Le 23 mai la facétieuse équipe d’Electroni[k] a dévoilé l’identité visuelle de la nouvelle édition du festival Maintenant, réalisée par le studio graphique nantais composé des directeurs artistiques, illustrateurs et designers graphiques Julien Brisson et Blow by blow, Plasticbionic. Quand on y a découvert les rondes créatures aux visages aussi paisibles qu’intrigants et l’univers doux rêveur que la petite troupe dessinait en mines réjouies rehaussées d’ombres subtiles, on a de nouveau senti nos échines frissonner d’impatience à l’attente de cette dix-huitième édition qui aura lieu du 5 au 14 octobre prochain.
Un peu tôt pour s’en émouvoir puisque ce n’est pas maintenant Maintenant ? Que nenni : les créatures oniriques de Plasticbionic nous le laissent présager : le festival devrait cette année encore nous promettre moult culbutes dans les airs tout en nous ouvrant les mondes des réalités augmentées. Désormais les premiers noms de la programmation sont dévoilés. On a d’ores et déjà nos coups de cœur, mais on aime également se laisser surprendre par les découvertes. On vous propose donc une poignée de focus sur quelques artistes de la programmation, histoire de vous donner l’eau à la bouche autant qu’à nous. Cette semaine, donc, cap sur un trio d’expériences captivantes, allant d’un orchestre de tuyaux sonores sur le marché des Lices à une pianiste sensible au Musée des Beaux Arts en passant par deux siphonnés qui nous font entendre les battements de cœur des saxophones.
Maintenant, c’est quoi ?
L’association Electroni[k] propose différentes manifestations à Rennes, notamment pendant le temps fort Cultures Electroni[k], renommé Maintenant depuis 2013 (à ce propos, lire ici) , autour des arts, de la musique et des technologies au travers de spectacles ou installations variés et souvent atypiques, mais toujours d’une réelle qualité artistique. Cette année Maintenant aura lieu du 5 au 14 octobre 2018.
Au fil des années, l’association Electroni[k] a ainsi complètement réussi à nous alpaguer avec ces propositions éclectiques, souvent décalées, à l’incongruité jouissive. A cause de cette bourricote d’équipe, on a dormi dans un dojo plein d’inconnus et écouté un concert en pyjama, on a entendu des légumes faire de la musique (mais on n’a pas mangé la soupe, faut pas exagérer!), on s’est caillé les miches dans la piscine St Georges pour une diffusion subaquatique qui nous a fait frissonner au sens propre et figuré, on a écouté un quatuor à vents en forme de cornes de brume. On a aussi regardé une tapisserie devenir vivante, fait des bulles en forme de montgolfières, et même allumé un nuage sur la place Hoche : bref, on a fait un paquet de trucs qu’on n’aurait jamais imaginé vivre.
En plus des offres plus classiques, Electroni[k] s’attache ainsi à constamment expérimenter de nouvelles formes d’accueil et d’interaction avec le public : des lieux apparemment incongrus (une piscine, un dojo, une maison de retraite…), des formats étonnants (des concerts sous l’eau, des installations qui s’écoutent sur des lits suspendus, des performances qui se découvrent au cœur de dispositifs sonores englobants ou de visuels hallucinants, des concerts au casque…). Et surtout, une volonté de s’adresser à tous les publics. Alors oui, chaque année, on attend octobre comme Noël avant l’heure, persuadés que l’équipe d’Electroni[k] aura caché mille surprises dans sa programmation.
Expériences, le concept
Dans la foisonnante programmation du festival Maintenant vient se nicher chaque année une toujours passionnante série de propositions particulièrement singulières. La série Expérience consacrée à la découverte de formes expérimentales aussi inattendues qu’inouïes nous emmène dans de délicieuses explorations de territoires sonores atypiques, parfois déconcertants, mais toujours excitants pour les oreilles et le cerveau. Particulièrement friand des étonnants dialogues qui se nouent entre un lieu bien souvent atypique (ici le musée des Beaux Arts, le marché des Lices ou les biens nommés Ateliers du Vent) et la performance musicale qui s’y donne à entendre, on coche chaque année le programme des Expériences d’une croix rouge pour n’en manquer aucune. Focus cette semaine sur trois d’entre elles qu’on attend déjà avec une impatience frémissante.
Andreas Trobollowitsch et les instruments inattendus
On est d’abord très heureux de retrouver l’artiste autrichien Andreas Trobollowitsch qui nous avait scotché avec son orgue à ventilateurs l’an dernier (au Bon accueil et dans l’atelier mécanique de l’EESAB de Rennes) lors de la dernière édition du festival. Sa prestation avait le goût d’y revenir et quand on connaît la pléthore de projets du bonhomme (parfois gentiment siphonnés), on danse la bachata de plaisir de l’y retrouver cette année.
