Il y a des résumés de quatrième de couverture qui devraient s’effacer… ou qui prennent le parti (utile ?) de passer à côté… pour que le lecteur profite mieux de sa découverte ?
Un roman, qui s’appuie sur une réelle catastrophe naturelle qui secoue et ravage une île, raconte comment la vie bouscule et transforme soudain une « tifi » de 10 ans. Comment le temps s’y prend quand même, pour que d’un coup ne soit pas tout à fait immédiat.
« 12 janvier 2010, 16h53« , Port-aux-Princes : parce qu’elle est malade, seule chez elle, sous un pauvre toit de tôle, parce que son maître d’école a pensé à elle, Starling survivra au séisme. Orpheline « probablement », car on ne retrouve pas le corps de sa mère… et cette incertitude résonne longtemps dans le coeur de la fillette qui mettra des espoirs un peu fous dans le « monstre » d’éboulis qu’est devenu l’hôpital où travaillait sa maman. M. Neptune, le maître, respecte comme il peut ces espoirs et accompagne un temps Starling vers sa nouvelle vie. On escalade avec elle les débris pour aller symboliquement enterrer son enfance qui n’est pourtant pas tout à fait finie.
Dans la deuxième partie du roman débarque une marraine française, par lettres interposées. Starling n’a pas envie de les recevoir, et y répond seulement pour elle, jetant discrètement ses écrits et ses dessins avant qu’ils ne soient envoyés. Lucie, la marraine, persiste tranquillement, sans insistance, et continue à écrire ses images d’un autre monde : la neige, son travail à Lyon, les hirondelles au printemps, Taizé, les fleurs d’églantier. Mais Starling a d’autres choses à vivre, en priant souvent Jésus son « ti fyansé » : l’orphelinat à apprivoiser, des amitiés à construire, un corps qui change, être dehors, les mains dans la terre, faire des semis et surveiller la pousse… reverdir un coin de l’île… grandir et mûrir elle-même en même temps que ses plantules fragiles déploient leurs feuilles toutes neuves.
Et puis un jour, Starling se fera d’elle-même plus légère et acceptera les mains tendues et les bras ouverts tels qu’ils sont, qui ne veulent pas la changer.
Un épilogue daté de 2020 montre que la confiance et la vie étaient déjà très bien ancrées dans cette triste et forte « tifi en Haïti » et qu’elles s’y épanouissent encore.
Valérie Lacroix, par ailleurs enseignante en science de la vie et de la terre, prend tour à tour les voix de Starling et Lucie pour nous emporter dans cette vue recentrée de la vie d’une petite fille en Haïti après le séisme. Elle déploie son écriture et installe ses personnages avec les lettres, les pensées intimes et récit de la fillette, un peu de créole local… Une petite claque virtuelle au lectorat occidental adulte, qui, face aux images télévisées, aura peut-être donné sa part de façon assez détachée, remplir un chèque, timbrer une enveloppe. Quant au vrai jeune lecteur à qui le roman s’adresse et qu’on imagine avoir le même âge ou un peu plus que Starling, gageons qu’il s’attachera sans condescendance aucune à la narratrice, et souhaitons qu’il note l’authenticité du vécu des enfants du roman et en tire la certitude qu’il faut croire en ceux à qui on destine son aide et leur laisser le temps, et le droit de refuser, puis peut-être d’accepter. Peut-être.
Enfin n’oublions pas Chamo qui a un drôle de chouette nom et un drôle de chouette style pour imager légèrement (la couverture seule, si l’on en veut plus il faut aller voir ailleurs aussi) ce roman coloré de vif dedans et dehors.
Tifi en Haïti, Valérie Lacroix, Chamo, éditions Thierry Magnier, 2011, 8€.
Petite note personnelle : lisez jusqu’au bout, jusqu’à la page qui indique où les livres de ces éditions-là sont imprimés… il y a toujours un petit clin d’oeil à ce qu’on vient d’y lire.