Ce vendredi 3 mai, Chris Garneau, Quentin Sauvé et Tropique Noir se succédaient dans l’écrin du Vieux St Étienne à l’affiche de cette seconde soirée du festival Les Embellies. On avait pressenti un moment feutré et sensible. On ne se sera pas trompé. Compte-rendu.
On regrette fortement de ne pas avoir pu être suffisamment tôt au Théâtre du Vieux St Étienne, boulot oblige, tant on était emballé à l’idée de découvrir en live le projet solo de Clément Lemennicier, riche de délicates promesses. Tous les soirs du festival à 19h, l’association Patchrock a en effet eu l’excellente initiative d’inviter des musiciens à venir présenter leur projet à leurs tous débuts, fidèle à sa volonté de s’inscrire dans l’accompagnement sur le long terme de jeunes artistes émergents. Et ce qu’on avait pu entendre du garçon (qu’on avait déjà repéré à la trompette et à la guitare dans Bumpkin Island) nous avait fortement emballé : pop slowcore solo, guitare / voix, le musicien se révélait sacrément habile pour trousser des morceaux aussi amples que sensibles. Ce ne sera pas pour cette fois pour nous, mais on se promet de guetter ses prochaines dates tant on s’est trouvé émoustillé par ce qu’on a pu découvrir de la musique du garçon.
Quentin Sauvé
On est cependant là assez tôt pour l’arrivée en scène de Quentin Sauvé. Et bien nous en a pris. Avec une spectaculaire trajectoire musicale à son actif, le musicien tombé dans la marmite punk-hardcore dès son plus jeune âge et membre de nombre combos bien vénères (souvent en compagnie de son frangin Amaury qui produit également son nouvel album), que ce soit au sein de Birds In Row, As We Draw ou Calvaire, a largement démontré sa capacité à mêler brillamment brutalité et sens mélodique. Avec son projet plus personnel auparavant sous le nom de Throw me off the Bridge, décliné en version groupe et solo, et désormais refondu en une nouvelle entité sous son propre nom, la passion inextinguible du jeune homme et son sens farouche de l’indépendance s’incarnent dans une forme indie folk épurée, délicate et surtout diablement sensible.
Seul à la guitare sèche, il entame son set sur les arpèges suspendus de Dead End, le morceau qui ouvre également son premier album Whatever it takes (sorti en K7 chez les copains d’Ideal Crash): quelques effets (reverb, delay ?) sur sa voix, sur la six cordes donnent tout de suite une réelle profondeur à l’ensemble pourtant dépouillé et brut. Sur Half Empty glass, qui suit, le Mayennais troque sa guitare sèche contre une électrique, mais enchaîne dans un registre tout aussi feutré et sensible. Tout en douceur, la guitare et la voix pleines d’émotions emplissent la nef de la vieille église, qui se révèle un magnifique écrin pour les mélodies pénétrantes du garçon. Les arpèges orageux et la voix sur la corde sensible s’exposent presque à nu. Des boucles sensibles, aériennes se glissent sous les voûtes pour entamer un People to take care of, dont le picking plus enlevé se déploie progressivement sur un délicat crépitement d’ampoules qui en augmente encore les effets, avant de s’achever sur quelques nappes de synthés qui répondent aux boucles de guitares.
Avec un Ghosts (qui parle tout autant de ses acouphènes que de ceux qui ont compté), Quentin Sauvé attrape sa telecaster et le public, de plus en plus resserré, captivé par l’intensité touchante du garçon. Le poignant Love is home n’en coupe en rien les effets : les arpèges profonds, enveloppés d’ardentes lumières bleutées, prennent au cœur. L’intensité gagne encore, les arpèges désormais bouclés sont percutés d’accords décochés, habités. Le set se fait temporairement moins épuré, plus bouillonnant mais sans que rien n’en déchire jamais l’intimité. Le dépouillé Selfless, joué à l’os, dans une pénombre encore magnifiée par la présence massive des vieilles pierres, se répand en frissons sur les épidermes rendus particulièrement sensibles aux émotions que le jeune homme expose à nu. On n’est pas sauvé par Riddled lorsque Clément Lemennicier au flugelhorn rejoint le Lavallois sur scène. Un son dément, une justesse dans la retenue à pleurer et une indéniable classe dans les arrangements finissent de nous retourner complètement. On a à peine le temps d’un Bad News Bearers (et encore) pour tenter de s’en remettre (peine perdue avec un final à fleur de peau) que Quentin Sauvé emballe le public avec un Disappear à la fois intense et fébrile, à l’image d’un concert pendant lequel la touchante et désarmante ferveur du musicien aura réussi à progressivement totalement captiver le public des Embellies. Un très beau moment.
