La formule était peut être maladroite et a sans doute été mal perçue par beaucoup d’habitants. En décembre 2013, c’est avec une certaine satisfaction que la candidate au siège de la mairie de Rennes en pleine campagne des municipales se félicitait de l’entrée du quartier du Blosne au sein du cercle très fermé des ZSP : Zones de Sécurité Prioritaires. Le quartier est donc passé de ZUP (Zone à Urbaniser en Priorité) à ZUS (Zone Urbaine Sensible) pour finir en ZSP, triste évolution finalement…mais « bonne nouvelle » pour Nathalie Appéré.
Cette charte ZSP résulte de l’engagement fort du candidat Hollande à lutter contre la délinquance dans les quartiers difficiles ; elle recèle toutefois de curieux paradoxes.
[1] L’image du quartier : la ZUP est morte, vive la ZSP ?
Le quartier a du mal à se détacher de cette image de quartier « qui craint » et subit régulièrement une mauvaise presse. Soyons honnête, il est rare que les personnes extérieures au quartier vous envient lorsque vous répondez que vous habitez au Blosne… c’est même souvent le contraire.
Pourtant, les habitants avec qui l’on discute vous diront tout leur attachement à leur quartier où il fait malgré tout bon vivre malgré certains problèmes connus et bien ciblés. Eric Berroche, nouvel élu de quartier l’affirme lui même au vu de ses différentes rencontres.
Eric Berroche : « On dit que des choses ne vont pas bien, que ce quartier n’est pas agréable, mais ce qui ressort de cette marche, c’est que les gens se plaisent beaucoup au Blosne .»
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Une enquête en porte-à-porte auprès de 1000 habitants du Blosne rapportée par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Rennes et réalisée en juillet 2011 au Blosne (téléchargeable ici) le confirme :
1/ La majorité des enquêtés se sentent bien dans le quartier et dans le logement et 2/3 d’entre souhaitent rester à la fois dans le quartier et leur logement. Dans les zones pavillonnaires, aucun ne désire quitter son logement pour aller éventuellement ailleurs dans le quartier et seuls 2 enquêtés expriment le souhait de quitter le quartier
2/ La majorité des habitants se plait dans le quartier et n’exprime pas massivement de besoins, hormis le stationnement. La projection d’un Blosne idéal ne porte donc pas sur le quartier en soi mais davantage sur l’image qu’il projette à l’extérieur. Pour 76% des enquêtés, le Blosne idéal, c’est une réputation persistante de ZUP qui disparaît.
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Ce quartier présente d’ailleurs de nombreux avantages avec ses nombreux espaces verts, avec sa ligne de métro rapprochant le centre-ville à quelques minutes et son tissu associatif très actif, riche et multiculturel, avec plusieurs pôles associatifs de quartier et ses nombreux équipements tant sociaux, culturels que sportifs.
Alors que le Blosne d’aujourd’hui tentait de faire oublier la ZUP d’hier(1), quelle nécessité y avait-il de lui coller cette nouvelle étiquette peu valorisante ? Un label ZSP partagé avec les quartiers nord de Marseille, ou avec Cayenne et ses 10,2 homicides volontaires pour 100.000 habitants, surnommé régulièrement par les médias le « nouveau far-west français ».
La raison principale de cette mise sous tutelle du quartier semble être liée en partie à une hausse spectaculaire d’incidents et à ce « fameux sentiment » d’insécurité (communiqué Site de Rennes et Métropoles du 12/12/2013).
Insécurité grandissante pourtant non partagée par certains habitants :
Christian Goulias, fondateur de l’Association des Copropriétaires du Blosne (Interview Alter1fo Juillet 2014) : « Moi comme beaucoup de mes amis ne la ressentons pas. Ne serait-ce pas une perception des résidents extérieurs au Blosne, ou aux pourvoyeurs d’image négative ? Il me semble en effet qu’il y a plus d’insécurité à République ou Place Saint Anne que dans le Blosne […] le Blosne possède une mauvaise image souvent véhiculée par les médias et des politiques… »
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D’autres affichent d’ailleurs ouvertement leur sentiment d’être de nouveau « montrés du doigt » ou « stigmatisés », comme en témoigne cette jeune retraitée interrogée par 20minutes.fr « Beaucoup de personnes n’ont pas compris ce classement en ZSP. Il y a quelques problèmes, d’accord, mais comme partout. Cela aura pour conséquence de stigmatiser un quartier dans lequel on se sent bien » ou bien ce témoignage paru dans cet article de juin 2014 de la ville de Rennes et métropole, suite à une marche exploratoire des élus Rennais dans le quartier.
