Article signé Annop
La revue Théodore Balmoral , revue de littérature française contemporaine (j’entends déjà des soupirs) m’était inconnue jusqu’à la découverte sur le net d’une interview de Denis Grozdanovitch. Il la cite et déclare début 2011 :
«L’excellente revue littéraire (à mon sens la meilleure du domaine français) Théodore Balmoral – dirigée et mise en œuvre par Thierry Bouchard – me propose de répondre au questionnaire suivant afin d’indiquer à toutes fins utiles – sait-on jamais ? – mon état d’âme face à cette nouvelle année commençante : »
Les questions sont :
Quel est votre état d’esprit face à notre époque ?
Quels sont vos préoccupations quotidiennes ?
Que tenez-vous à distance ?
De quoi cherchez-vous à vous approcher ?
Que redoutez-vous ?
Qu’est-ce qui vous est insupportable ?
Qu’y a-t-il lieu d’espérer ?
Dans quelle mesure la littérature contribue-t-elle à vos yeux encore à quelque chose ?
De quels écrivains vous sentez-vous le contemporain ?
Dans quelle mesure vous paraît-il encore intéressant de publier en revue ?
Pour les réponses exactes, on peut se référer à la page de la critique littéraire qui héberge cette interview.
Mais j’engage le lecteur aventureux à s’adonner au désordre de L’exactitude des songes. Répondre pour soi-même et pour Denis Grozdanovitch permet d’entrer dans son œuvre. C’est un écrivain inclassable. Champion junior de tennis, champion de France de squash, champion de France de paume, son entrée en littérature est un accident et une évidence. Décalé et moderne, nostalgique sans être réactionnaire, actif et contemplatif, simple et complexe.
J’ai des souvenirs pêle-mêle de la lecture de ses deux premiers ouvrages constitués de ses carnets de notes. Des souvenirs faits d’émotions fortes (le portrait de sa grand-mère dans Le petit traité de désinvolture), d’admiration de la langue et de l’érudition de l’auteur (la description d’un chat de Rêveurs et nageurs). On se promène dans les carnets et les souvenirs de Denis Grozdanovitch en écho aux nôtres.
L’exactitude des songes est une promenade dans les photographies de l’auteur et dans ses rêveries. Il y est question de sa femme Judith, de sa fille au dos évocateur, de sa grand-mère Madeleine, de forêts, de chemins, de boutiques fermées, de son père, de jardins abandonnés, de ses vacances en Tasmanie, du Paris des artisans. Et de beaucoup d’indicible. Une image après la pluie, du moment présent, de la Grèce antique, de l’instant fugace, de l’attente des amis, de l’enfant qui a laissé son vélo au regard du photographe.
Le délicat travail de l’éditeur consiste à offrir à ces paysages un format du même nom, à la photographie le plaisir d’une lecture sous forme d’errance, d’associations d’idées, de flâneries. 52 textes que le lecteur découvre dans l’ordre du livre, dans le désordre, une fois ou plusieurs.
L‘exactitude des songes
Denis Grozadnovitch
Le Rouergue
coll. L’écrivain photographe
janvier 2012.
Comment se fait-il que je n’ai pas croisé plus tôt les routes empruntées par les jantes de la voiture de Thomas McGuane ? Pire, en cette rentrée littéraire de janvier – sport national que de trouver des saisons pour la littérature – les critiques traditionnels (Lire, Le Monde des livres, France Culture…) ont emprunté les mêmes routes. Je ne sais pas si c’est bon signe, mais la critique est unanime. Il est bon, il est très bon ce McGuane.
Elevé dans divers états d’Amérique, sa route croise à l’université du Michigan, un certain Jim Harrison. Comme lui, Thomas McGuane façonne livre après livre de véritables légendes des grands espaces américains comme d’autres ont forgé des légendes urbaines. Le Montana, état frontalier du grand Canada voisin, est un autre lieu de rencontre des deux hommes. Le Montana a fait « école ». Etat littéraire s’il en est. Le Montana compte la plus grande proportion d’écrivains par habitant, à tel point que le “New York Times” l’a baptisé le “nouveau Montparnasse”. De Raymond Carver ou du génial et inclassable Richard Brautigan dans les années 60 aux chantres contemporains des grands espaces Rick Bass, James Welch ou Sherman Alexis, la liste est longue des écrivains qui sont (ou sont passés) dans le Montana.
On trouve dans Sur les jantes ce qui a fait le succès d’un Fante dans Mon chien stupide, un anti-héros, désopilant et drôle malgré lui. On lit les épreuves initiatiques autour d’une partie de pêche d’un héros de Mémoires sauvés du vent de Brautigan dans le Earl Pickett de McGuane.
Earl Pickett est un médecin de Livingston, petite ville du Montana qui l’a vu grandir. L’enfant du pays, de milieu modeste va devenir médecin. Ses aventures, ses collègues, sa mère pentecôtiste acharnée, les amis et modèles, défilent alors des tableaux de personnages influents dans sa vie. Fous, diablement normaux. Drôles et pathétiques.
Puis c’est la disgrâce, la calomnie lorsque son ancienne petite amie de lycée décède dans ses bras à la clinique après s’être enfoncé un poignard dans le ventre. Il faudra redevenir peintre en bâtiment et tout recommencer.
D’ascension sociale en déclassement brutal, c’est avec circonspection, détachement et humanité que notre héros voit filer sa vie. Ratages amoureux et mauvaises passes, rencontres inopinées et prophétiques, Thomas McGuane fait défiler les évènements de la vie d’Earl Pickett tambour battant. Ce rythme acharné alterne avec une poésie rare et étonnante, les moments lyriques, la légèreté et la gravité de la vie.
Et pour parfaire le tout, le récit est illuminé d’épisodes cocasses à l’humour efficace. Son 11 septembre 2001 hors des événements qui secouent le monde, un voyage à côté d’un cœur dans une glacière, une drague qui se termine en stand de hot dog pendant des heures.
Et comme les Editions Bourgois en profitent pour rééditer deux livres phares de Thomas McGuane au format poche (vendu 8 €) : Le Club de chasse, initialement paru il y a vingt ans, et Embuscade pour un piano, sorti, lui en 1990, c’est l’heure de découvrir Thomas McGuane !
Sur les jantes
Thomas McGuane
Bourgois
2011