Est-ce que nous avons les yeux (les oreilles ? et le coeur ?) assez ouverts pour voir autour de nous comme un enfant ?… Trouvez un public restreint (unique ?) qui ait 7 ou 9 ans, et accompagnez-le, sans le presser, jusque dans Le pays de Papa. Probable que très tôt c’est lui qui vous prendra par la main.
Michel Cordeboeuf prête ses mots à un petit garçon plein de questions dont le papa est emprisonné pour plusieurs mois. Du haut de ses 5 ou 6 fois 12 mois de vie à lui, c’est immense et il dit le vide évident à la maison, les larmes de maman, les gardiens uniformes, son père qui s’intimide, l’avocat aux grands bras et la voisine qui veut tout savoir sans expliquer rien. Et expliquer, serait-ce seulement suffisant ?
L’impression qui se dégage de ce texte est doucement embarrassante. On sent un excès d’images, d’imaginaire, encouragé, couvrir le grand silence adulte. Dans les mots choisis, il y a du trop, du pas assez… certes, cela sert le déséquilibre évoqué, mais on y perd un peu la spontanéité apparemment recherchée dans la narration par l’enfant. Maladresse ? excès de zèle ? ou l’exacte représentation de ce qui bascule du juste à l’erreur et inversement quand ça se passe dans la vraie vie et qu’on ne sait que dire ?
On s’attache sans s’enchanter, on s’agite sur son siège mais on reste. Pourquoi ? Pourquoi pas la vérité dite ? Comment rendre cette réalité palpable et moins insupportable ?
A l’instar des repères bancals que l’enfant de l’histoire glane au fil des jours, Mélanie Busnel parsème les pages du livre de morceaux d’inquiétude, de rêve, d’amour et de tristesse aux tons passés : porte fermée, visages prudents, clef géante et ciel de papier… L’attente est longue et sans éclat. Et rien d’extraordinaire quand revient papa. Juste la vie toute simple qui reprend ses droits.
Le pays de Papa, Michel Cordeboeuf et Mélanie Busnel, éditions Pour penser à l’endroit
Le droit de rêver, tiens ! Et d’avoir sérieusement des envies bien à soi, même si les autres autour ne les comprennent pas. C’est ce que nous dit Sytou avec sa Jeanne, 9 ans, qui voudrait bien être une vieille dame.
Mettez trois (quatre ?) générations dans un album, agitez bien, tournez les pages, le beau rôle est à chaque bout des âges, mais on apprend que le bonheur n’attend pas de tricoter sur un banc, au milieu des oiseaux, des vieilles amies et des petits enfants… Le bonheur se fabrique à chaque instant jusqu’à ce que déjà… déjà… On apprécie !
Et Marianne Pasquet de nous montrer du bout de ses crayons qu’il y a plus de bienveillante douceur dans un visage tout ridé que dans l’étonnement presque fâché des figures parentales.
Un petit livre moelleux comme une bonne petite laine et assez vif pour nous remettre à penser à l’endroit, en continuant à dire « pourquoi pas ? »
Et tu riras..., Sytou et Marianne Pasquet, éditions Pour penser à l’endroit
Précisons que les éditions Pour penser à l’endroit impriment par choix écologiques cohérents des albums souples, sur papier labellisé, avec des encres à base végétale et à moins de 200 kilomètres de leur maison située à Cholet. La première fois, ce fut Juste une rencontre… mais pas n’importe laquelle… pour en savoir plus et encore plus, laissons-leur la (bonne) parole ici et là !
Menu de fête pour terminer ce mois-ci : Amour, patates et rock’n’roll !
Julia a 14 ans et, comme chacun à 14 ans (pas vous ?), elle est pleine d’incertitudes et de contradictions. C’est elle qui raconte avec une langue – écrite mais pas que – bien pendue comment elle va s’emmêler dans une histoire de cousin anglais auteur-compositeur-interprète célèbre (mais pas ici) pour continuer à cacher au regard présumé impitoyable de ses co-llégiens une réalité familiale qu’elle n’assume pas à l’extérieur.
Bien qu’elle aime très fort ce jumeau dizygote vraiment différent, elle n’a pas envie d’expliquer pourquoi il répond trois jours après la question, pourquoi il récite par coeur les horaires de train et pourquoi il regarde toujours ailleurs quand on lui parle. Il n’y a certes qu’un seul parce que. Mais il est loin d’être facile, tout en tenant dans un mot : autisme. Premier beau secret de ce livre, aborder simplement ce que peut être la vie de famille autour ou plutôt au côté de ce handicap mental.
Si l’on a un peu de mal à avaler quelques lourdeurs narratives et un vocabulaire parfois curieusement servi (à moins qu’on aime particulièrement le mix nutella-chips), le tout est au final suffisamment digeste, grâce à la fraîcheur des commentaires et l’évident réalisme de ce vécu adolescent, pour qu’on l’apprécie jusqu’au dessert en forme de happy end ouvert.
Céline Lavignette-Ammoun met ses pas dans ceux de Julia et nous plonge dans le quotidien du collège et du conformisme ambiant. Il faut bien avouer le soulagement qu’on a de le quitter un peu pour apprendre à connaître Julien le frangin, Yvan l’étonnant et la bienveillante grand-mère, (encore) une vieille dame qui connaît le chemin vers « l’antichambre du coeur » où les émotions s’amassent en secret.
On voudrait en venir plus vite à l’explosion, à la plus simple appréhension de la vie et du monde, à l’expression de soi et l’écoute des autres. Mais peut-être que c’est là que réside le deuxième beau secret de ce roman légèrement écoeurant et tendre comme un lait-grenadine, dans cette course impatiente qui dure nécessairement plusieurs années, où l’on a la chance et le temps de voir les choses en plus grand que les grands quand on accepte les différences.
Enfin, on aimerait lire aussi un pendant moins évident mais encore plus fort qui pourrait s’intituler « 33 tours, les trains s’en vont » et donnerait cette fois « une » parole à cet « autre monde », ce frère dont le handicap mental bouscule depuis la petite enfance la vie de sa jumelle. Après tout, ça ne l’empêche pas d’avoir 14 ans lui aussi et une forme de (sur)prise sur/par le monde…
Amour, patates et rock’n’roll, Céline Lavignette-Ammoun, éditions Grandir d’un monde à l’autre
N’oublions pas, pour conclure, de créditer Mademoiselle Caroline l’illustratrice de la couverture, et de vous proposer un petit voyage qui fait Grandir d’un monde à l’autre, allez, c’est tout près, c’est à Rezé et ça s’imprime pas beaucoup plus loin !
Tiens! J’étais en classe avec l’auteur du dernier livre…
Bonjour bonjour je suis illustratrice du livre « Et tu riras » merci a vous pour votre joli article !!!