« Mon visage. Sa gueule. Sa gueule. Mon visage. Foutu clébard » : Le dernier spectacle de Sergio Grondin, Les Chiens de Bucarest, juxtapose et mêle deux monologues : l’un canin, l’autre humain. Pour une plongée au coeur de Bucarest la roumaine.
Sergio se lamente dans un hôtel de Bucarest. Il lit Wikipédia et s’emmerde. Il consomme son forfait téléphone en vain pour reconquérir le cœur de celle dont il a écrasé le chien. Il engloutit des litres d’alcool de prune et dragouille vulgairement la réceptionniste de l’hôtel. Parfois, aussi, il s’adresse à ce chien, qui n’a pas bougé depuis 3 jours et qui l’observe à travers la vitre de cette chambre d’hôtel.
Ce chien, c’est CΔINI, chiot abandonné en plein hiver dans la neige, recueilli par la Fille et le Vieux dans le Secteur 6. Puis, abandonné par la force des choses par cette famille elle-même expulsée de sa maison par le Parti. CΔINI, c’est ce chien qui devient libre dans la Meute, qui erre dans Bucarest, qui a peur, entre haine et faim, et qui tente toujours de retrouver la douceur et la chaleur de ces trois années passées auprès de la Fille…
Ce texte, nous l’avions découvert par bribes et ellipses l’an dernier. Sergio Grondin travaillait alors sur ce spectacle, inspiré d’un séjour en Roumanie où il avait été frappé par ces meutes de chiens redevenus sauvages ou presque. Si cette lecture du texte en création en avril 2014 donnait toute son importance à ce mâle Alpha, on a pu constater hier combien le texte avait évolué.
Face à l’animal, un homme apparaît. Animalité humaine ? Humanité animale ? les fondus au noir nous aident à différencier l’un et l’autre. Contrairement à cet homme qui se perd dans cette chambre d’hôtel comme il s’égare dans sa propre vie, le récit du chien est puissant, lucide et éminemment fort. Si nous avons préféré le récit « animal », il n’en reste pas moins que ce spectacle vaut vraiment le détour.
Le travail sur la lumière et l’accompagnement sonore sont vraiment réussis. Un simple cube sur scène : tantôt l’homme y joue le penseur ; tantôt le chien y monte et surplombe la vile humanité de Bucarest. La lumière oscille entre sourde et vaguement verdâtre, et rouge sang de de l’épuration. Parfois une simple torche émerge des ténèbres. En fond de scène, il y a ces étranges cubes presque blancs : tantôt des éclairs stromboscopiques transpercent leurs interstices, tantôt les façades photo-lumino-sensibles laissent apparaître « des mains de Lascaux ». La musique et le fond sonore accompagnent les récits, comme cette musique techno agressive quand les bulldozers du Parti broient les maisons des pauvres gens expulsés.
Cette narration parallèle, qui expose les déboires de la Roumanie, nous fait entrevoir les coulisses d’un pays perdu entre bestialité et humanité, sauvagerie des hommes, du Parti et de la Milice, attaquant tour à tour hommes et animaux, sans discernement. Comme un miroir de l’humanité toute entière et dans ce qu’elle a de plus bestial.
Une belle performance donc de Sergio Grondin, seul en scène et magistral sur les deux tableaux. Impressionnant de stature, de force et d’humanité quand il devient CΔINI. Et nous, on ne dira pas comme le Vieux « dégage le Chien ». Au contraire, on lui dira « mais reviens ! »
Il vous est encore possible de voir ce spectacle à la Parcheminerie :
Aujourd’hui, vendredi 10 avril à 21h
Demain, samedi 11 avril à 16h
Photos : Catherine Gaffiero – La Vie Invisible
C’est un des meilleurs spectacles vus ces temps derniers (au théâtre du Grand Marché de St Denis de la Réunion). Le texte est très fort, c’est Sergio GRONDIN qui l’a écrit et il le défend parfaitement seul sur scène. Une mise en scène très sobre avec juste ce qu’il faut pour suggérer la détresse et la sauvagerie dont souffrent l’homme et le chien. Foutu temps qu’on vit, là-bas, ici , partout! Allez voir ça. ça va passer au Séchoir à St Leu. J’ai payé 8€ parce que figurez-vous que j’ai la chance d’avoir plus de 70 ans. Si c’est votre cas profitez-en.