La 21ème édition du festival Les Embellies se clôturait ce samedi 04 mai, et l’association Patchrock nous avait concocté une soirée éclectique au possible (et qui affichait complet), avec Chaban, Faroe, Bacchantes et Puts Marie. Compte-rendu.
Patchrock n’organise pas seulement le festival des Embellies : l’association accompagne également les artistes dans leurs projets musicaux, et propose aussi des actions culturelles, notamment à destination des écoles. On se souvient, entre autres, du triptyque reprenant les trois volets de l’album de Laetitia Shériff, Pandemonum, Solace and Stars, réalisé par des élèves (avec Yoann Buffeteau, des lycéens (avec Eric Mahé) et des détenues (avec le regretté Tonio Marinescu). L’association proposait cette année de découvrir les ateliers de La Petite Fabrique d’Images, mis en place l’année dernière avec les élèves de Moulin du Comte. Derrière ces ateliers se cache l’épatant collectif Vitrine en Cours et ses projecteurs de tous poils. Ils ont eu l’excellente idée d’adapter le support de création d’images en fonction de l’âge des enfants.
Il y a le simple dessin sur rodoïd pour les plus jeunes, diffusé à l’aide d’un vidéoprojecteur, parfois réhaussé de petits objets. Les plus aguerris peuvent dessiner sur des diapositives vierges ou gratter des pellicules 35mm montées sur des diapos. Et les plus minutieux et patients grattent ou dessinent des saynètes sur de longues pellicules de 16 mm. Les trois projecteurs diffusent simultanément le résultat de ces productions sur les murs du Vieux St Etienne, devant des mines réjouies. Les deux acolytes de Vitrine en Cours font preuve d’une impeccable pédagogie, à la fois dans la réalisation des supports mais également dans les procédés de diffusion. Un régal pour petits et grands.
Pour cause de boulot, nous avons honteusement manqué les concerts de Léo Prud’homme et Clément Lemmenicier, mais nous nous sommes rattrapés ce samedi en fin d’après-midi. En effet, le festival des Embellies, fidèle à sa volonté de mettre en avant les artistes émergents, a eu l’excellente idée de proposer au public de découvrir gratuitement trois nouveaux projets musicaux à 19h. On était intrigué par l’utilisation du pseudonyme Chaban, présenté comme la réincarnation féminine de l’homme politique. Lorsque débute le concert, on découvre avec surprise que Myriam Sammour ne convoque pas le Chaban-Delmas de la V République : il s’agit bien de Jacques Delmas, mais plus jeune, avec son pseudonyme de résistant, membre du Comité National de la Résistance. Le concert alterne musique et interludes extraits de discours de Chaban, et l’ensemble est étonnement cohérent et fluide. Musicalement, les compositions blues (Mountain’s Men), jazz (All in Row) et les mélodies délicates (With Tenderness) sont un merveilleux écrin pour la voix chaude de Myriam.
Le jeu de piano est subtil, le looper utilisé avec parcimonie : un piano-voix épuré qui dessine un large sourire sur les visages des nombreux spectateurs présents dans le magnifique espace crée par Grand-Géant. Un sourire qui se teinte de gravité lorsque le résistant du CNR prend la parole, avec un message profondément humaniste, et qui fait preuve d’une cruelle modernité. Symboliquement, la musique et le discours se rejoignent en toute fin de concert lorsque Myriam joue une mélodie au piano sur un dernier extrait de discours de Chaban. Un très joli moment, comme une parenthèse suspendue qui réchauffe les âmes. Nous vous conseillons d’allez découvrir Happy Birthday M. Chaban paru il y a quelques semaines sur bandcamp.