Tropique Noir
On attend beaucoup du projet pop renno-brestois de Mickaël Olivette (voix, guitare, Korg) Tropique Noir qui suit, accompagné par les merveilleux Mermonte Ghislain Fracapanne à la basse ou Régis Rollant à la guitare et par Maëlan Carquet derrière les fûts (Bantam Lyons). Le quartet doit en effet sortir son premier album le 17 mai sur le label Music From The Masses (réincarnation de l’aimé et défunt Beko Disques) et les quelques premiers extraits qu’on a pu en entendre ont fortement aiguisé notre appétit.
C’est d’ailleurs avec son premier tubesque extrait BGS, que la bande des quatre ouvre le set. Et ça confirme aussitôt nos attentes : c’est du noir qui sourd de guitares étincelantes dont il est ici question. D’obscurités éblouissantes, de textes sombres qui se déclament à la manière d’un Daniel forcément Darc, des mots en français, chantés comme un Daho solaire illuminant ses Notte, ancrés sur des sonorités eighties synthétiques et des guitares éclatantes. Tout chez Tropique Noir, semble relever de l’oxymore, du rapprochement des contraires qui se percutent.
On est complètement dingues des basses mélodiques, jouées à toute berzingue et autant le dire, l’ami Ghislain Fracapanne y excelle, tricotant, rebondissant comme un beau diable, avec une classe et une maîtrise indécentes. Derrière les fûts, Maëlan Carquet n’est pas une seconde en reste et ses roulements et cavalcades sur les toms illuminent des rythmiques paradoxalement martelées et dansantes qui se révèlent d’une redoutable efficacité.
On est tout aussi emballé par le dialogue des guitares (jazzmaster vs jaguar) : les arpèges, les accords s’y répondent ; les mélodies en sont en même temps immédiates et habilement perverties de quelques notes inattendues qui piquent l’intérêt.
On comprend (et approuve) le choix de Mickaël Olivette du phrasé plus parlé que chanté : on apprécie comme lui cette volonté de privilégier le grain, ce souffle de la voix. On aimerait peut-être que sur la longueur d’un set, il joue davantage sur une plus grande variété de tons et perfectionne le percutant de sa diction, d’autant que le phrasé comme les textes, sont déjà riches de belles choses, et que le propos gagnerait à être encore transcendé. Mais le projet n’en est qu’à ses prémisses, n’a encore pas des masses de dates derrière lui et Mickaël Olivette, encore trop encombré de sa grande timidité pour déjà se révéler totalement incendiaire (à l’image de la pochette de son premier album) a eu l’excellente idée de s’entourer de musiciens aussi aguerris, puissants et carrés que talentueux et peut s’appuyer sur cette solide triplette.
On sent que les choses ont besoin d’être encore travaillées par le temps, pour que la bande finisse de trouver le liant qu’on pressent déjà et qui ne demande qu’à totalement prendre. D’autant que l’épaisseur et la densité sont déjà là. Et qu’on pourrait déjà s’en contenter. On entrevoit pourtant que Tropique Noir en a encore davantage sous le capot et on en est d’autant plus heureux d’avoir à leur laisser du temps pour finir d’éclore totalement. Un concert prometteur, donc, qui donne une réelle envie de courir découvrir les morceaux sur album. Le potentiel de la formation s’y est révélé aussi palpable que bigrement prometteur et laisse présager d’une densité encore plus émouvante à venir, tant les prémisses pour quelque chose de beau sont là, et bien là. A suivre, donc.
