[Urbanisme] : Rennes Métropole veut « aller plus haut » !

Dès les années 2000, Rennes est à l’avant-garde d’un modèle singulier de développement urbain en France. Baptisé « ville archipel », ce concept permet de relier la ville-centre aux autres communes tout en préservant des ceintures vertes, délicat équilibre entre espaces naturels et terres agricoles, autour de chaque îlot. Mais au regard des défis relatifs au foncier et à l’accès au logement abordable, ce concept à l’échelle métropolitaine est-il encore viable ?

En effet, les pressions immobilières et foncières sont aujourd’hui de plus en plus fortes. Alors que 26 000 demandes de logement social sont toujours en attente, l’INSEE envisage 100 000 habitant·e·s supplémentaires d’ici 2040 sur son territoire. La Métropole s’interroge donc sur la meilleure manière de répondre à ces défis, tout en satisfaisant les futurs objectifs du Zéro Artificialisation Nette.

Pour y parvenir, le plan local de l’habitat 2023-2028 adopté en février dernier présente des objectifs renforcés en matière de production de logements, tout en limitant la consommation des terres agricoles grâce à une meilleure densification urbaine du tissu bâti. « Faire la ville sur la ville », tel est le credo de la Métropole qui s’apprête désormais à prendre de la hauteur pour identifier toutes les opportunités d’utilisation de l’espace aérien. Une étude visant à identifier des gisements fonciers éligibles à la surélévation va bientôt être lancée à cet effet. Les résultats alimenteront les réflexions en cours sur les évolutions des règles du Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi).

Pour mieux comprendre ce sujet, nous avons sollicité l’expertise d’un acteur majeur dans ce domaine, Didier Mignery, Président Fondateur d’UPFACTOR. Avec près de 20 ans d’expérience dédiée à la surélévation, sa société s’est spécialisée dans la détection à grande échelle du potentiel foncier aérien.

►► ALTER1F0 : Qu’est-ce que la surélévation exactement ?

Didier Mignery : La surélévation est une opération bien particulière dans le domaine de l’architecture. Elle consiste à augmenter la hauteur du toit d’un bâtiment déjà existant, sans pour autant modifier sa surface au sol. Comment ? En ajoutant un ou plusieurs niveaux supplémentaires au-dessus de la construction initiale. En agrandissant verticalement l’édifice, on parvient à libérer des mètres carrés supplémentaires sans empiéter sur le terrain avoisinant. En résumé, la surélévation se révèle être une option prometteuse pour optimiser l’espace, et répondre aux besoins croissants de capacité.

Exemple surélévation, rue de Vern (G00gle Street)

►► Rennes Métropole a lancé un marché public visant à identifier les bâtiments pouvant être éligibles à la surélévation. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

CCTP : DCE_metropole_Surelevation
CCTP : DCE_metropole_Surelevation

Cette initiative est très positive !

D’autres grandes agglomérations ont déjà réalisé cette étude ou sont en train de la mener. Cela s’inscrit dans une tendance actuelle où les collectivités locales prennent conscience de l’importance de se conformer à la loi climat et résilience, votée il y a près de deux ans. Cette loi impose aux territoires de limiter leur impact sur les espaces non urbanisés, vise à réduire de moitié la consommation d’espace d’ici 10 ans et à comprendre les possibilités de développement offertes par leur règlement d’urbanisme, en accord avec cette nouvelle législation.

Notre entreprise, Upfactor, envisage sérieusement de répondre à cet appel d’offres, nous possédons l’expertise nécessaire. L’année dernière, des grandes villes ou métropoles telles que Strasbourg, Saint-Nazaire ou Nice ont fait appel à notre équipe pour réaliser une analyse approfondie du potentiel de surélévation à grande échelle. Notre force réside dans la mise au point de notre application logicielle Géoservice. Cette solution calcule automatiquement le potentiel de surélévation des bâtiments existants en intégrant diverses données telles que les hauteurs des constructions, les formes des toits et les réglementations d’urbanisme.

https://upfactor.fr/

►► On imagine que les résultats issus de votre outil diffèrent d’une ville, d’une métropole à l’autre. Mais peut-on dessiner quelques points communs malgré tout ?

C’est assez variable, oui. Si je me réfère à la dernière étude approfondie, menée récemment, environ 10 % des bâtiments existants d’une ville comme Strasbourg se prêtent à cette opération. Cela équivaut à environ 16 500 bâtiments sur les quelque 150 000 que compte l’agglomération. Ces chiffres bruts sont issus de notre outil de calcul, mais ils sont ensuite affinés au cas par cas, en fonction des besoins et des demandes spécifiques de chaque collectivité.
En effet, chaque ville peut définir ses priorités en matière d’urbanisme. Certaines chercheront à favoriser la mixité des usages, en réaménageant des zones autrefois dédiées aux activités tertiaires ou commerciales. D’autres auront à cœur de développer des projets de logements sociaux en surélevant des immeubles HLM.

►► Le nombre de « 10 % de bâtiments éligibles » semble démontrer que la surélévation n’est pas « LA » solution ?

