Le regard lucide de Monique Charles-Pichon

Monique Charles Pichon est philosophe et psychanalyste. Son recueil de poésie, On habiterait le monde, sorti en 2018, nous interroge sur Comme porter un regard lucide sur un monde qui semble nous fuir. 

Ce fut un projet vaste et douloureux, car ce livre est votre vie. On habiterait le monde est une invitation à vous rejoindre. La violence et la fragilité de la vie, sont devenus les marqueurs de votre parcours, vous deviez l’écrire.
En extériorisant vos douleurs, vous nous donnez les mots pour les compiler. Par le métier de psychologue, et la finesse de votre écriture, vous nous initiez à ces batailles intérieures, notre lot à tous.

Je vous accompagne Mme Monique Charles-Pichon. Ces textes poétiques ont naturellement donné du temps et du sens à ce que je vais appeler, des confidences à un ami. A gauche, le poème, à droite vos apartés. Pour une chronique sur des textes poétiques, c’est l’idéal.

« Il a suffit d’un geste, d’un autre regard et tout se décomposa ». Les jours furent emportés loin des flots vivants de nos rivières motorisées. Les fleuves se nomment A13 ou A15, on ne rêve plus de la nationale 7. Monique Charles-Pichon est de ce monde mais son âme vit aussi parfois au rythme des jours anciens.

A quel moment faut-il nommer, la blessure ? « Elle est venue, l’autre »… Et le regard flambe de honte, d’impudeur, de disgrâce, car un regard d’amour est effrayant pour celle qui n’est plus regardée. « Je l’ai regardée, comme tu devais la regarder, comme j’avais été regardée ».
Le vide ouvre ses nuits. Le monde s’écroule, apprend la mort, une surface morne, sans aucun relief, la disgrâce avant l’oubli, avant le dénouement.
Une lancinante interrogation, monte quand vous pensez à la fille et à la femme que vous étiez, et vous persistez à les croire. Vous avez des images belles et magiques pour raviver vos souvenirs d’amoureuse.

« Nous amoureux,
Enlacés et dénoués
Ouverts dans le bleu et le vert des îles
En fronde, en fondrière
En ondes, en rires
En effronterie et en effondrement ».

On se souvient, souligne Monique :
« C’est une nuit à l’ancienne, ruisselant de ciel, brodée de rivière et d’éclats d’eau… »
« Cette nuit, tu la connais comme si elle t’avait faite
Tout à l’heure l’odeur de sauge va se lever…
Alors les vieux amants glisseront dans l’herbe haute ».

« Quels sont les mots pour tout reconstruire » ? nous souffle Cabrel. Sommes nous préparés à cette lente remontée, celle que connaissent les apnéistes ? La tête devient un bocal agité de joie et de trop d’inquiétudes avant le pallier des 10 mètres.
Chaque étape est un moment pour filer vers de nouvelles découvertes et pour consolider l’espoir. Cette sorte de journal intime est aussi fort par l’écriture que par les thèmes abordés.

Le fil conducteur de cette remontée à la vie vous l’avez trouvé. Il est l’écho des réflexions amassées au jour le jour, comme ce qui précède la prise d’air finale.

« Ces pas toujours en arrière
Quelque part dans un champ clos
Mon corps pend au fil de fer
Avec tout le ciel sur le dos. »

Ces quelques vers de René Guy Cadou introduisent bien votre journal : « Il fait sombre comme jamais! », « Il faudrait saisir ce qui nous échappe ».
La grâce d’un geste ignoré, notre visage dans le sommeil, notre dos désarmé : « Sentir le ciel nu, ce serait bien comme bout du monde ». Monique, vous avez vu votre vie comme nous, apnéistes. Cette image je la garde, si belle, si osée : « La lumière divorcée étale sa palette au couteau, palette des douleurs ».

Le retour à la vie, à une nouvelle respiration, ouvre le regain de l’inspiration dans les tons de bleu avec tout le ciel sur le dos. Viens et suis moi, écoute la vie, semble murmurer une source nouvelle : « Une vie plus loin je te parle…Tu dis Viens ».
Tu écartes les mots avec l’évidence de l’amant qui écarte les draps, qui ne se lasse pas de celle qu’il connaît… Tu chuchotes : « Il fait novembre sur New York. Je vois l’estuaire et le vert de l’Atlantique…le ciel et la mer qui se versent, l’air va partout, versatile et jeune, comme un fou ». 
Quant à moi, novembre à New-York, c’est le temps du marathon, le plus beau, le plus recherché des marathons, j’en ai plein de souvenirs de ces jours là.

Vient le temps de recomposer les mots, Fanny Stevenson puis René Guy Cadou et surtout pour vous Winnicott, sur le rivage des mondes infinis, où se tient la grande assemblée des enfants. Ré-agencer les mots et dire la colère :« La colère est rouge sang. C’est une vigie dressée. C’est dans les terres l’amer. La colère tient les yeux ouverts ».

Du haut de vos 70 ans l’écriture dit oui à la vie. Ces mots témoignent que vous avez retrouvé le parfum d’échanger et de tout reconstruire. Oui, vous vous dites au bout du chemin, « je suis une survivante », vous le soulignez le 12 octobre 2018 sur votre journal, commencé lui le 3 décembre 2016.

L’écriture déployée par Monique Charles-Pichon est à mi-chemin entre la poésie et le roman intimiste de voyage comme le pratique Jean-Paul Kauffmann. Une très belle réussite.

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On Habiterait le monde / Monique Charles-Pichon
Editions L’harmattan, collection Témoignages poétiques
paru en décembre 2018

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