Stigmatisation… exactement le terme employé par la liste « Changez la ville » emmenée par Matthieu Theurier et Valérie Faucheux pour dénoncer cette annonce en ZSP dans leur communiqués du 18 déc. 2013 :
Matthieu Theurier : « Ainsi, nous considérons que la création récente d’une zone de sécurité prioritaire au Blosne est stigmatisante et ne résout aucun problème […] »
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Surtout qu’en y réfléchissant, cela va à l’encontre du projet de mixité sociale dite « à l’envers » de la municipalité (relire à ce propos l’article Des rupins dans la ZUP sud sur alter1fo).
En effet, aujourd’hui, le Blosne totalise 53 % de logements sociaux, un pourcentage deux fois supérieur à l’obligation légale et la métropole d’Ille-et-Vilaine cherche à attirer des populations de classe moyenne au Blosne.
Pour cela, elle compte sur des logements moins chers qu’ailleurs et sur un vaste projet urbain(2), avec ses 2 000 à 2 500 nouveaux logements, 30 à 40 000 m2 de surface d’activités tertiaires et 12 à 20 000 m2 de surface d’équipements publics, comme le conservatoire de musique.Mais alors comment donner envie à une population plus riche de venir s’installer en Zone de Sécurité Prioritaire ? Premier paradoxe.
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[2] L’insécurité des moyens.
Sans angélisme aucun, car tout n’est pas rose au Blosne, le quartier connaît des problèmes : trafics de drogue, rodéos, prosélytisme religieux, incivilités mais pourtant « le quartier du Blosne est loin d’être une zone de non droit. Selon les chiffres de la délinquance sur l’agglomération rennaise, il s’avère que ce n’est pas le quartier où la délinquance est la plus présente sur Rennes ». Eric Berroche insiste même : « le Blosne n‘est pas le quartier où les délinquances sont les plus fortes ». De plus, le niveau de délinquance n’y est pas comparable avec les quartiers difficiles de certaines autres grandes villes. Alors pourquoi avoir choisi ce quartier en ZSP ? N’y avait-il pas plus prioritaire ? Deuxième Paradoxe.
Certains – les mauvaises langues – y ont vu une opération de communication à quelques mois des élections municipales. Sans doute accentuée avec la visite-éclair de l’ex-ministre de l’intérieur au Blosne en pleine affaire « Dieudonné ». Le message est clair : la sécurité n’est pas l’apanage de la droite. Attention, nous allions voir ce que nous allions voir et cette « labellisation » devait déboucher sur plus de moyens.
L’ex-ministre s’y était engagé en ce 09 janvier 2014 : « ce classement en Zone de sécurité prioritaire se traduira par un renforcement des forces de l’ordre », « elle sera opérationnelle en février, avec quelques effectifs de police supplémentaires », « les ZSP permettent d’avoir des effectifs supplémentaires »
Pour être un peu ironique, les seules forces de l’ordre supplémentaires vues ce jour-là furent celles déployées pour boucler le quartier et maintenir manifestants et habitants à l’écart du parcours. Valls affirmait pourtant dans la même journée « qu’il n’y avait pas de sécurité possible sans une relation de très grande qualité entre forces de l’ordre et les citoyens ». Alors que penser de cet échange avorté entre un ministre d’État et ses citoyens ?
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Oui mais voilà, en y regardant de plus près : aucun effectif supplémentaire n’a été apporté au sein de la police municipale, pas de création de postes. À effectif constant, il s’agit seulement d’une affectation d’une équipe au secteur du Blosne.
