Du café-concert au bar de quartier, y a-t-il une vie après le Mondo Bizarro ?

Ouest-France, 20 minutes, Le Télégramme, Le Monde, les Inrockuptibles, etc. Tout le gratin de la presse locale et nationale en a parlé. Et pour cause ! Haut lieu du punk rock, temple des musiques indociles, le Mondo Bizarro est, au fil des ans, devenu une institution presque iconique et sa réputation s’est largement diffusée au-delà de la rocade rennaise. Mais, en 2020, acculé par la crise sanitaire, l’établissement a fermé ses portes… Après les Tontons Flingueurs, c’était donc au tour du Mondo de tirer sa révérence. Forcément, ce fut le choc, l’estocade.
Mais agile comme un chat, Bruno Perrin est rapidement retombé sur ses pattes et a jeté son dévolu sur le troquet du 26 de la rue de Saint-Malo. Quelques menus travaux plus tard, un premier concert organisé en octobre dernier avec The Bobby Lees en tête d’affiche (excusez du peu !), et l’affaire était lancée. Dans quelques jours, cela fera donc un an que Bruno mène sa barque derrière le comptoir de La Trinquette. L’occasion pour nous d’évoquer cette transition – pas si banale – qui l’a mené du café-concert au p’tit bar de quartier.

Bruno Perrin / Octobre 2022

►► ALTER1F0 : Peux-tu nous rappeler brièvement l’histoire du Mondo Bizarro ?

Bruno Perrin : J’ai toujours eu l’envie de tenir un café-concert, et l’aventure du Mondo Bizarro a débuté en janvier 2002. Au départ, j’étais bassiste dans les Gunners et, pour trouver des dates, je faisais des échanges avec des groupes venant principalement de l’Europe de l’Est. On les faisait jouer ici, et ensuite, ils nous faisaient jouer chez eux.

Par la force des choses, je me suis mis à travailler avec pas mal d’autres groupes étrangers (américains, allemands, australiens…), je m’occupais de leurs tournées françaises. J’étais devenu tourneur finalement. (Rires.) Tout allait bien jusqu’à la fin des années 90. Clairement, il y a eu un creux à Rennes. Avec la fermeture de la Fun-House, des Tontons Flingueurs… il ne restait plus aucun lieu pour jouer. Les gars de KFUEL m’ont parlé de la Baleine bleue, un bar de quartier de Maurepas. J’y ai organisé un premier concert en faisant venir NRA, un groupe hollandais de Skate-Punk. C’était blindé de monde. En discutant avec le patron, j’ai appris qu’il voulait vendre. Je me suis dit « pourquoi pas ? ».

►► On imagine qu’entre l’envie d’ouvrir son propre café-concert et le fait d’y parvenir, il y a forcément des étapes compliquées à franchir ?

Bruno Perrin : C’était un vrai parcours du combattant. Il faut s’imaginer, moi, avec mes petits contrats (CES, CEC, parfois au RSA…), venant toquer aux portes des banques pour demander un prêt. Sachant qu’en plus, je n’avais aucune expérience dans le domaine, personne ne voulait me suivre. Dépité, j’étais prêt à abandonner, mais j’ai quand même tenté de déposer mon dossier une dernière fois au Crédit Coopératif. Sans trop y croire. Tellement pas que je ne m’en suis plus occupé et suis parti en tournée avec mon groupe de l’époque, TVMEN. Un jour, un gars m’appelle alors que j’étais sur la route du côté de Nancy. « C’est OK, on vous suit », qu’il me dit. Je ne l’ai pas cru de suite, j’ai pensé à une mauvaise blague.

►► Pendant près de vingt ans, tu as accueilli de nombreux groupes. La liste est si longue…

Bruno Perrin : Oui, c’était clair dès le départ. Comme les Tontons Flingueurs qui étaient les premiers à le faire, je mettais le Mondo à disposition des associations. Ce concept crée une chouette émulation. Ça a permis à de nombreuses associations et structures de se monter parce qu’elles savaient qu’elles pouvaient organiser des concerts.

►► Que s’est-il passé exactement il y a deux ans ?

Bruno Perrin : Tout le monde s’en souvient. En 2020, c’était le bordel à cause de la Covid : fermeture, ouverture, couvre-feu à 21 heures, puis 22 heures… Concerts interdits, et puis si, mais assis ! Bref, j’étais dans le flou total, sans aucune visibilité.

►► Peut-être avais-tu déjà envisagé l’arrêt du Mondo avant ?

Bruno Perrin : En 19 ans, le moral est parfois en dents de scie. Chaque fois que je me disais « allez, c’est bon, cette fois-ci, j’arrête ! », il y avait toujours un truc ou une échéance tellement chouette qui me tombait dessus et qui me motivait à continuer.

Gérer le Mondo Bizarro est avant tout une histoire humaine faite de rencontres, de discussions avec des gens venant de milieux culturels différents. J’ai pu découvrir plein de choses, des styles musicaux tous différents. Pourtant, pour certains, j’étais clairement hermétique. (Rires.) Et puis, faire jouer des groupes que j’écoutais tout minot reste une grande fierté personnelle. C’est peut-être con ou idiot de dire ça, mais tout cela me faisait tenir ! Du moins jusque-là. (Rires.)

►► Quand tu as rendu les clefs pour la dernière fois, tu t’es dit quoi ?

