La nouvelle est tombée en ce début novembre 2011. Il n’y aura pas de nouvelle édition du festival Périscopages. Les difficultés de l’année dernière l’avait laissé présager mais l’information n’est est pas moins triste. En effet depuis 2001, l’équipe proposait chaque année une vision unique et stimulante de la Bande Dessinée et des Arts Graphiques. En dix ans, expositions, rencontres, tables rondes, conférences et même concerts se sont succédées, avec comme point commun, une volonté de s’écarter des carcans commerciaux des manifestations plus classiques et de mettre en avant les artistes les plus exigeants et les plus aventureux, pour nourrir un questionnement sur ce que sont et seront la Bande Dessinée d’auteur et l’édition indépendante.Nous revenons sur le festival et sur les raisons qui ont poussé l’association à jeter l’éponge avec son président, l’auteur rennais Morvandiau.
Alter1fo : Pour commencer peux-tu nous décrire la dynamique qui a fait que le festival s’est lancé en 2001 ?
Morvandiau : A Rennes, en 1999, deux évènements ont donné un début de visibilité aux initiatives locales, plutôt nombreuses mais encore très confidentielles, en matière d’édition alternative en bande dessinée : le festival du Rouge corne, qui mélangeait bande dessinée et musique indépendantes (à côté et dans le mythique café concert rennais des Tontons flingueurs, peu de temps avant sa fermeture), et l’ouverture de la librairie Alphagraph, rue d’Echange. Ceci a permis à ceux qui ne se connaissaient pas encore de se rencontrer et a provoqué un début d’émulation entre les différents individus et structures de ce petit milieu. En 2000 – je m’occupais alors de la rubrique « bande dessinée » au sein du magazine l’œil électrique. J’ai tenté, en vain car il est très réservé, d’interviewer Willem, dessinateur de presse bien connu des lecteurs de Libération et Charlie Hebdo. Malgré la discrétion débonnaire du personnage, j’étais décidé à le rencontrer et à montrer son œuvre colossale, je suis allé proposer à Larys Frogier, alors tout nouveau directeur du centre municipal d’art contemporain de la Criée, d’organiser une rétrospective de son travail. A ma grande et heureuse surprise, ce dernier a été très rapidement favorable au projet. Les collègues et amis qui avaient initié le Rouge Corne semblaient tout à fait partants pour profiter de cette dynamique afin d’organiser d’autres expositions simultanément à celle-ci.
C’est ainsi qu’a eu lieu la première édition de Périscopages en 2001. Tout de suite, les fondamentaux de la manifestation ont été posés : trois semaines d’expositions dans différents lieux de la ville – aussi bien institutionnels qu’alternatifs – le tout gratuit et rythmé par des évènements, rencontres, spectacles… Et bien sûr avec une identité artistique forte, liée à la nature des organisateurs – eux-mêmes auteurs et éditeurs, et s’appuyant sur la scène locale très vivante mais invitant également des auteurs d’un peu partout.
Le respect de ces principes, tout au long des dix années, a fait de Périscopages un espace aussi atypique qu’enthousiasmant, dont j’ai personnellement des souvenirs assez mémorables : les expos Thomas Ott ou Jochen Gerner, une visite guidée passionnée des planches de Matt Konture, le supermarché Ferraille au Thabor…
Quels sont les moments forts que tu retiens de cette aventure ?
Il y en a eu beaucoup (c’est même le secret principal d’une longévité de 10 ans malgré des conditions matérielles d’organisation toujours très tendues !). Il y a ceux perçus par le public, les exemples que tu donnes sont éloquents; j’y ajouterais volontiers, parmi de très nombreux autres !, le fait, en 2004, de réunir, pour la première fois depuis les années 80, le collectif Bazooka, ou encore le splendide et poignant hommage au créateur sonore Yann Paranthoën, rendu en 2010 par Marc Pichelin (au son) et Emmanuel Guibert (au dessin). Un moment étonnant dont peu de festivals de bande dessinée auraient pu rêver ! Il y aussi bien entendu des facettes réservées à l’organisateur : aller chez un artiste choisir des dessins reste un moment de rencontre souvent très singulier et émouvant, autant que, dans un autre registre, peuvent l’être les nombreuses soirées et fiestas générées par l’événement ! Sans en avoir forcément explicitement conscience dès le départ, Périscopages s’est constitué autour de l’émulation locale mais aussi, par défaut, en rupture avec beaucoup d’autres manifestations dont nous, professionnels ou amateurs de l’équipe, avions régulièrement à subir les nombreux écueils liés aux préjugés intégrés par la plupart d’entre elles : la “bédé” comme animation “sympa” et “grand public”, entrée payante, dédicaces… Bref tous les clichés relatifs à la bande dessinée comme pur produit de divertissement ! Comme public ou comme invité, c’est généralement toujours déplorable. En tant qu’organisateur, l’un des plaisirs de Périscopages demeurera donc le fait d’avoir pu organiser un événement fidèle à l’esprit de l’édition alternative que nous apprécions : exigeant, ouvert à d’autres disciplines et très convivial.
