Littérature de jeunesse : Frangine

 

« Joachim, à quel moment tu as réalisé qu’on ne vivait pas au pays des Bisounours ? »

 

C’est un frère qui raconte sa sœur. Qu’il accompagne à sa mesure – d’abord en n’ayant rien percuté – dans son entrée dans le monde impitoyable du lycée.

 

Lui entre en terminale. C’est presque de la rigolade. Il s’y sent à l’aise. Personne ne fait de remarque quand, sur ses fiches de rentrée, il barre « profession du père » et qu’il remplace par « profession de la deuxième mère ». Ou ceux qui auraient tenté n’osent plus.

 

Elle, elle rentre en seconde. Et personne n’a pensé à la prévenir de ce qui pouvait l’attendre.

 

Sur la 4e de couverture, l’APGL (Association des Parents et Futurs Parents Gays et Lesbiens) soutient la sortie de ce premier roman résonnant particulièrement avec l’actualité ces temps-ci. On s’attend à un certain militantisme. Qu’il faudra lire entre les lignes. Marion Brunet a écrit une histoire ordinaire. Le portrait réaliste de deux adolescents plutôt tranquilles, élevés avec amour et tendresse par leurs deux mères, Maman et Maline. Le portrait de ce couple qui s’aime, se dispute, supporte un travail difficile ou une histoire familiale un peu lourde. Qui élève ses enfants avec autant de bienveillance que possible. Une histoire ordinaire. Où la violence malheureusement tout aussi ordinaire que va subir la cadette jouera un rôle insidieux et délétère.

 

Le narrateur principal c’est Joachim. On partage ses souvenirs, ses échanges en famille, ou avec ses potes, sa copine et l’attente de leur première fois. Mais comme il le dit lui-même, il n’est pas le héros. Il y a quatre quarts dans cette famille, et les ingrédients complémentaires : Pépé-Lapin, ex-soixante-huitard citadin, les parents de Maline qui sont les grands-parents attentifs mais discrets des vacances à la campagne, la mère de Maman qui, des années après avoir rejeté sa fille homosexuelle, qui plus est future maman, tentera une rencontre avec ses petits-enfants… Certains chapitres entrent dans l’intimité de Pauline, la frangine, de Maman ou de Maline, et nous donnent un aperçu plus complet de la vie et l’état émotionnel de chacun. En n’oubliant pas que le public prévu de ce livre est adolescent. En n’hésitant pas à ouvrir des portes aux adultes qui les entourent et que cette lecture ferait bien de tenter.

 

Venons-en au fait. Qui ne virera pas « divers » comme on le craint longtemps au milieu de ces pages. Pauline est victime de harcèlement au lycée parce que ses parents ne sont pas bleu et rose. Parce que certains pensent que l’homosexualité est héréditaire, ou contagieuse, ou en tout cas dangereuse. Et qu’on peut régler ça par les plus vils moyens. Trois types de première emploient leur hargne et leur ennui à la menacer. Ses camarades de seconde au mieux se taisent, au pire en rajoutent. Ses mères s’inquiètent, son frère s’interroge, un prof remarque le malaise, mais Pauline encaisse, Pauline se ferme, Pauline s’éteint au milieu de sa chambre désormais monacale.

 

Il faudra la « parenthèse enchantée » des vacances de la Toussaint chez les grands-parents, un immense courage personnel et le soutien fraternel associé à celui de quelques amis enfin sûrs pour affronter ces trois personnages aussi bêtes que méchants. Et vivre enfin une vie normale de lycéenne, qui a dû faire la peau à son enfance.

 

Marion Brunet a mis l’écriture au service de ses héros. C’est familial et familier, tout juste comme et quand il faut. C’est cru et effroyable aussi comme le sont les insultes et les menaces que subit Pauline. C’est émouvant et simple et un peu bête comme un garçon amoureux, comme un frère, comme un fils.

 

On embarque, on tremble, on serre les poings, on danse, on pleure. On voit les titres des journaux, on entend les reportages, on pense à ce qu’on pourrait faire, ce qu’on devrait faire, à ce qu’on fait déjà un peu.

 

Merci Marion Brunet et merci Sarbacane pour la bande-son proposée avant le roman, ça résonne sacrément. On aime à croire qu’elle a effectivement accompagné l’écriture. On aimerait que d’autres éditeurs permettent à leurs auteurs ou illustrateurs de partager ça aussi.

 

 

Frangine, Marion Brunet, collection Exprim de Sarbacane, 14€90.

2 commentaires sur “Littérature de jeunesse : Frangine

  1. Madoux

    ça n’a pas l’air réservé aux enfants, si?

  2. tiphaine

    C’est pour la grande jeunesse, je dirais de 14 ans pas trop sensible à n’importe quand ! (la littérature de jeunesse n’est pas que pour les jeunes lecteurs, c’est pour tous ceux qui aiment lire !)

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires