Quelle aïeule moderne et inspirée a chuchoté, lors des veillées de son enfance, à l’oreille de Gaël Aymon ? A-t-il une soeur aînée ou deux qui l’aurai(en)t copieusement enrubanné tout en débroussaillant admirablement le chemin avant lui ? Comment a-t-on (a-t-il) permis à sa sensibilité de s’exprimer libre d’a priori ?
Si l’on peut apprendre quelques petites choses sur son parcours particulier en lisant son blog, on peut aussi simplement imaginer, ou même juste se laisser emporter par ses Contes d’un autre genre, fort joliment reliés en Italie et séparés par des pages de motifs en pagaille symétrique et monochrome.
Talents Hauts a le chic pour éditer des textes extraordinaires (au sens propre d’abord)… des livres qui secouent la boule à neige et permettent aux filles et aux garçons de choisir leur place en fonction de ce qu’ils sont et ressentent, et non en fonction de ce que l’on attend d’eux. Et si c’est Maman qui change la roue, monte les meubles et parvient à nettoyer la pompe encrassée du lave-linge tout en bavant devant les dernières folies textiles de Jean-Paul Gaultier, que c’est Papa qui fait la vaisselle, plie le linge et pratique l’heureux métier de maîtresse d’école tout en suivant le foot à la télé, leurs enfants ont des chances d’en apprécier la lecture. Quant aux autres, il est grand temps qu’ils s’y mettent et partagent ce regard plus ouvert avec leurs parents, voisins et gentils pourvoyeurs de livres roses à paillettes ou bleus à roulettes.
Mais ne nous égarons pas et retournons dans l’inextricable forêt de ronces qui a poussé autour du château de la Belle Eveillée, heureusement pourvue de qualités d’adaptation à un environnement hostile par ses bonnes fées. Et c’est le précis François Bourgeon qui, pour sa première fois en jeunesse, donne un visage décidé à cette princesse d’une façon qui ne peut qu’attirer dès la première de couverture. On aimera autant se perdre dans les détails des illustrations (les visages des conseillers du roi valent le détour) que relire le conte qui a tout d’un vrai, une vivifiante modernité en plus !
Après le premier, si bon, on peut se demander si le goût sera aussi puissant et délicieux dans les deux contes suivants… La surprise est plus qu’heureuse ! Rouge Crinière la Sanguinaire fait des ravages dans les contrées qui entourent son château mystérieux, mais offre l’hospitalité à un soldat blessé… Elle lui autorise tout sauf la visite de la chapelle, qui va forcément terriblement attirer le jeune homme. Jusqu’à sa perte ? Sylvie Serprix nous tient la main pendant qu’on frémit. Ses images originales assemblent peinture dont on voit les coups de pinceau doux et vifs et graphismes blancs très délicats pour des tableaux qui parlent d’eux-mêmes. Si son soldat n’est pas un prince, il est quand même vraiment charmant ! Ce n’est pourtant pas cette arme-là qu’il brandira en dernier espoir…
Perce-Neige et les trois ogresses est peut-être le meilleur pour la fin. Cette réinvention du conte au masculin est particulièrement réussie, nous ravissant de l’histoire d’un prince qui fait le désespoir de son père mais qui assume sa singularité jusque dans le repaire des ogresses. Et si Peggy Nille semble lui donner un univers plus proche de ce dont on a l’habitude en illustration jeunesse, les couleurs chatoyantes et les détails humoristiques parsemés accompagnent avec goût une histoire qui se termine tout de même avec « ils vécurent heureux » sans pour autant être classique.
Gaël Aymon a respecté les codes du genre, ainsi que les « originaux » qui ne se retourneront pas dans la bouche des diseurs des temps passés (qui eux sans doute apprécieraient grandement l’évolution des choses). A-t-il choisi de ne pas pousser plus loin cet « autre genre » ? de garder un sort terrible aux vrais méchants ? de ne pas varier les images de couples ? de rester dans le monde rêvé et souvent royal des contes de fées ? Est-ce souhaitable et/ou peut-on s’y attendre plus tard ?… En effet, qu’on referme ce livre sans en espérer un second tome serait étonnant…
D’ailleurs, Gaël Aymon et Talents Hauts ont déjà répondu à la demande, même si nous devrons piaffer jusqu’au 4 octobre pour la sortie des Souliers Écarlates illustrés par Nancy Ribard. Mais, dans ce volume-là, il n’y aura qu’un seul conte ?!
Encore une histoire, monsieur Aymon, s’il vous plaît, encore une histoire !…
Contes d’un autre genre, Gaël Aymon, François Bourgeon, Sylvie Serprix, Peggy Nille, Talents Hauts, 2011, 15€.
(à paraître le 4 octobre : Les souliers écarlates, Gaël Aymon et Nancy Ribard, Talents Hauts, 13€80)