Eric Fossembas, directeur de la Police municipale (Interview Alter1fo Juin 2014) : « Par rapport à l’effectivité de l’emploi de la police municipale sur la ZSP, cela consiste à effectuer une patrouille sur site par jour de façon aléatoire et une patrouille commune avec la police nationale par semaine. Cela se fait à moyen constant, il s’agit d’une réorientation de certaines missions. »
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Idem pour la police Nationale, pas d’effectif supplémentaire non plus selon le syndicat de Police Unité SGP-FO (syndicat majoritaire en France). Il n’y aurait eu qu’un transfert de personnels, certains issus du C.N.T (pas du syndicat anarcho-révolutionnaire hein…mais le centre de traitements des contraventions).
Stéphane Chabot, secrétaire départemental Unité SGP Police-FO (interview alter1fo Juillet 2014) : « On a pris du personnel volontaire qui effectuaient du travail administratif au centre national des traitements des contraventions. Certains n’avaient pas mis un pied sur le terrain depuis plus de sept ans et ils ont été mis en patrouille directement du jour au lendemain sans stage et sans aucune formation alors qu’en sept ans, de nouvelles mesures ou techniques réglementaires ont changé. »
« L’idée de ZSP est un bon objet de travail et peut fonctionner, on le voit par exemple à Grenoble qui a obtenu des moyens supplémentaires en effectifs. Cela peut fonctionner car on remet le policier dans la zone sensible avec du travail de prévention et surtout de recherches d’éléments pour prouver certains trafics ; mais il faut mettre les moyens humains et le matériel adéquat. Aujourd’hui, on ne le peut pas. On déshabille finalement Pierre, Paul ou Jacques dans certains secteurs et cela crée d’autres problèmes. »
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Le syndicat Unité SGP-FO posait d’ailleurs dès le 16 Décembre 2013 cette question pertinente lors d’un communiqué de presse : « Ne serait-il pas plus judicieux de recruter avant et de créer ensuite ? ». A l’inverse, dans un communiqué du 02 Juillet 2014 , la Ville de Rennes & Métropole se félicitait des moyens significatifs déployés, en omettant sans doute par mégarde de noter ce jeu de chaise musicale ou ce jeu de vases communicants des effectifs…
Finalement, malgré les différentes promesses, les annonces grandiloquentes et la venue d’un ministre, la création en ZSP du Blosne n’aura donc rien apporté en termes de recrutement supplémentaire… Paradoxe pour cette gauche qui se plait à dénoncer la RGPP (3) et la suppression de la police de proximité sous l’ère Sarkozy, mais qui n’effectue pas non plus d’efforts pour combler ces problèmes d’effectifs.
Stéphane Chabot, secrétaire départemental Unité SGP Police-FO (interview alter1fo Juillet 2014) : « Tous les jours sur la voie publique, on sent les conséquences des baisses d’effectifs. Un exemple : pendant l’époque des mouvements des bonnets rouges, il y a quelques soirs pendant lesquels il n’y avait plus qu’un seul véhicule de police qui circulait sur la voie publique : il devait forcément discerner les missions plus prioritaires que d’autres… »
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Rennes n’est pas un cas unique, même constat pour quatre maires de l’agglomération creilloise, dont un maire socialiste qui se sont plaints du non renforcement des effectifs de la police nationale dans le cadre des ZSP. « La préfecture vante la méthode de la ZSP, la nouvelle synergie entre les services mais ce qu’il nous faut, avant tout, c’est des hommes sur le terrain », dixit le maire de Montataire, Jean-Pierre Bosino (PC).
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[3] La tentation des chiffres.
Dernier paradoxe : en début du mois de Juillet, le Procureur de la République se félicitait du travail engagé par le Groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) créé en octobre dernier, donc avant la ZSP et se félicitait des bons résultats sur le quartier du Blosne, proposant même la dissolution du groupe : « Il a été décidé de mettre fin au GLTD »
Thierry Pocquet du Haut-Jussé, Procureur de la République de Rennes : « Aujourd’hui, on a retrouvé un certain apaisement. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de délinquance, mais la sérénité est retrouvée… »
Une responsable de la préfecture va plus loin : « Au Blosne, on a rarement des affaires de grande ampleur, mais des choses qui pourrissent la vie ». Certains médias régionaux n’hésitent d’ailleurs pas à retranscrire cette opportune baisse en relayant les chiffres officiels indiquant une « baisse de 32 faits en janvier à 21 en juin ».