Chris Garneau
Les amateurs de mélodies à l’âme sensible ont ensuite le plaisir de retrouver Chris Garneau, déjà venu en 2014 aux Embellies à l’Antipode pour la sortie de son précédent album Winter Games, le temps d’un concert suspendu, lent et doux voyage introspectif, porté par une interprétation immensément sensible. Après deux premiers disques Music For Tourists (2006-2007) et El Radio (2009), avec lesquels l’Américain avait délicatement posé les bases de sa folk essentiellement acoustique (piano, cordes, farsifa essentiellement sur le premier, guitare acoustique et claviers électriques en plus sur le second) aux arrangements riches et précieux (cuivres et cordes diablement inspirés), le musicien quittait le tout acoustique et s’offrait des instrumentations plus électriques (ou électroniques) sur Winter Games, album malade et introspectif aussi tordu que troublant naviguant de l’inceste au rejet familial, de la négligence à la maltraitance en dix pistes souvent sensibles et parfois même crève-cœur. Avec son dernier album en date, Yours (décembre 2018), le garçon et sa pop baroque continuent de chercher à gagner en amplitude, ne se refusant aucun territoires sonores. Exit le tout acoustique, les cordes, les cuivres : place aux échos, au delay, aux saturations de l’espace sonore par la superpositions de couches diverses, alliant étrangement gothique et dream pop, et desquels émergent ici un toy piano acoustique, là une voix épurée, ailleurs encore une mélodie dépouillée.
C’est donc par un entremêlement de nappes, de boucles, d’effets, totalement raccord avec ce dernier album que Chris Garneau débute son set dans une ambiance particulièrement spectrale avec le long Yours, épique pièce lyrique aux développements multiples. Les nappes, les boucles, commencent par y racler doucement l’oreille, formant un magma sonique épais, duquel vient progressivement sourdre la voix de l’Américain. Assis derrière son piano à queue, dans une obscurité profonde, le garçon chante doucement ses textes éminemment personnels tout en y ajoutant les notes acoustiques du piano avec la même touchante sincérité. Le morceau gagne alors progressivement en rondeur et son final bien plus lyrique et ample trouve une magnifique résonance dans l’écrin du Vieux St Étienne. Le fragile Winter Song 2, tout en arpèges tournoyants et répétitions I used to, i used to, i used to, i used to love you, avec quelques légères dissonances finales et le plus récent Ambush dans une version épurée piano /voix se révèlent tout aussi introspectifs et dépouillés. Tout comme Over and Over (Chris Garneau l’explique dans un impeccable français -il a vécu par ici enfant-, la setlist de ce soir se balade entre 2006 et aujourd’hui – et proposera même des morceaux qu’il n’a pas encore enregistrés-) dont les crépitements rythmiques, les cuivres, les chœurs et les cordes ont disparu dans une version décharnée mais tout aussi prenante.
Car dépouillé ne veut pas dire inexpressif ou atone. Au contraire, Chris Garneau nous embarque avec lui dans une lente et douce errance où l’intime affleure d’une note, d’une touche noire, d’un frémissement à peine audible dans la voix. Sad News réduit à son squelette piano-voix, tout comme le tourbillonnant et troublant Baby’s romance plus tard, y trouvent une nouvelle authenticité qui n’est pas pour nous déplaire, même si parfois, on se prend à souhaiter entendre ces morceaux avec une orchestration plus fournie. Le set y gagnerait parfois peut-être en relief. Le musicien compense néanmoins la monotonie des timbres en passant du piano à queue au Rhodes face au public pour les très anciennes Blue Suede Shoes (aux arrangements un poil dissonants) et Island, mais surtout par l’émotion qui affleure de son interprétation toujours sensible. Devant la scène, le silence attentif est palpable (malgré quelques éclats de voix au bar, les Embellies étant eux aussi soumis à la quadrature du cercle de l’équation écoute/bar dans la salle) et Cats and Kids ou le final Blackout font tout autant mouche, portés eux aussi par une interprétation tout en sincérité et en retenue, l’émotion affleurant de l’écoulement des notes et des accents dans la voix de Chris Garneau qui se brise parfois très légèrement. Aussi, si d’aucuns seront certainement restés en dehors, la sincérité feutrée et déchirante de Chris Garneau en aura aussi bouleversé beaucoup d’autres.
On applaudit également pour finir l’impeccable et culottée sélection des Grand Géant, responsables de la scénographie du festival et passés ce soir derrière les platines pour des dj sets entre et après les concerts particulièrement efficaces et qui les auront vu allier la nonchalance d’un Perhaps, Perhaps, Perhaps, à Dylan ou Johnny Cash et tenter un magnifique doublé Melody Nelson / Danse of the Knights de Prokofiev pour enfin pour nous catapulter dans la nuit étoilée des Diamonds pleins les yeux.
Compte-rendu écrit à 3 têtes par Yann, Mr B. et Isa et photographié par l’oeil sensible de Mr B.
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