« Leaves », adolescence et hyperréalisme.

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C’est l’histoire d’un retour qui n’en est pas un, parce qu’on ne revient pas sur les traces, les morsures, les fêlures du temps. On peut tout juste en tirer quelques souvenirs élimés, quelques photos au grain qui en disent long sur leurs années de capture : une boite en métal au fond d’un placard qu’on pensait ne jamais avoir à rouvrir.

C’est l’histoire d’une famille en quête de l’équilibre un instant partagé qui ne reviendra sans doute jamais. L’équilibre des premières années de la fratrie, quand il n’y a que grandes joies, petits chagrins, quand les projections des desseins parentaux ont la légèreté d’une chimère sans en laisser paraître la monstruosité.

Il y a là Poppy et Clover, les deux filles cadettes. L’une, la couronne de princesse au scintillement polymérique pressée sur le haut du front semble ne pas vouloir grandir. L’autre animée de la vibration électrique d’un corps qui ne sait pas encore quel est son niveau de valence, est en équilibre entre le cynisme des adultes et l’insouciance de l’enfance. Elles attendent avec impatience, avec bruit, avec tapage, avec questionnement, le retour de leur aînée. Elle est partie il y a trois mois, à Londres, pour faire les études que sa mère n’a pu faire qu’en rêve. Elle rentre prématurément. On devine l’explosion, l’acte, aux seuls éclats interrogatifs disséminés dans la maisonnée : « Pourquoi tu crois qu’elle a fait ça !? »

Le retour, c’est le temps d’un nouveau départ. On s’efforce d’expliquer, de dire, on vient bricoler aux limites du langage, de l’inférence. « … ce ne sont que des mots… », alors on demande « pardon » quand il y a dérapage. Mais il semble que le mal est fait et que le sacro-saint « pardon » ne pourra pas ressusciter le passé.

La dernière tranche de vie de la famille est enjouée, mais elle se passe trois mois plutôt, avant le départ. Elle est interprétée en fond de plateau et projetée sur un écran; des sons lointains, des images, quelque chose qui ressemble aux films familiaux qu’on ressort les dimanches pluvieux…

La mise en scène est épurée, précise, efficace, malgré des noirs un peu appuyés entre les scènes et le dérapage un brin larmoyant avant la dernière partie. L’interprétation est brillante. Le rythme comme métaphore du chaos psychique des protagonistes donne au texte sa saveur. Aposiopèses, reprises, seul le ton parfois emphatique nous rappelle qu’il s’agit de théâtre. Saluons particulièrement la justesse de Louise Szpindel et Léopoldine Serre, les deux comédiennes qui interprètent les cadettes, saisissantes de vérité.

Ai-je passé un bon moment : non. Ce fut un moment douloureux qui rappelle son propre passage d’un monde facile à un monde fini, quand tout perd sa saveur et que les rêves s’enfuient, le saut de la sérénité familiale au désarroi de la solitude. C’est aussi un texte qui fait apparaître l’image de ses propres enfants dans un coin de la tête, encore animés des rires de rien, qu’il va falloir préparer, où plutôt qu’il ne faut pas, justement on ne sait…

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TNB du Mardi 15 février 2011 au Samedi 19 février 2011
http://www.t-n-b.fr/fr/saison/

1 commentaires sur “« Leaves », adolescence et hyperréalisme.

  1. JP Chereau

    Rien à redire sur l’article qui reflète ce que j’ai vécu et surtout sur les deux comédiennes particulièrement citées.
    Je voulais juste profité de ce commentaire pour dire notre joie d’avoir repris un abonnement au TNB et d’avoir retrouvé un théâtre militant, qui prend au tripes.
    Nous avions quittés le TNB, il y a quelques années, lassés des séances à grand spectacle, pleines d’effets spéciaux n’ayant d’autres justifications qu’eux-mêmes. les textes et les comédiens disparaissaient derrière le clinquant.
    Quasi sans faute jusque maintenant sur notre abonnement. Ou alors avec un petit hiatus pour le Virginia Woolf. Mais là, il est impossible de faire oublier Elisabeth Taylor et Richard Burton, même quand on s’appelle Pitoiset.
    J’ai divergé sur le sujet. Alors retour à l’origine pour redire à Léopoldine et Louise tout mon amour théâtral.

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