Le Monde Englouti de JG Ballard vient d’être réédité en début d’année chez Folio SF. Deuxième roman du britannique, il date de 1962. Récit post-apocalyptique, il se situe dans un monde où les températures ont considérablement augmenté, et continuent à le faire. La cause n’est pas ici d’origine humaine mais solaire. Les conséquences en sont une phénoménale montée du niveau de la mer et une transformation radicale de la faune et de la flore. Les personnages principaux parlent d’un retour à l’époque du Trias, celle qui a précédé le Jurassique.
Le propos ici n’est pas de raconter ce qu’il est advenu de l’humanité : on apprend tout de même que quelques millions de personnes tentent de survivre aux pôles, mais de s’attarder sur quelques personnages dans ce qui a remplacé Londres, une lagune.
Kerans est un biologiste, il accompagne une expédition militaire supposément temporaire. Mais le scientifique va bientôt se mettre à faire des rêves qui vont l’emmener vers d’autres chemins.
Histoire courte (un peu plus de 200 pages), le Monde Englouti suit « le Vent de Nulle Part » (1962 également) et précède « Sécheresse » (1965) et « la Forêt de Cristal »(1966). Ce sont « les quatre apocalypses ». Ballard est également l’auteur de « Crash »(1973), le roman adapté en 1996 par Cronenberg.
Si le style de James Graham a donné lieu à la présence dans le Collins English Dictionnary de l’adjectif « ballardien », la lecture de « the Drowned World » évoque plutôt d’anciennes séries de science-fiction qui, situées dans un futur lointain, racontent vu d’aujourd’hui le temps où elles furent conçues.
Le langage traduit par Michel Paget est ainsi relativement suranné. Le rythme est celui d’il y a quelques dizaines d’années, quand la trépidation n’avait pas encore été doublée par la stroboscopie. Mais le pire (?) est sans doute dans la psychologie des personnages. Le colonel Riggs trouverait sa place dans l’armée des Indes de Sa Majesté, le flibustier Strangman, bien qu’un peu dérangé, est encore très loin des psychopathes qu’on rencontre dans n’importe quel roman noir aujourd’hui, il est plus proche d’un gentleman-cambrioleur.
Court, trop court peut-être, le roman rend bien plates les figures secondaires tel le docteur Bodkin ou la seule femme du monde englouti. Elle s’appelle Beatrice Dahl. Une coïncidence, qui renvoie à une autre histoire de chaleur.
L’Archipel du Rêve est un livre qui rassemble 8 nouvelles. La plupart date de la fin des années 70, deux d’entre elles ont un peu plus d’une dizaine d’années, la plus récente était incluse dans l’odyssée folio SF.
Archipel : groupe d’îles. Quoi de plus exotique ? L’occasion de penser que c’est peut-être ça la science-fiction : l’exotisme. Des choses familières, des choses différentes. Si on les imagine volontiers sous des climats plus tropicaux, les îles apportent aussi leur lot de fantasmes.
Christopher Priest, l’auteur du « Monde Inverti » et de « La Séparation », nous parle de désirs et de guerre.
Ce qui relie ses récits, c’est un cadre commun. Cadre géographique et cadre historique. Les personnages ne sont jamais les mêmes. Même s’ils résonnent chez les uns et les autres.
« L’Instant Equatorial » nous expose un monde en conflit. L’Archipel est le lieu de la neutralité. « La Négation » est un premier moment de rencontre, entre un soldat et l’auteure qu’il adule, un moment chaste, un instant de grisaille dans un pays séparé de son voisin par un mur. L’Art s’y doit d’être d’Etat, la romancière donnera une leçon de courage au jeune Dik.
« Les Putains » évoque plutôt des images de Saïgon. Le soldat qui en est le personnage principal souffre de délires synesthésiques dus à l’inhalation de gaz de combat. Misère, sexe et paranoïa mêlés laissent un drôle de goût.
« Vestige » est donc cette nouvelle déjà rencontrée, qui parle d’un défunt et de son spectre.
« La Cavité Miraculeuse » est une des meilleures. On ne voit rien venir quand la vérité apparaît. Mélange là aussi, de trauma passé et désir présent, rien n’est jamais clair, il faut se débrouiller avec ce qu’on peut reconstruire.
« La Crémation » ne baisse pas le niveau. Autre récit où un deuil est célébré, il est l’occasion de conjuguer volte-face, honneur, culture et dégoût. Ou comment être un étranger qui se veut libre mais doit subir les contraintes de la société qui l’abrite.
Dans « Le Regard », d’autres immigrés sur les îles agissent plutôt comme des colonisateurs. Mais le peuple étudié a une méthode radicale pour annihiler toute tentative ethnographique. Le personnage principal prend le rôle du voyeur, lui qui a fait sa fortune sur la commercialisation d’appareils de vidéosurveillance quasi-indétectables.
Enfin, « La Libération » fait revenir l’idée d’un soldat devenant artiste. Fasciné par les oeuvres d’un peintre qui permet de vivre ses tableaux bien plus que par le regard, il va vivre de bordel en bordel lors de sa fuite au long des îles, retrouvant par sa propre production picturale, la mémoire qui n’existait plus.
Rien de plus difficile à écrire que l’érotisme. Trop personnel pour que n’importe quelle histoire embarque n’importe quel lecteur. Priest ne s’attarde pas sur des scènes explicites, ce n’est pas son propos principal. Plus attaché aux perceptions, aux relations, notamment celle de l’étrangeté, il réussit à troubler. Si le désir commence souvent par l’admiration, la perte de repères en est sûrement un des moteurs les plus intéressants.
Le Monde Englouti
JG Ballard
Folio SF
234 p, 5,70 €
L’Archipel du rêve
Christopher Priest
Folio SF
413 p, 7,30 €