Le doux bonhomme concentre principalement son travail sur des compositions conceptuelles, des installations sonores et la création d’instruments de musique artisanaux… et inattendus ! Le garçon peut ainsi aussi bien écrire une partition pour trois musiciens-bûcherons armés de haches de différentes tailles qui l’exécutent face à des bûches de diverses longueurs et duretés (Hecker – le résultat est bluffant), qu’une pièce pour plante verte tournant sur une platine vinyle entre deux haut-parleurs, le son de sa rotation (notamment lorsque les feuilles viennent buter sur le micro) étant capté et diffusé par les enceintes. Sans compter cet immense hangar dans lequel il a suspendu des guitares classiques se balançant dans les airs au gré des interactions avec les performeurs, qui les désaccordent, les frottent avec un archet, les frappent légèrement avec une baguette ou les relancent dans les airs (Flamenco).
S’il s’est d’abord défini comme un artiste sonore, Andreas Trobollowitsch a toujours intégré une dimension visuelle à ses performances, jusqu’à reconnaître désormais l’importance de cet aspect dans son travail. De la même manière qu’il a commencé à jouer de guitares arrangées (« lorsque j’ai commencé à jouer mon premier instrument de musique (guitare), je l’ai modifié en mettant des objets entre des cordes. Peut-être parce qu’apprendre à jouer de manière conventionnelle m’aurait pris trop de temps. J’ai immédiatement voulu un son qui me satisfasse »), modifiant les instruments existants pour en faire de nouveaux objets sonores, il utilise les objets du quotidien et les détourne pour en faire des instruments de musique inattendus, mais aussi des instruments à pleinement regarder, tels ses ventilateurs dont les hélices sont remplacés par des crins d’archet (ce qu’on a pu voir l’an dernier avec Ventorgano).
Si certaines de ces pièces fonctionnent seules, telle la chaise de Viravolta qui semble quasi poétiquement animée par cette visseuse retorse (une fin alternative existe : la chaise, vicieuse, finit par tomber), d’autres demandent la présence d’un performeur, d’un musicien qui agit également sur l’instrument au moment où on l’entend. Ce sera le cas pour Maintenant puisque ce ne sont pas moins de 20 performeurs qui se muniront d’immenses tubes creux reliés à des mélodicas et des ballons de baudruches pour exécuter l’aérienne et suspendue Santa Melodica Orchestra.
En jouant, chacun des musiciens fait ainsi balancer son instrument dans les airs à une vitesse donnée. Le son produit par les vingt mélodicas « arrangés » crée alors un drone éthéré, toujours mouvant, particulièrement prenant pour le spectateur, d’autant que le lent ballet des instruments et leurs musiciens possède un même pouvoir hypnotique, un peu comme si la troupe de performeurs et les instruments devenaient ensemble un être propre, unique, organique. Maintenant, imaginez ça au Marché des Lices, le samedi 6 octobre à midi, au milieu d’une foule de Rennais stupéfaits et vous comprendrez qu’on s’y précipite. En espérant également vous y retrouver.
Plus d’1fos sur l’Expérience 1
Jason Sharp & Adam Basanta
Si vous êtes raide dingue comme nous de Colin Stetson, on vous conseille fortement d’aller faire un saut aux (bien nommés pour l’occasion) Ateliers du Vent le jeudi 11 octobre à 20h tant la performance du Canadien Jason Sharp accompagné de son complice Adam Basanta devrait vous prendre aux tripes.
Avec son saxophone baryton ou basse énorme comme seul dégommateur apocalyptique de tympans, Jason Sharp produit des sons profonds et telluriques qui raclent profond dans les poumons et l’abdomen. Utilisant la technique bien connue des jazzmen ou musiciens contemporains du souffle continu (technique respiratoire permettant d’expirer de l’air et donc de jouer d’un instrument de façon ininterrompue et prolongée), Jason Sharp, tout comme son compagnon de label Colin Stetson donc, est de ceux qui façonnent le(ur) son pour un résultat riche et stupéfiant. En parallèle de sa formation jazz à Amsterdam, le musicien a découvert la musique électronique expérimentale d’abord comme une expérience physique. Les sons devenant une immense masse sonore qu’on traverse physiquement, les résonance de certaines fréquences dans le corps donnant quasi la possibilité de s’y plonger, de s’y engager. Il a ainsi intimement mêlé les deux univers.
Membre actif de la scène expérimentale montréalaise, notamment en tant que saxophoniste collaborant avec une grande variété d’ensembles jazz et de groupes issus de l’écurie Constellation (Sam Shalabi, Matana Roberts, Thee Silver Mt Zion, Land of Kush…), Jason Sharp a logiquement sorti un premier album solo sur le label montréalais, A Boat upon its blood en 2016, avant de collaborer avec le designer sonore et expérimentateur Adam Basanta pour son second long format paru cette année Stand above the Streams. Continuant d’explorer les relations entre corps et machines, Jason Sharp y enregistre les battements de son cœur tandis qu’il joue, grâce à un moniteur cardiaque, Adam Basanta se chargeant alors de travailler la matière sonore obtenue (reposant donc tout autant sur les résonances du saxophone, les battements de cœur, le souffle des respirations) en temps réel. Le souffle et les battements cardiaques du musicien permettant à l’artiste de déclencher de nouvelles sonorités inouïes. Les rythmiques de l’album sont donc ainsi entièrement générés à partir de la respiration et du rythme cardiaque de Jason Sharp. A la fois étranges et puissants mais d’une accessibilité et d’une immédiateté étonnantes, les morceaux incorporent tout ensemble musique éléctro-acoustique, micro-tonale, drone, noise, jazz mais surtout parlent d’abord aux corps. Un moment impressionnant en perspective.
