C’est l’hiver ; il fait froid. Rien de tel pour se réfugier dans un canapé, un plaid sur les genoux, un thé dans la main de droite et une pile de bons polars dans l’autre main. Trois pour le prix d’un en l’occurrence : une histoire de grippe, une histoire de viande froide et une histoire de crise économique. Air du temps ? on dirait bien… C’est parti pour la chronique Noirs Polars.
Une histoire de grippe…
Entrez à pas feutrés dans un univers bien familier avec Rappelez-vous ce qui est arrivé aux dinosaures de Frédéric Paulin, auteur rennais… Rennes, son centre-ville animé, ses quartiers chics, sa ZUP sud, son CHU, sa municipalité généreuse, ses trafics de drogue, ses flics ripoux, sa grippe H1N1 et ses dinosaures. Ou comment une simple grippe A provoque une hécatombe dans les rangs des dealers mais aussi des consommateurs et met à mal un business de drogue et un pan de politique locale.
Synopsis : Avec l’aide des subventions généreuses d’une asso jeunesse missionnée par la municipalité pour réveiller les statistiques de réinsertion sociale, Farid, Zinedine et Ronald deviennent entrepreneurs en économie parallèle. Il faut dire que dans la capitale bretonne la cocaïne est devenue un produit de consommation courante, le fuel des “mecs qui ont accepté de se lever plus tôt pour gagner un peu plus”. Mais c’était sans compter le jeu de chassé-croisé avec le lieutenant Gascogne et ses hommes de la BAC. Un homme tenace, bourru et intègre qui place sur un piedestal sa mission au sein de la Brigade, le maintien de l’ordre mais non sans poésie : “Mais chaque chose avait son temps et l’empathie était un sentiment d’après-midi de fin juillet à l’ombre des arbres, lorsque le soleil vous brûle les arpions et qu’un rosé de Provence se réchauffe lentement dans votre verre. Ici et maintenant, il s’agissait de faire régner la justice”.
Et puis, il y a ce virus, cette “grippe mexicaine, H1machinchose” qui vient mettre son grain de sel dans les rouages. Cette gangrène virale est arrivée des quartiers chics, plus précisément de Mme Le Clech, bobo du quartier Sévigné “pull bleu marine par-dessus un corsage à carreaux vichy, un serre-tête dans les cheveux, un auto-collant Sacré-cœur collé à l’arrière de son break spécialement aménagé pour recevoir sa nombreuse progéniture”. Une poule pondeuse qui transmet une maladie de gallinacées ? Ou le paradoxe de l’œuf et de la poule… Contaminant tout à tour Alain Duprès, adjoint à la jeunesse et médecin des beaux quartiers, puis Elvis Dubrinfaux, médecin qui se fout de tout depuis un chagrin d’amour, cette grippe met à mal tout le système médical rennais engorgeant les urgences comme jamais les étudiants n’ont réussi à le faire le jeudi soir… Nos trois apprentis dealers semi-gros sont rattrapés par cette grippe et par Tarasit, le pompier valeureux du SDIS 35, qui passe de l’ombre à la lumière au fil du thriller. Un drame en trois actes qui finit sur un Deus ex-machina de toute beauté, entre rixes entre ripoux et flics intègres sur fond d’histoire politique nauséabonde…
Une joyeuse galerie de personnages hauts en couleur et bien trempés ; des histoires parallèles à la Alejandro González Inárritu qui se croisent, se décroisent et se rejoignent au fil des ravages d’un tout petit virus. Un thriller à la saveur d’un colt six-coups qui fustige sous la plume narrative les dérives de la capitale bretonne et de la société en général avec humour noir : et pan ! la démocratie participative. Et pan ! la réinsertion sociale et ses associations joyeusement transparentes et honteusement subventionnées pour la seule vitrine de politiques corrompus. Et pan ! la ministre de la Santé en vacances à Ibiza et la gestion calamiteuse des maladies contagieuses en France. Et pan ! les médecins qui font allégeance au serment d’Hypocrite et engloutissent des petits fours et du champagne aux frais de la princesse. Et pan ! la Visitation, “verrue consumériste plantée au milieu d’un centre-ville vendu au commerce et à la spéculation immobilière”…
Et malgré l’avertissement de la 4è de couverture (“la ressemblance des héros et des actions avec des personnages et des faits ayant réellement existé n’est bien évidemment que pure coïncidence”), on s’amuse des ressemblances et coïncidences en lisant ce thriller. Cette prophylaxie d’envergure nationale, voire mondiale, ressemble à s’y méprendre à la mascarade dénoncée par la Cour des Comptes en février 2011. Cette dénonciation humoristique s’accompagne au passage d’une égratignure sur l’égoïsme avéré des citoyens : “Il semble aussi que les gens sont faibles et qu’ils acceptent les pires horreurs pour peu qu’on ne leur complique pas la vie”.
Une écriture vive et acérée, un humour noir au vitriol mais aussi de la douceur, mâtinée d’un réalisme certain dans les passages consacrés au père du lieutenant Gascogne, en maison de retraite pour maladie d’Alzheimer. Ou la vieillesse tendresse, débarrassée des démons et querelles d’antan. Une bande-son cosmopolite, de Serge Reggiani et son “Vieux Couple” à “Rebel Waltz” des Clash… Et les dinosaures dans tout ça ? lisez donc ce thriller et jetez un œil sur les tags et graffitis qui vous entourent. Certains pourraient être prophétiques !
Une histoire de viande froide
Et si on essayait le polar historique ? direction Paris, juin 1919. Il est de bon ton de parler de viande froide après la boucherie de la Grande Guerre. Surtout lorsqu’on découvre un cadavre de femme pendue à un crochet dans les abattoirs de la Villette parmi les carcasses d’animaux autrement plus consommables. Ainsi s’ouvre Le Bal de l’Equarrisseur, sur une ritournelle bien sanglante.
Si vous n’avez pas le cœur bien accroché, n’ouvrez pas ce livre ! Les premiers mots du roman vous plongent d’entrée de jeu dans le monde des échaudoirs et des étripoirs disséminés sur les 50 hectares des abattoirs et du marché aux bêtes : « Le corps était à peine dissimulé au milieu des alignements de carcasses. Il suffisait de lever les yeux dans la bonne direction – la deuxième rangée au fond – et la forme humaine se détachait aussitôt dans sa terrible singularité, jurant parmi la lugubre procession des cochons éventrés. Une femme, tête en bas, les mollets ficelés à une traverse de bois, accrochée elle-même à une cheville de boucher. Elle était suspendue de face, complètement nue, sa chevelure grise et ses mains potelées effleurant le carrelage, ses chairs abondantes bleuies par le froid. »
Cette plongée soudaine dès les premières pages dans le Paris d’après-guerre est surprenante. Qui se souvient en effet de nos jours en arpentant le Parc de la Villette et le quartier alentour qu’ils abritaient alors le grenier à viandes de la France. L’inspecteur Simon, chargé de l’enquête, se retrouve aux prises avec un assassin, l’Equarisseur, enclin à dépecer et torturer ses victimes autant qu’il aime à lancer des charades et jouer sur les mots.
Sur fond de contexte politique tendu – les Allemands signeront-ils le Traité de Versailles ? -, il est demandé au jeune inspecteur de résoudre l’affaire discrètement, Clémenceau étant visé indirectement. Il est en effet peu courant de trouver une jambe de femme dans les cuisines du ministère de la Guerre, portant une étiquette : «De la viande pour le Tigre»… Pour corser le tout, Elsa, la fiancée de l’inspecteur, artiste peintre, disparait. Les deux affaires seraient-elles liées ?
Un polar historique assez intéressant, plutôt bien écrit, avec une légèreté de style assez étonnante au vu du contexte mais un polar moins haletant que les deux autres. Question de goût assurément.
Une histoire de crise économique
Traversons l’Atlantique avec Totally Killer, premier roman de Greg Olear. Un thriller captivant se situant, selon le site de l’éditeur, entre La Firme (en plus sexy) et American Psycho (en moins violent). Dont le fil conducteur est une solution radicale pour faire face au chômage et aux retraites, problèmes majeurs de nos sociétés occidentales…
Mais plantons le décor. On est en 1991. Vous vous souvenez vous de cette année-là ? où vous viviez, ce qui vous est arrivé ? Todd Lander, lui, s’en souvient très bien. Sa colocataire hyper sexy, Taylor Schmidt, est morte cette année-là et cela a bouleversé sa vie. Elle avait débarqué de son Missouri natal, avec trois sous en poche, dans la Grosse Pomme, avec une seule idée en tête : trouver un boulot, et accessoirement le grand amour. Mais New York, en 1991, subit de plein fouet la crise économique… Et seule Quid Pro Quo, une agence de recrutement bien sous tout rapport au premier abord, lui proposera “le job pour lequel on tuerait”. En moins de deux jours, Taylor devient éditrice dans une maison d’édition new-yorkaise et couche avec son recruteur Asher Krug, un brin arrogant et pourfendeur des baby-boomers. Seulement, quand on signe un pacte avec le Diable, on en paye le prix fort ensuite…
Ce roman à l’humour noir, satirique et décapant, se divise en 4 parties : un prologue écrit par Todd en 2009 où il présente rapidement l’histoire, un récit rétrospectif qui vous plonge immédiatement dans l’ambiance ; une première partie, Licenciement, où l’on prend connaissance avec les personnages et où l’on étouffe dans cette chaleur new-yorkaise et cette difficulté à trouver un emploi ; une seconde partie, Cold Ethyl, ou la descente aux Enfers joliment illustrée par la couverture de l’éditeur français – un canon de pistolet qui vous fait face, menaçant et froid comme la mort – ; et enfin, un épilogue, retour en 2009, qui clôt ce thriller.
Un joli hommage aux années 90, à la génération désabusée par les années Reagan, sous prozac et ectasy. Si vous aimez les ambiances parano, si vous prêts à vous replonger dans la culture pop des années 90, si vous aimez les filles un brin bombasses et sexuellement débridées et prêtes à tout pour décrocher un job, ce polar est pour vous. Et mériterait même une bande-son : lire la plongée en enfer de Taylor sur fond de Nirvana, Duran-Duran, Culture Club doit prendre une toute autre dimension… A vos platines donc !
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Rappelez-vous ce qui est arrivé aux dinosaures / Frédéric PAULIN – Pascal Galodé Editeurs – 2011 – 18 euros
Vous pouvez vous le procurer dans toute bonne librairie digne de ce nom et pour les Rennais, soutenez donc le commerce local en faisant emplette par là : Café-Librairie La Cour des miracles, Librairie Le Failler, la librairie M’enfin.
Le Bal de l’Equarrisseur / Guillaume PREVOST – NiL éditions – 2011 – 20 euros
Totally Killer / Greg Olear – Gallmeister – 2011 – 22,90 euros