On attendait avec beaucoup de curiosité Faroe, la faute au tubesque More Than a Game qui nous trottait dans la tête depuis plusieurs semaines. Derrière Faroe se cache Corentin Ollivier, que l’on connaît bien en tant que guitariste des Concrete Knives et de Samba de la Muerte. Son projet solo, mûri lors des enregistrements et des tournées avec ces deux groupes, a pris forme avec un premier EP remarqué, Words, suivi d’I’m Here, deuxième cinq titres sorti en novembre 2018 : de l’electro teintée d’indie-pop et de hip-hop : délaissant la guitare, Corentin a préféré composer à l’aide de son ordinateur, d’un clavier et d’une boite à rythmes, l’entrainant ainsi vers des textures synthétiques, sans toutefois délaisser sa six-cordes. Corentin débarque sur scène tout de blanc vêtu et s’installe derrière son clavier et ses machines pour le tubesque Blast, petite pépite d’electro downtempo. Sa jolie voix aérienne est d’ailleurs utilisée comme un instrument qui participe à la création mélodique, et qu’il boucle avec parcimonie. Il achève Blast avec sa guitare et la conserve pour I Can Live in Silence et sa délicate rythmique reggae.
Un début de concert prometteur mais qui va malheureusement prendre un virage un peu trop synthétique à notre goût : les mélodies électro-pop (Sane Roads, I’m Here) manquent de relief et de ce petit supplément d’âme. Corentin Ollivier ne ménage pourtant pas ses efforts, n’hésitant pas à s’avancer sur le devant de la scène, micro à la main, mais il n’est pas toujours évident d’incarner des titres avec pour seul support quelques notes de claviers et une boite à rythmes. Même si l’on reste à quai, on doit cependant lui reconnaître une spontanéité et une fraicheur qui font plaisir à voir. On est beaucoup plus sensible au délicat piano-voix (Togetherness) qui prouve que le musicien a un sens certain de la mélodie, en plus d’avoir un joli timbre de voix. Mais c’est avec sa guitare qu’il nous touche le plus, comme sur le merveilleux More Than a Game, qui alterne une savoureuse ligne rythmique et un pont aérien, et qui fait mouche dès les premières notes glissées. Il achève son concert sur une revisite d’un de ses titres électro, Heal, mais avec sa six-cordes, pour notre plus grand plaisir. Parce que c’est ainsi que Faroe nous touche le plus.
On pressentait que Bacchantes serait l’une des bonnes surprises de cette édition des Embellies. Il faut dire que ce quatuor, bien que tout récent, peut s’appuyer sur la solide expérience de ses quatre talentueuses musiciennes et chanteuses que nous apprécions tout particulièrement : Amélie Grosselin (guitare et chant), Astrid Radigue (batterie et chant), Faustine Seilman (harmonium indien / farfisa et chant) et Claire Grupallo (harmonium indien / farfisa et chant). Echappées de Fordamage, Sieur & Dame et Mermonte, cette rencontre improbable de quatre artistes aux contrées musicales bien distinctes, produit un bon paquet d’étincelles à l’écoute des quelques titres disponibles sur la toile. Du rock, du chant lyrique, une pincée de punk, du chant choral, tous les ingrédients étaient réunis pour un très bon concert, mais on était loin d’imaginer se prendre une telle claque !
Dès les premiers tintements de clochettes de Choeur d’Amour, le silence s’installe dans les rangs complets du Théâtre. La batterie tribale d’Astrid, les déflagrations sonores de la six cordes frappée avec une baguette par Amélie, les voix à l’unisson de Faustine et Claire : la magie opère instantanément. Les choeurs passent par tous les états, la guitare se fait plus noisy (ce jeu de guitare !) et l’harmonium indien entre dans la transe : le set démarre sur des bases stratosphériques et ne faiblira à aucun instant. On reste bouche bée devant le sublissime Sécheresse : la voix altière de Claire et le timbre chaleureux de Faustine se complètent délicieusement sur une splendide introduction a capella qui s’électrise progressivement. Les chants s’entremêlent sous une pluie de guitare et de batterie dans un final richissime. Les textes se révèlent être d’une incroyable richesse, entre poèmes empruntés à quelques grands auteurs (on croit avoir reconnu Marine de Paul Verlaine et Amolli de Blaise Cendrars), mais aussi quelques créations originales comme le tubesque ovni Héllébore Fétide et son texte minimaliste et bien barré (On va mourir / En pleine puissance / décomposés parmi les bêtes / Elles retrouveront / Sous les pavés / Nos corps à moitié digérés).
