Le dispositif Pinel, la Cour des comptes et la ville de Rennes

Le dispositif Pinel, scruté à la loupe par la Cour des Comptes, est aujourd’hui de nouveau au cœur des débats. En place depuis 2014, ce mécanisme destiné à encourager la construction et la rénovation de logements locatifs se dissoudra dans les méandres administratifs des couloirs de Bercy à la fin de l’année. Toutefois, même après son extinction, ses effets budgétaires continueront de se faire sentir jusqu’en 2038.

Le récent rapport de la Cour des Comptes, bien que mesuré, souligne plusieurs points qui interpellent. Pas de faux suspens, le constat est sans appel. L’incitation fiscale « ne remplit qu’imparfaitement les objectifs de construction et de rénovation de logements dans les zones tenduesp10 ». Conçu pour faciliter l’accès au logement des ménages modestes, le dispositif Pinel permet certes à ces derniers de se loger en zones tendues dans des logements qualitatifs, mais « les plafonds de loyer fixés peuvent parfois correspondre au montant des loyers applicables dans le secteur privé et n’apparaissent de fait pas toujours fixés de façon pertinentep12 ».

L’un des points les plus marquants du rapport est l’identité des bénéficiaires du Pinel : près de 70 % d’entre elles/eux appartiennent au dernier décile de revenus, cherchant avant tout à profiter d’un outil de défiscalisation. Précisément,  iels sont âgé·es de « 45 à 65 ans au moment de l’acquisition du bien, sont, à 86 %, propriétaires de leur résidence principale, ont principalement un statut de cadres (54 %) ou de retraités (11 %) et des revenus qui les situent surtout dans les derniers déciles.p37 »

Selon l’étude que l’Insee a commencé à publier en 2021, la France compte 24 % de ménages détenant au moins deux biens immobiliers. Ce groupe des « multipropriétaires » possède 68 % des logements détenus par les particuliers.

répartition des investisseurs Pinelpar décile de revenu (2014-2020)
(Cour des Comptes) répartition des investisseurs Pinel par décile de revenu (2014-2020)

Entre 2014 et 2021, plus de 4 milliards d’euros de réductions fiscales ont été accordés, et ce chiffre pourrait atteindre 7,3 milliards d’euros en 2023. La dépense fiscale va « continuer à augmenter, même après l’arrêt du dispositif, compte tenu des années de déductibilité qui courront jusqu’en 2038p31. » Or, paradoxalement, « la direction générale des finances publiques (DGFiP) n’a pas été en mesure de transmettre à la Cour une estimation du coût global de la dépense fiscale à échéance 2038. » Argent magique ?

(Cour des comptes) : évolution de la dépense fiscale Pinel depuis 2014 (en M€)
(Cour des comptes) : évolution de la dépense fiscale Pinel depuis 2014 (en M€)

Le coût de ce dispositif sur les finances publiques est donc conséquent. D’autant qu’il bénéficie principalement à une population déjà aisée, et sans garantir pour autant la création durable de logements intermédiaires. Le rapport souligne cette tendance : « les propriétaires bailleurs sont en effet davantage disposés à vendre ou récupérer leur bien à l’issue de la période d’engagement (éventuellement prorogée) que de le maintenir en location sous un double plafond de revenus du locataire et de loyers encaissésp12 ». En d’autres termes, la revente des biens constitue souvent le principal attrait financier pour les investisseurs, au détriment de la pérennité du parc locatif.

(Cour des comptes) : stratégie des investisseurs après la premièrepériode d’engagement
(Cour des Comptes) : stratégie des investisseurs après la première période d’engagement

À Rennes, à l’instar de nombreuses autres villes, le dispositif Pinel a stimulé le marché immobilier entre 2015 et 2021. Cependant, il a également alimenté une inflation des prix, créant de nombreuses tensions et des points de frictions : exode d’une partie significative des classes moyennes vers la périphérie (première, deuxième couronne), urbanisation et densification croissante, et multiplication des immeubles de grande hauteur.

Le Plan (provisoire) Local de l’Habitat  2023-2028 de la métropole (qu’on évoquait dès juillet 2023 dans l’article Rennes Métropole bientôt en zone tendue ?, NDLR) constate même que ce dispositif « a contribué à une surchauffe généralisée des prix de l’immobilier, du fait d’un rapport offre/demande déséquilibré ». La situation a ainsi favorisé la financiarisation du marché, les opérateurs immobiliers profitant de divers dispositifs de défiscalisation, tels que le LMNP ou le Censi-Bouvard pour les logements meublés, rendant « plus prégnante la financiarisation de l’immobilier » au détriment de son rôle de bien fondamental. En somme, le dispositif Pinel a eu des effets plus néfastes que bénéfiques. D’autant plus qu’après plus de 30 ans de dispositifs d’incitation fiscale à l’investissement locatif, une forme de dépendance s’est installée chez les promoteurs et constructeurs. Ceux-ci, inquiets de la fin programmée du Pinel, redoutent les conséquences sur leur activité et le font -déjà- savoir+d1fos.


(Cour des comptes) : récapitulatif des avantageset des inconvénients du dispositif Pinel
(Cour des comptes) : récapitulatif des avantages et des inconvénients du dispositif Pinel

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