Mais que cachent véritablement et précisément ces chiffres ? Voici ce qu’en pense Stéphane Chabot :
Stéphane Chabot, secrétaire départemental Unité SGP Police FO (Interview alter1fo Juillet 2014) : « Il y a eu une baisse de faits délictuels mais après il faut savoir exactement ce que sont ces faits. Cela me fait un peu rire car, c’est connu, les chiffres sont quelque fois tronqués. Une tentative de cambriolage peut, parfois, devenir une simple dégradation. Les chiffres pour nous ne veulent rien dire, ils sont juste mis à disposition pour la population… »
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Alors, tout ça pour ça ?
Dans un quartier où finalement la première préoccupation n’est pas la sécurité mais bien l’emploi et particulièrement celui des jeunes, il aurait été peut-être de bon ton de voir plutôt que l’ « ex-premier flic de France» débarquer en force dans le quartier, une nouvelle visite du ministre du Travail afin de constater lui-même son action sur le terrain(5)
Eric Berroche nous l’a même affirmé lors d’un entretien fin juin : « le premier vrai problème du quartier n’est pas la sécurité mais le chômage(4) ». D’ailleurs, il l’a très bien compris en multipliant ses permanences directement au pied de certaines tours du quartier, montrant ainsi que l’espace public est ouvert à tout le monde et sûr.
Même constat amer finalement par Christian Goulias, fondateur de l’Association des Copropriétaires du Blosne (ACB).
Christian Goulias (Interview Alter1fo Juillet 2014) : « Mais je ne pense pas qu’une pression policière ou des caméras soient le remède au sentiment d’abandon face à la monté des inégalités, du coût de la vie supérieur aux salaires perçus, du chômage, du prosélytisme religieux, du communautarisme, de la paupérisation, de la dégradation rapide des copropriétés et des problématiques liées à leur rénovation, de la dégradation des liens familiaux ou scolaires, du manque d’instruction professionnelle ou populaire, etc… Bref, de nombreux maux qui ne se résoudront pas avec des effectifs de police !! »
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Véritablement, nous pouvons nous demander s’il n’existe pas un décalage entre le quartier et certains élus. Surtout quand on relit le tweet lancé par Nathalie Appéré le 11 décembre 2013 affirmant que « la ZSP est un choix pour l’avenir» quand d’autres, comme Christian Goulias trouve plus pertinent de valoriser les atouts du quartier et de communiquer au sujet de ces derniers.
Christian Goulias : « Supprimer la classification de ZSP ou en modifier le sigle ne changera rien dans le fond même si le marketing est important. Nous ne sommes pas un quartier comme les autres. Nous sommes un quartier hyper cosmopolite et c’est cette première différence qu’il faut valoriser et sur laquelle il faut communiquer. Peut être pouvons nous proposer la ZAN (Zone aux atouts nombreux) avec l’idée de donner aux quartiers et communes les moyens nécessaires à la réalisation de leurs ambitions plutôt que de les stigmatiser. »
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Merci aux différents intervenants ayant eu la gentillesse de me répondre.
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Post-scriptum : A l’heure où nous publions l’article, nous n’avons malheureusement pas eu le retour du Bureau de communication du préfet à nos questions ci dessous :
1/ Lors de la création de la ZSP du Blosne, il y a eu beaucoup de communication autour des nouveaux moyens futurs déployés suite à cette classification . Or, il s’avère qu’aucun effectif supplémentaire (en terme de création de postes) au sein de la police municipale et la police nationale n’a eu lieu.N-y-a-t-il pas là un décalage ?2/ Début du mois, le procureur de la République annonçait un apaisement du quartier suite au travail du Groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) crée avant la ZSP. Quel est donc l’impact réel de la classification en ZSP du Blosne ?
3/ Que répondez vous aux requêtes de l’USGP-FO principalement sur leur manque d’effectifs, sachant que suite à cette classification en ZSP, certains postes issus du C.N.T ont été dédiés aux patrouilles du quartier ?
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► Relire l’ensemble du dossier sur le Blosne par l’équipe d’alter1fo local
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