[Portrait] – Au bas d’une tour au Blosne, un architecte : « L’architecture joue un rôle social… »

 « Racailles », « voitures brûlées », « trafics de stup’ », les termes péjoratifs ne manquent pas dans la bouche de certain⋅e⋅s pour décrire le Blosne. Ce quartier n’a ni  bonne réputation ni bonne presse. Et ce n’est pas son classement en ZSP (zone de sécurité prioritaire) en 2013 et la visite d’un Manuel Valls sous bonne escorte policière qui a pu lui redorer son blason, bien au contraire !  (NDLR : relire notre article : ZSP : un acte manqué ?) 

Pourtant, sans tomber dans l’angélisme idiot ou faire du prosélytisme naïf, ce quartier possède de solides atouts : de nombreux espaces verts, une ligne de métro rapprochant le centre-ville à quelques minutes, son tissu associatif très actif, une population multiculturelle riche de par sa diversité. De plus, il est loin d’être une zone de non droit puisque les chiffres de la délinquance sur l’agglomération rennaise l’attestent : la délinquance n’y est pas la plus présente. Certes, la vie là-bas n’est pas un long fleuve tranquille mais quand  on se rappelle que le Blosne désignait le nom d’une rivière, aujourd’hui disparue et enterrée sous la rocade sud, on se dit qu’il gagne à être (re)connu.

Depuis quelques années, le quartier se mue et se transforme. Une imposante rénovation urbaine est lancée. Nous ne reviendrons pas ici sur l’implication des habitants à cette requalification qui fut l’objet d’une joute verbale lors du dernier conseil municipal (NDLR : relire sur le sujet le dossier d’alter1fo)  mais force est de constater que de nouveaux logements, de nouveaux équipements (pôle commercial, conservatoire(1)…) vont changer grandement le visage de l’ancienne Zup. Et il était temps ! En parallèle et pour accompagner et aider les jeunes à accéder à un emploi et favoriser le développement économique du quartier (NDLR : le taux de chômage est le plus important des quartiers rennais),  un centre d’affaires a vu le jour proposant des locaux à loyer modéré aux entrepreneurs qui souhaitent se lancer. 

Rencontre avec Thomas, habitant du Blosne et fier de l’être, qui a tenté l’aventure en installant son bureau d’architecte directement en bas d’une tour. Une aventure professionnelle et humaine avant tout qu’il ne pensait, sans doute pas, aussi mouvementée.

Thomas, architecte au blosne ©alter1fo.com

L’installation

Thomas est né à Rennes en 1983 et a passé sa jeunesse près de la dalle du Colombier. Après quelques détours par Paris et puis Lyon pour ses études et ses premiers jobs, il est revenu s’installer avec sa femme et ses enfants au Blosne.

« Moi qui ai pourtant vécu pendant vingt ans au Colombier, je n’ai jamais mis les pieds au Blosne sauf parfois pour aller au Triangle. En m’installant ici, j’ai pu confronter tous mes préjugés avec la vie réelle et quotidienne du quartier.  Sans nier les difficultés, j’y ai découvert une vraie richesse de par la diversité éthnique. Dès lors, avec ma femme, nous avons voulu participer et nous ancrer pleinement dans la vie de quartier. »

Thomas va donc s’engager naturellement en tant que parent d’élèves et puis intervenir au sein de l’association Ars Nomadis(2) . Mais il lui en fallait plus… Après avoir travaillé sur des postes, souvent précaires, pour des promoteurs qui n’avaient qu’une vision financière de l’architecture, Thomas a choisi de se lancer dans l’entrepreneuriat et de monter sa boite. Son idée : permettre et rendre accessible l’architecture pour tous.

« Quand je parlais ‘logements’ avec les promoteurs, ils me répondaient ‘financier’. Cela n’avait rien à voir. J’ai la conviction que l’architecture joue un rôle social et qu’il n’y a aucune raison pour que tout le monde n’ait pas accès à l’architecture. Je me suis donc orienté professionnellement sur le particulier. L’architecture ne doit pas être un métier d’élite. Appeler un architecte pour faire des travaux doit être aussi normal que lorsqu’on appelle un médecin quand on est malade ou un avocat pour des problèmes juridiques. Rendre accessible l’architecture à tou⋅te⋅s était mon leitmotiv du début.  »

Ainsi, dans la même logique de s’impliquer dans la vie du quartier et plutôt que de s’installer dans des bureaux « SO-HYPE!» du Mabilay ou dans un espace « SO-COOL!-y-a-un-flipper-et-une-machine-nespresso-en-libre-accès » de coworking, Thomas a décidé de poser son MACintosh, sa règle à échelle et sa trousse en bas d’une tour, au centre d’affaires de quartier, square de Bana. A l’instar de celui de Villejean ouvert en 2011, ce deuxième « CAQ » permet à de jeunes entrepreneurs et moyennant un loyer modéré de bénéficier d’un bureau pour démarrer leur activité mais aussi d’un accompagnement de la part de professionnels.