Bruno Perrin : Quand j’ai vendu en avril 2021, je pensais faire une pause. Je n’avais pas vraiment réfléchi à la suite. La seule chose dont j’étais sûr était que je désirais me rapprocher du centre-ville. J’avais même pensé un temps à ouvrir un restaurant. Mais les prix des fonds de commerce sont assez dingues à Rennes.

Quelques mois passent… Un agent immobilier avec qui je m’entends bien vient alors spontanément me proposer l’affaire de La Trinquette. Je ne savais pas que l’établissement était en vente. Forcément, le fait d’avoir passé pas mal de soirées là-bas quand j’étais plus jeune, que le lieu soit chargé d’histoires – il existe depuis plus de 40 ans maintenant –, ça m’a parlé de suite ! Le prix n’étant pas excessif, j’ai dit « pourquoi pas ! ».

►► L’activité d’un lieu comme celui-ci est-elle appropriée pour une seule personne ?

Bruno Perrin : Franchement, ce serait possible de tenir le bar tout seul. Mais je ne voulais pas être esclave de mon outil de travail, d’être là tous les soirs même si j’adore ce que je fais. (Rires.) Et franchement, quand il y a du monde, c’est vachement speed entre la terrasse et le comptoir. Deux, c’est bien !

Poutre à La Trinquette

►► C’est facile de passer d’un café-concert à un bistrot de quartier ?

Bruno Perrin : Le plus gros changement, c’est cette caisse enregistreuse là, que je n’avais pas au Mondo Bizarro. (Rires.) Et puis, la gestion des frigos, mais cela vient vite. En tout cas, je n’ai pas trop eu le choix, on a démarré sur les chapeaux de roues. J’avais déjà programmé un groupe américain à venir jouer alors que je n’avais pas encore toutes les autorisations en main. Finalement, j’ai dû les avoir peu de temps avant et, ce soir-là, c’était blindé de monde. C’était vraiment chouette.

►► Organiser des concerts en centre-ville est de plus en plus compliqué, il suffit d’un·e seul·e voisin·e pour dénoncer des nuisances et exiger l’arrêt de toute activité. Comment cela se passe pour toi ?

Bruno Perrin : L’ancien gérant m’a rassuré en me disant que cela se passait très bien. J’ai aussi de la chance ! Il y a un bon pote à moi qui habite l’immeuble, et puis cet ancien qui est gentil comme tout et sourd comme un pot. (Rires.) Donc, l’entente est bonne. De toute manière, je fais en sorte de finir les concerts à 23 heures maximum.

►► J’ai remarqué aussi que beaucoup de ces concerts étaient gratuits…  

Bruno Perrin : En fait, je ne voulais pas faire payer l’entrée, car le lieu est relativement petit et puis, il y a plein d’autres propositions de cafés concerts à côté. J’ai décidé, dans un premier temps, de payer les groupes, la bouffe, leur hébergement en piochant directement dans la caisse du bar sans mettre de majoration. Je me suis un peu emballé. (Raclement de gorge.) Avec parfois une dizaine de concerts par mois, j’ai failli mettre en péril la trésorerie du bar. (Rires.) Je pense que je mettrai une cagnotte, genre participation libre et, si le cachet est important, alors là, oui, je ferai payer l’entrée.

Les « Magic Punk-Rock Boxes » de Jo Pinto Maia à la La Trinquette

►► Est-ce que tu revois des habitué·e·s du Mondo ?

Bruno Perrin : Oui, j’en vois beaucoup, et notamment pas mal de gens des assos qui organisaient des concerts là-bas. Il y a aussi plein de nouvelles têtes. Certaines que je connaissais déjà, de vue, mais pas personnellement. Cela fait un mélange sympa.

Et puis, la rue de Saint-Malo possède une bonne ambiance, éclectique avec plein de commerces complémentaires (restaurants, disquaire, bar de nuit, bistrots). Cela fait un peu « village ».

►► Et puis, coup de bol, tu es arrivé quand les travaux de la rue étaient enfin terminés…

Bruno Perrin : Oui, enfin, j’ai quand même été obligé de me taper trois mois avec des échafaudages devant…

►► Quel bilan tires-tu de ces douze mois qui viennent de s’écouler ?

Bruno Perrin : Le lieu est vraiment sympa. J’adore ce que je fais, notamment avec l’accueil d’expositions d’artistes aux univers différents. Une chose que j’aime aussi est de faire partager ma passion du vin. Au contraire du Mondo où je ne devais avoir que deux ou trois bouteilles, là, j’ai une belle gamme à disposition pour mes client·e·s. Cependant, je ne tiendrai pas vingt ans comme ça. D’ailleurs, je me dis que je n’ai pas besoin de faire autant de concerts comme au printemps dernier. Même si c’est dans mon ADN, il n’y a pas forcément besoin d’animations dans un bistrot comme celui-ci. Je ne veux surtout pas habituer les gens à venir chez moi uniquement quand il y a un concert. Ce serait triste.

Bon, d’ici décembre, j’ai quand même encore une douzaine de concerts de programmés. Après ce seront les TRANS, mais promis, ensuite, je me freinerai pour n’en avoir que 6 ou 8 maximum.

►► Que tu dis… (Rires.)

Bruno Perrin : Après, j’avoue être beaucoup sollicité !  Je me connais. Peut-être que je ne tiendrais pas ma parole. (Rires.)

Programme (octobre/ Trinquette)

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