Plus d’1fos sur l’Expérience 5
Emilie Levienaise-Farrouch
On doit l’avouer, on était complètement passé à côté du premier album de la pianiste et compositrice Emilie Levienaise-Farrouch. Maintenant nous permet de réparer cette (lourde !) erreur en invitant la musicienne pour une performance dans le cadre magique du Musée des Beaux Arts le samedi 13 octobre à 19h30. Et autant dire qu’on s’en réjouit tant on a été épaté par ce qu’on a découvert.
La Bordelaise, pianiste de formation donc, est loin de se cantonner à son instrument de prédilection, mais aime à interroger les frontières, les tensions, entre organique et électronique, sons intimes et espaces sonores immenses, contraction et expansion, force et fragilité. Mêlant tout ensemble parties solo au piano, dont la virtuosité repose bien davantage sur l’expression que sur l’acrobatie technique, au fort lyrisme, instruments acoustiques (cordes, vents, bois…), fields recordings et textures électroniques ambient, Emilie Levienaise-Farrouch crée une œuvre qui peut tout autant combler le fan de Rachel’s, d’Hildur Guðnadóttir et de Julia Kent, que ceux d’Oliver Coates, Mira Calix (ces quatre derniers ayant d’ailleurs joué dans les différentes éditions précédentes du festival), de Richard Skelton, ou de sa compagne de label Resina… Et on en passe.
Si la musique de l’artiste, également designer sonore, compositrice pour des bandes originales de films, des installations vidéos, est avant tout essentiellement lyrique et mélodique (à la manière de l’indispensable Michael Nyman), Emilie Levienaise-Farrouch bouscule le modern classical actuel, en sortant aussi du joli, en y insufflant des parts d’ombres, un grain qui gratte et frotte l’oreille (on pense aux vents hantés de The Only Water, aux profondes ténèbres Ultramarine ou aux notes légèrement dissonantes de Fracture Points qui viennent par moments râper le conduit auditif). Ou bouscule les compositions classiques en leur intégrant textures électroniques, fields recordings patiemment collectés puis passés à la moulinette d’effets, allant même jusqu’à sampler les notes du piano acoustique pour les éditer et les triturer et ensuite les rejouer comme d’un instrument virtuel.
Avec son premier album à l’impressionnant artwork, Like Water Through Sand (novembre 2015), sorti sur 130701 sub-division néo-classique du label Fatcat, la Londonienne d’adoption s’est inspirée de Marguerite Duras qui a ré-écrit L’Amant à un autre moment de sa vie, voulant ainsi faire référence à l’évolution et à la construction des souvenirs, ou plutôt la reconstruction continuelle de ceux-ci au cours d’une vie. Ses morceaux intègrent ainsi des motifs qui reviennent à plusieurs reprises, mais sont traités différemment tout au long de l’album, un peu comme ces souvenirs que l’on repense selon une autre perspective à différents moments de sa vie. Mais la musicienne ne conçoit pas sa musique comme une narration, comme une succession d’événements narratifs, mais plutôt comme un flux passant d’une émotion à l’autre.
Pour son second album, Époques, sorti le 13 juillet dernier, profitant de quinze jours de résidence à Aldeburgh, dans le Suffolk, dans la maison d’Imogen Holst (fille de l’assistant du compositeur Benjamin Britten, Gustave Holst), Emilie Levienaise-Farrouch a effectué moults fields recordings dans la campagne anglaise, a enregistré le son de piano, se servant essentiellement de sons nés de sources acoustiques pour créer son nouvel album (si l’on excepte l’utilisation d’un synthétiseur MicroKorg), mais en continuant de les éditer, en mêlant encore plus étroitement pulsations organiques et traitements électroniques. La musicienne a également profité de sa collaboration avec le London Contemporary Orchestra (pour qui elle composait un ensemble mêlant cordes et pièce électronique) pour inviter l’altiste Rob Ames et le violoncelliste Brian O’Kane, tous deux solistes du London Contemporary Orchestra, à jouer sur l’album. Et avec quelle réussite. Souhaitant également utiliser le piano, tout autant comme instrument percussif que mélodique, jouant pareillement sur sa force et sa subtile délicatesse, Emilie Levienaise-Farrouch parvient au final à créer une œuvre aussi dense qu’émouvante. Et nul doute que la performance de la musicienne dans l’écrin du Musée des Beaux Arts pourrait bien être l’un des moments suspendus du festivals.
Plus d’1fos sur l’Expérience 9
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En 2018, Maintenant aura lieu du 5 au 14 octobre à Rennes.