Lorsque les 4 musiciennes chantent à l’unisson et a capella Le Chant des Marais, un frisson parcours les spectateurs. L’enchainement avec l’introduction hypnotique de Politique (texte de Gérard de Nerval, extrait de Petits châteaux de Bohème) se révèle être tout aussi intense et ce morceau épique finit de nous convaincre : avec Bacchantes, on tient entre nos oreilles un petit bijou musical estampillé 24 carats. Un concert bluffant de précision, tant dans l’équilibre instrumental que dans les harmonies vocales, avec une disposition en arc de cercle qui permet l’échange de regards complices. L’accueil chaleureux du public nous laisse à penser que nous ne sommes pas les seuls à avoir vécu un moment unique. Et on a viscéralement hâte de pouvoir prolonger le plaisir sur notre platine. Mille mercis aux quatre prêtresses de ce chant rock trans-chamanique, mille mercis Patchrock !
Ca faisait un petit moment qu’on attendait de découvrir Puts Marie sur scène, après un passage particulièrement remarqué lors des Trans Musicales 2014. Ce groupe originaire de Bienne (Suisse allemande) est né sur la base d’impros de jazz joué par une bande de lycéens en 2000 (Nick Porsche à la batterie, Igor Stepniewski à la basse, Sirup Gagavil à la guitare et Beni06 à l’orgue farfisa). Lorsqu’ils rencontrent leur futur chanteur, Max Usata, en 2003, le groupe se met à explorer tous les genres musicaux : le tout donne deux premiers albums bordéliques au possible, entre rock progressif, hip-hop, jazz, pop, noise, et on en oublie. Puis silence radio pendant de nombreuses années, chacun voyageant de son côté, avant un retour fracassant avec Masoch (I & II), qui leur permettront d’accéder à une reconnaissance largement méritée. L’excellent Catching Bad Temper, paru en septembre 2018 confirme le talent de la bande biennoise pour trousser des mélodies foutraques mais diablement addictives.
Et sur scène ? Pour être honnêtes, on reste partagés par la prestation du groupe. On est tout d’abord agréablement surpris par le début du set, puisque le quintet ne cède pas à la facilité : les musiciens installent une atmosphère particulièrement sombre avec des mélodies exigeantes. Des riffs hypnotiques d’Indian Girl à la déflagration finale de The Waiter, le concert débute intensément. Le flow mélancolique et faussement nonchalant de Max Usata fait mouche dans la seconde, et son jeu scénique littéralement habité captive notre regard. Hélas, l’atmosphère crépusculaire retombe immanquablement à chaque fin de morceau, la faute à de longues plages de jazz-rock progressif : et l’on ne peut même pas se raccrocher à la présence du chanteur puisque ce dernier rejoint ses acolytes, à genoux devant son clavier ou derrière sa petite batterie en fond de scène. Les musiciens semblent prendre du plaisir à jouer ces conclusions instrumentales, mais on a une irrésistible envie de leur faire de grands gestes pour leur rappeler notre présence. Preuve en est, la petite bombe d’hip-hop indé Catalan Heat, jouée sans rajout inutile, fonctionne à merveille, alors que le catchy C’mon perd sa sève originale dans un interminable final prog. Mais lorsqu’on pense que la tension est irrémédiablement retombée, Max Usata nous enveloppe de nouveau avec son flow déglingué, jonglant malicieusement entre ses deux micros, et occupant la scène avec un sens théâtral aiguisé. Au final, même si l’on reste sur notre faim, la performance de ce frontman hors pair nous aura entrainé jusqu’à la fin du concert.
Cette belle soirée de clôture affichait complet, et l’on s’en réjouit : en matière de festival musical, on en connait des pompes à fric à la bonhomie vénale et hypocrite. Il y a heureusement aussi ceux qui mouillent la chemise pour permettre à de nouveaux groupes de faire leurs premiers pas dans les meilleurs conditions tout en faisant attention à rester accessible au plus grand nombre. Le festival des Embellies fait assurément partie des seconds. Bravo à Patchrock, Grand-Géant, Vitrine en Cours et tous les artistes pour cette très belle édition 2019 !
Compte-rendu écrit à 3 têtes par Yann, Mr B. et Isa et photographié par l’oeil sensible de Mr B.
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