C’est l’automne. Voilà deux polars à se mettre sous la dent, entre châtaignes et champignons. L’un pour plonger dans les bas-fonds du militantisme gauchiste rennais des années 70, l’autre pour filer à tombeau ouvert et tout décibels dehors en Argentine… C’est parti pour la chronique Noirs Polars.
Une histoire de vieux cons…
Fred Paulin a l’art et la manière de raconter des histoires. Fred Paulin a l’art et la manière d’évoquer Rennes à travers une galerie de personnages mi-réels, mi-fictifs. Après Rappelez-vous ce qui est arrivé aux dinosaures (chroniqué en janvier 2012), voici Pour une dent, toute la gueule, 2è opus d’une quadrilogie noire sur une Ville de Province.
Où ?
Rennes principalement : entre l’usine Citroën de la Janais, la « petite maison en pierres dans le quartier Sainte-Thérèse », l’Université de Haute-Bretagne, « vrai nid de vipères cette université pleine d’ex-gauchistes », l’Hôtel de police du boulevard de la TA, la Cour des Miracles et le Bistrot de la Cité pour ne citer qu’eux.
Mais également, une petite virée à Paris en passant, juste comme ça…
Qui ?
Une bande de potes, étudiants en 1970, devenus vieux cons en 2010. Où l’on reconnait certains personnages tout droit issus des Dinosaures :
– Pierre Mordefroid, lieutenant de police, fils de Loïc et Garance Mordefroid. Frère de Marianne, celle par qui la course-poursuite arrive.
– Alain Duprès, médecin de province, adjoint au maire, chargé de la jeunesse. Ami de Pierre Mordefroid.
– Gwenaëlle Bardiot, médecin légiste au CHU, qui constatera le décès de David Martinez
– Paul Gascogne, chef de la BAC, et collègue de Pierre Mordefroid
On fait la rencontre de nouveaux personnages, au caractère et à la trogne tout aussi trempés :
– Loïc Mordefroid, ancien révolutionnaire. Qui a conservé son idéal d’antan. Après avoir été ouvrier d’usine chez Citroën, il est devenu formateur pour l’AFIRES, Association pour la Formation Individuelle et la Réinsertion Sociale. Perd son sag-froid quand il découvre sa fille dans une vidéo porno.
– François Gicquel et Jean-Pierre Gal, ex-militants révolutionnaires de la bande du Drapeau Rouge. Ont intégré le système tant dénigré et dirigent le centre de formation où officie Loïc Mordefroid.
– Christophe Leprestre, ancien de la Dream Team du Drapeau Rouge. Ex-docker à Concarneau, puis pigiste à Paris, et enfin à la direction du pôle Communication et Médias à l’UHB. A fricoté avec Mireille Neveu, charmée, par Lou Régnier. A des comptes à régler avec ce dernier. En phase terminale de cancer des poumons.
– Lou Régnier, ancien de la Gauche prolétarienne, qui a mal viré. Dirigeant de Good Vibes prod., notable de la nouvelle économie du multimédia. Accessoirement producteur de la vidéo qui a mis le feu aux poudres.
Quand ?
En 1970, version révolutionnaire tendance marxiste-léniniste. En 1980, version la comm’ et les médias à tout va. En 2000, version néo-libérale. En 2010, version vieux cons et têtes brûlées.
On commence un chapitre à une époque ; on continue dans une autre. Comme tous les anciens, qui parlent avec mélancolie de l’ancien temps. Avec un présent qui s’explique au passé.
Un polar qui se lit en jonglant avec le temps, en surfant sur cette « vague soixante-huitarde [qui reflue] comme une mauvaise grippe qui vous laisse les gencives à vif et les muscles douloureux. »
Et l’histoire dans tout ça ?
Un déclencheur : une bagarre sur fond d’antisémitisme dans la ZUP sud. David Martinez, créateur d’une start-up dans les nouvelles technologies, suscite l’envie et la jalousie. Il meurt, presque par hasard, sous les coups de Dylan et Nadir. Mordefroid junior enquête. Et découvre que Mordefroid senior est soupçonné d’avoir tué le gamin.
Histoire de famille ? Aussi. Surtout. Et l’assassinat bête et méchant du jeune Martinez n’en est que l’effet papillon finalement… Loïc Mordefroid découvre sa fille, dont il est sans nouvelles depuis un moment, dans une vidéo porno récupérée via un ancien collègue de l’usine Citroën. « Le cul, le fric et l’image, la trilogie pourrie de notre époque, camarade ». Son seul refuge ? consulter son ami de hautes luttes, le seul qui n’ait pas trop trahi leurs idéaux d’antan, le Grand Christophe Lepestre qui connait un rayon en informatique…
De fil en aiguille, de téléphone en vidéos, le duo infernal de vieux cons effrontés découvre que le réalisateur de cette immondice n’est autre que le jeune Martinez. Co-produit par Good Vibes prod. et Lou Régnier. Leur sang ne fait qu’un tour, la fougue de leur jeunesse ressurgit. Il est temps de régler certaines histoires, de claquer le bec des anciens gauchistes convertis au business sans honte et sans regret… Et c’est au son de La nuit je mens de Bashung qu’ils entament leur virée sauvage en R20 à Paris, poursuivi par Pierre Mordefroid, désarmé par la conduite de son père.
Entre nostalgie, désillusions et causticité, Fred Paulin livre un nouveau polar enlevé, où les personnages prennent la route et leur vie à tombeau ouvert. Un polar social, fable politique où les uns et les autres sont égratignés à grands coups d’histoires tristes et violentes et d’Histoire aux méandres incertains et revanchards.
Pour une dent, toute la gueule / Frédéric Paulin – Pascal Galodé éditeurs – septembre 2012 – 18 euros
Un Pulp Fiction version polar argentin
La 4è de couverture est plus qu’explicite sur le contenu :
« Perro et le Pasteur Noé sont deux amis, deux pirates de la route évoluant dans un univers violent et amoral. Une trahison va briser ce binôme et le premier se retrouve à traquer le second dans la région de la triple frontière argentine. À cette chasse à l’homme se mêlent souvenirs du passé carcéral des deux caïds, rivalités de bandes, personnages secondaires fous furieux et scènes de bagarres d’anthologie dignes des films de Tarantino. Comme Golgotha, précédent roman de l’auteur, Chamamé est imprégné de musique et de culture populaire. Un Mad Max argentin, écrit sous adrénaline. »
Chamamé, le 2è roman donc de Leonardo Oyola, c’est comme un road-movie amoral, violent et musical.
– Amoral parce qu’il parle de prison sans rédemption, d’amitié ficelée par la tromperie, d’associations de malfaiteurs.
– Violent, ultra-violent. La violence est le terreau de cette histoire : sociale, pénitentiaire, familiale, humaine. Une violence décomplexée, assumée par les deux personnages.
– Musical parce que Chamamé c’est une « chanson et danse de la région de Corrientes, située dans le littoral argentin. Ce mot signifie en guarani « agir sans réfléchir ». Sans plan, sans méthode, de façon improvisée. »
Un roman musical
Toute la structure du roman est fondée sur la musique. Il y a cette chanson de Bon Jovi, Blaze of Glory, qui rythme chaque chapitre. En exergue, pour les 24 sections, des traductions des paroles de cette chanson. Mais il y a aussi ces 39 références musicales qui ponctuent régulièrement le roman ; un amalgame hétéroclite allant des Smashing Pumpkins, aux Doors, en passant par Prince, Shakira ou les Guns’N Roses mais aussi par des références ciné ou télévisuelles (comme le générique du dessin animé George of the Jungle) et des artistes hispanophones, inconnus à mon bataillon (Los Vistantes, Virus, Miguel Mateos…).
Et pour mieux profiter de cet univers musical, l’éditeur, Asphalte éditions, sur proposition de l’auteur, vous donne accès à une playlist (vidéos).
Mais il n’y a pas que la musique. Il y a de l’humour noir, de l’amour qui finit mal, une morale sans foi ni loi, des rêves qui explosent. Un road-novel, poussiéreux, sous le soleil argentin, explosif, jusqu’au final. Un bouquin qu’on lit d’une seule traite, à tombeau ouvert, pleine balle sur l’autoroute…
Chamamé / Leonardo OYOLA – Asphalte éditions (août 2012) – 18,00 euros