant sur ce roman. Comme si le fait d’écrire sur un lieu m’y ramenait physiquement. Comme si les mots avaient leur pleine signification, prenaient enfin leur pleine ampleur, leur densité, leur profondeur de champ. »
Et c’est là que cette collection trouve son juste ton. Ces artistes, en revenant sur leur parcours, leur rapport au territoire, aux éléments, à la nature et sur le rapport même que ceux-ci entretiennent avec leur création, donnent ainsi à voir -un peu- comment s’écrit leur œuvre, ouvrent une fenêtre sur la fabrique intime des univers de mots qu’ils déploient.
La commande deux jours plus tard de deux nouveaux entretiens plus anciens, qui ont trait encore plus précisément à une région qui nous est intimement chère, cette moyenne montagne auvergnate, « un relief rond et bombé, un pays gras, velu, pelu, une herbe charnue » comme le définit Marie Hélène Lafon, le confirme à nouveau. Il y a Le pays d’en haut où l’on retrouve fortement ému, l’agencement des mots si particulier de Marie Hélène Lafon et les pierres noires du Puy de Dôme de Cécile Coulon qui en dévale les sentiers en pleine course, cette Auvergne référent « avec laquelle je ne peux pas tricher » confie-t-elle, Le pied à terre. On y re-découvre l’arrachement à ce pays en train de finir, « périmé » qu’il faudra quitter d’abord pour St Flour et son pensionnat, puis Paris et la Sorbonne pour Marie Hélène Lafon. Ou qu’on ne pourra pas quitter, qu’il ne faudra pas décevoir pour Cécile Coulon.
On a pour notre part été particulièrement marqué par les récits sur le monde paysan que donnent Franck Bouysse et Marie Hélène Lafon (on vous conseille également la quatrième émission de LSD sur France Culture, Le complexe rural dans lequel Marie Hélène Lafon intervient ainsi que Juliette Rousseau, et c’est passionnant), tout comme par les récits que chacun.e donnent des lectures qui les ont fait.es, qu’on en partage l’amour infini (Yourcenar pour Cécile Coulon, Faulkner pour Franck Bouysse) ou qu’on les découvre grâce à leurs paroles souvent passionnantes. On y a aussi été frappé que les trois auteurs et autrices, chacun.e à leur manière, plutôt que celle du témoignage brut, mettent en avant la justesse de la fiction pour dire la vérité des êtres.
Les générations sont différentes, les histoires et les rapports aux lieux le sont également. Pour autant la prégnance de la puissance de ce rapport aux éléments et au territoire reste extrême. « Ces lieux façonnent des gens un peu verticaux, austères et tenaces… C’est un fond dont je ne me suis jamais départie, et le travail d’écriture, depuis plus de vingt ans, m’y confronte constamment […] ; ce nord du Cantal, ce pays perdu à 1 000 mètres d’altitude, est fondateur ; et le sauvage n’est jamais loin ; il palpite sous l’écorce des choses. »
A noter, à la fin de chacun de ces longs entretiens, Fabrice Lardreau propose à chacun et chacune de choisir des extraits de livres, romans, essais, poésies (ou même chanson pour Marie Hélène Lafon ou bande dessinée pour Franck Bouysse) qu’ils et elles peuvent éventuellement commenter et qui illustrent, creusent, révèlent le rapport intime au territoire et aux éléments qu’ils et elles ont pu développer durant les pages précédentes, mais aussi aux œuvres, aux livres qui les ont nourri.es. Une nouvelle excellente idée.
Ces entretiens nous convient sur les chemins de la création -bien souvent sentiers de traverse- que chacun, chacune a suivis, empruntés parfois. Mais aussi, et cela nous a particulièrement émus et passionnés, nous offrent le temps d’un regard réflexif, d’une prise de recul, tant sur leur création que sur l’histoire du territoire sur lequel ils et elles prennent appui. En leur/nous offrant de parcourir ces versants intimes, Fabrice Lardreau nous invite à prendre de la hauteur.
Tous les titres de la collection Versant Intime sur le site de l’éditeur ici.
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