Le vol

« En plus du côté pratique puisque je suis à trois minutes de chez moi, m’installer ici est aussi un acte militant pour amener de l’activité dans ce quartier qui en manque cruellement. C’est aussi pour dédramatiser la situation et démystifier le rôle de l’architecte. Quels clients vais-je toucher ? Pour qui vais-je travailler ? Au départ, je n’en avais aucune idée mais j’ai eu envie de tenter le pari. Le 15 mars, on inaugurait les locaux avec les élu⋅e⋅s, Mme la Maire et le 25 du même mois, je me faisais tout voler. Je perdais tout…  »

En effet, dans la nuit du vendredi au samedi 25 mars, plusieurs personnes ont saccagé et cambriolé le centre d’affaires. Aucun des entrepreneurs installés n’est épargné (conciergerie solidaire, Au Ptit Blosneur, institut de beauté... ) Pas même les parties communes (frigo, cafetière…). Pour l’architecte, ce sont des milliers d’heures de travail qui se trouvaient dans ses disques durs de son ordinateur qui sont perdues. Ce vol a fait la une de Ouest-France et des médias locaux et a suscité un vif émoi tout comme certaines réflexions revanchardes, du genre : « Tu vois, on te l’avait bien dit que c’était une mauvaise idée…« 

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Passer par des réseaux « parallèles » pour réussir à retrouver son matériel était un pari risqué mais qui a bien failli fonctionner. Question de feeling timing ! Il apparaît surprenant malgré tout qu’un simple citoyen se doit de prendre ce genre d’initiative personnelle. Le classement en ZSP ne devait-il pas améliorer la lutte contre les incivilités et les cambriolages ? Mais soit. Après ce vol, beaucoup aurait renoncé; pour Thomas, aucune hésitation ! Hors de question de baisser les bras ou de repartir ailleurs. Il fallait faire mentir les mauvaises langues.

« Dès le samedi soir, j’avais tout rangé et j’étais à mon poste le lendemain. Rester est une réponse donnée à ces gamins pour leur prouver qu’on peut créer son activité au sein du quartier. Peut-être que je me plante mais j’y crois… Ici, il a des jeunes qui sont dans une situation sociale compliquée. Certains gamins ne partent jamais en vacances ou n’ont pas d’activités annexes du coup, ils n’ont rien à faire et font les cons. Finalement, ils ont cambriolé le CAQ comme moi, ado, j’allais piquer des bonbons à la boulangerie du coin… »

Une fois les émotions fortes passées, Thomas ne souhaite garder en tête que cet élan de solidarité qui s’est rapidement crée autour d’eux. Élu⋅e⋅s, habitant⋅e⋅s, collègues, ami⋅e⋅s, personnes anonymes… beaucoup ont répondu à l’appel d’une cagnotte solidaire ou se sont exprimés à travers des témoignages de réconforts et de soutiens.

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Le Centre d’Affaires de Quartier au blosne ©alter1fo.com

L’envol

Thomas souhaite maintenant laisser cette épreuve derrière lui pour se concentrer de nouveau sur son travail afin de pérenniser son activité. En parallèle, il garde l’idée d’aller à la rencontre des habitants en faisant connaitre ce qu’il se passe au sein des locaux du CAQ (NDLR : une journée porte ouverte sera organisée le 12 juillet) ou d’organiser des lieux conviviaux comme avec la construction de petits potagers participatifs, là, juste devant sa fenêtre.

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Ensuite, Thomas ne cache pas sa volonté de participer au projet de renouvellement urbain du quartier que ce soit en tant qu’habitant, à travers les différentes concertations ou ateliers, ou bien en tant que professionnel afin de travailler sur des programmes concrets au sein de la ZAC.

« Je souhaite dans le futur développer mon activité en essayant de toucher des bâtiments plus importants que de la maison. Du fait d’habiter ici, de travailler ici, d’être en lien avec  les riverain⋅e⋅s et les associations locales,  je pense avoir une légitimité pour postuler sur des projets,  en tout cas plus que certaines agences parisiennes, par exemple… »

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Et pourquoi ne pas remporter des marchés publics ? Cela nous changerait un peu des Bati-Armor, Lamotte, Blot et consort.


(1) : Tetrac – Agence, Nantes – présente le futur conservatoire ici

(2) : Cette association est à l’initiative du projet participatif « Les Chants du Blosne » qui a pour but de sillonner le quartier à la rencontre de ses habitants pour réaliser des portraits vivants, mêlant témoignages et réinterprétation musicale


At Home : https://www.at-home-moe.com/

Centre d’Affaires de Quartiers Rennes : journée porte ouverte le 12 juillet

La concertation au Blosne

 


[Vidéo] – Manuel Valls vient inaugurer la nouvelle Zone de Sécurité Prioritaire du Blosne, à Rennes © TARANIS https://www.youtube.com/watch?v=WY5IOL5mSBo

[Article] : Rennes: Les jeunes entrepreneurs lancent leur business dans les quartiers ©20minutes Rennes http://www.20minutes.fr/rennes/2024363-20170303-rennes-jeunes-entrepreneurs-lancent-business-quartiers

[Article] : Travail. De l’inutilité des bureaux à la cool ©courrier International http://www.courrierinternational.com/article/travail-de-linutilite-des-bureaux-la-cool?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#link_time=1498811256

[Vidéo] : Conseil Municipal du 26 juin 2017
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