Mais alors quelles sont le raisons qui font que tout ça s’arrête ?
Au-delà du contexte général, associatif, éditorial et public, de plus en plus serré (On vous conseille de lire à ce propos l’éloquent rapport de Recherches et Solidarités), Périscopages a toujours conjugué une ambition artistique forte et des moyens économiques complètement dérisoires : 38 000 euros de budget, notre record !, dédiés aux 10 ans des rencontres en 2011, c’est-à-dire, concrètement, pour organiser 8 expositions pendant 3 semaines, les 24h de la bande dessinée et 5 jours d’Assises internationales aux Champs libres… on se marre doucement quand on voit par exemple le coût de 500 000 euros de deux jours de forum Libé ! Le manque de moyens étant proportionnel à la fatigue des bénévoles moteurs du projet, nous avons préféré arrêter avec un bilan qui, globalement et jusqu’à maintenant, nous satisfait. Outre le contexte évoqué plus haut et hors notre propre insuffisance à nous organiser de façon plus efficace (qui là aussi s’est tout de même heurtée assez rapidement aux limites du bénévolat), il me semble que deux raisons principales expliquent ce manque de moyens.
D’abord notre ligne artistique et politique atypique, en tant que manifestation consacrée à la bande dessinée, a toujours nécessité un double effort d’explication vis-à-vis de nos soutiens potentiels : “oui, Périscopages s’intéresse à la bande dessinée mais nous ne nous adressons pas seulement aux enfants ou aux adolescents désœuvrés, la gratuité est constitutive de notre projet et l’exigence artistique que nous prônons ne nous paraît pas incompatible, au contraire, avec le fait de travailler en croisant les milieux alternatifs et institutionnels et en formulant des propositions à un public plus large que les seuls lecteurs de fanzines.” Pour des raisons culturelles et historiques, le niveau de culture général vis-à-vis de la bande dessinée, comme le niveau de développement de sa critique, de sa théorie et de sa formation, est probablement l’un des plus faibles, tous domaines artistiques confondus. Pour l’anecdote, la phrase que j’ai quasi-systématiquement entendue dans la bouche de tous les différents adjoints et conseillers au livre (et pour les plus bienveillants d’entre eux), c’est : “Je vous préviens tout de suite, je n’y connais rien en bande dessinée.” Bref, cet effort de pédagogie s’ajoutait au simple fait de devoir être convaincants, comme pour n’importe quel projet qu’on défend.
La deuxième raison me paraît être directement, et à quelques exceptions individuelles près, le non-positionnement des politiques locaux, et l’absence de politique culturelle municipale en particulier, vis-à-vis d’un projet ayant pourtant un ancrage local fort. En plus de l’impressionnante tendance générale à remplacer la culture par la communication en se gargarisant de démocratie participative, pas de réponse claire, un soutien pas inexistant mais juste minimal, une forme de ni oui ni non (probablement renforcée de façon perverse par le fait de nous voir continuer à faire tant choses avec si peu d’argent!)… D’où le sentiment paradoxal d’être sollicités ailleurs en France, en Italie, en Afrique du sud, en Belgique ou au Québec mais de ramer pour récupérer ici quelques milliers d’euros supplémentaires. On souhaite bien sûr que des projets plus récents que nous avons pu observer, ou d’autres à venir, puissent se développer et persévérer mais, pour ce qui concerne Périscopages, voilà pourquoi la page se tourne.
Sommes nous donc désormais condamnés aux éternelles foires à la dédicace ou peux-tu nous en dire plus sur ce que qui se met en place actuellement ou d’éventuels nouveaux projets ?
Un des points positifs de notre bilan, c’est aussi de constater l’influence, directe ou indirecte, que Périscopages a pu avoir en mettant des professionnels ou des amateurs en relation ou en leur faisant découvrir des artistes et des manières de faire. Sur 10 ans, beaucoup d’étudiants ont par exemple suivi leur cursus en identifiant Périscopages comme une manifestation ayant sa place naturelle dans le paysage rennais. Pas mal d’initiatives relativement récentes, étrangères à l’équipe de Périscopages, ont donc cependant des connections de fond avec ce que nous avons pu défendre. Pour en citer quelques unes : la collective , le dessin observé, l’atelier barbe à papier, Brigitte Industrie ou l’Imprimerie (atelier et boutique situé 150 rue Saint-Hélier à Rennes)… Il est par ailleurs probable qu’un projet autour du travail d’échanges et de résidences internationales revoit le jour à moyens termes sous une autre forme. J’ai, pour ma part, débuté la prise en charge d’un atelier bande dessinée avec des étudiants en arts plastiques au sein de l’Université Rennes 2. Enfin, malgré la dissolution de la structure, signalons que les nombreuses archives sonores des dernières années de Périscopages vont rester disponibles sur le site internet.
Merci pour l’interview et pour les 10 ans de festival. On espère vous retrouvez prochainement sur de nouvelles aventures.