Une évaluation initiale pourrait laisser penser que 10 % ne représentent pas une part significative, mais il est primordial de mettre ce chiffre en perspective avec les besoins réels. À Strasbourg, après un examen approfondi, on a identifié pas moins de 3 000 bâtiments éligibles à la surélévation. Cela équivaut concrètement à la possibilité de créer environ 30 000 logements, soit le nombre de logements nécessaires pour les 10 prochaines années. À titre d’exemple, à Lyon, les opportunités de surélévation repérées sur les toits des bailleurs sociaux pourraient couvrir près d’un tiers des besoins en nouveaux logements sociaux. Autrement dit, cette option n’est pas à négliger, bien au contraire, elle offre une réelle solution.

+ d1fos_ : « Beaucoup de friches ont été déjà utilisées donc il y a peu de réserves. Aujourd’hui, il faut qu’on construise la ville sur la ville et qu’on monte quand on peut en hauteur » – Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon.

Étude gisements fonciers de surélévation
Étude gisements fonciers de surélévation

►► Pouvez-vous rappeler les avantages de la surélévation selon vous ?

L’avantage principal de la surélévation est de pouvoir construire des espaces supplémentaires adaptés aux besoins, en se rapprochant au maximum de ce qui existe déjà. En utilisant des structures, des espaces existants, les autorités publiques peuvent économiser d’importants investissements, car les infrastructures telles que les transports en commun, les services publics et les différents réseaux sont déjà en place.

Un deuxième intérêt consiste à valoriser le « foncier aérien », c’est-à-dire le droit de construire sur les toits, que certaines copropriétés pourront vendre par la suite. Cela permet aux propriétaires d’obtenir de nouvelles ressources financières pour entreprendre les travaux nécessaires, et lancer des projets de rénovation et de réhabilitation de leurs bâtiments. Enfin, il convient de noter que la surélévation ne peut être mise en œuvre partout, car elle dépend du principe d’attractivité et de la faisabilité dans certaines zones.

►► En préparant cet entretien, j’ai appris que vous aviez participé à un colloque de l’institution d’aménagement et d’urbanisme de Rennes avec un titre brut de décoffrage « Imaginez la ville intense à l’horizon 2050 » !

Manifeste pour un urbanisme circulaire

Le terme « intense » provient du travail de Sylvain Grisot, auteur du livre « Pour un urbanisme circulaire ». Dans cet ouvrage, il aborde le concept d’« intensité des usages » en soulignant qu’une ville n’est généralement pas exploitée comme il le faudrait. L’idée clé de Sylvain est de maximiser la valorisation de tous les usages, et propose de tirer le meilleur parti de chaque investissement en favorisant des usages plus intenses et adaptés à la situation.
Par exemple, posons-nous la question de l’intérêt d’investir plusieurs milliards d’euros dans une ligne de métro si celle-ci ne desservirait finalement que des zones pavillonnaires où la densité serait similaire à celle d’une banlieue ou d’une ville moyenne ?

►► À Rennes, ainsi que dans la métropole, de multiples collectifs de citoyen·ne·s se mobilisent vigoureusement pour dénoncer la densification urbaine galopante, et les ambitieux projets immobiliers. Dernier exemple en date, le collectif Coudurr estimait en mai dernier que la livraison de 5 000 nouveaux logements par an est excessive. Dans ce contexte déjà sensible, la question de la surélévation ne risque-t-elle pas d’accentuer davantage une situation déjà tendue ?

Notre démarche présente un aspect intéressant, car nous prenons en compte différents paramètres, notamment les hauteurs des bâtiments environnants dans une zone plus ou moins étendue. Notre objectif est de proposer des surélévations en harmonie avec le voisinage, c’est-à-dire des hauteurs qui sont acceptables. Nous nous éloignons de l’idée de « construire pour construire » sans réflexion. En toute sincérité, je suis architecte de profession, et depuis toujours, j’ai été perturbé par l’approche de planification ad hoc, où l’on ne prend pas en compte l’intégration dans le contexte. Au contraire, notre outil favorise la préservation de l’espace existant en évitant une densification excessive. Il optimise l’utilisation de l’espace déjà disponible, en privilégiant par exemple la construction d’un étage supplémentaire sur un bâtiment existant, afin de préserver des « respirations urbaines », c’est-à-dire des espaces vides dans le tissu urbain.

L’objectif principal d’Upfactor est de devenir un outil qui facilite la compréhension des règles qui s’appliquent aux différents territoires. En interrogeant un·e élu·e sur la surface constructible en accord avec les règles en vigueur, ils ne savent souvent pas répondre avec précision. Grâce à Géoservice, nous pouvons appliquer ces règles à grande échelle sur l’ensemble du territoire, ce qui nous permettrait de découvrir un potentiel énorme de foncier, sans avoir à chercher des solutions compliquées pour répondre aux besoins de la population.

Enfin, gardons à l’esprit le principe du « vivre ensemble ». Lorsque nous vivons dans des villes comme Rennes, Paris ou Strasbourg, il est crucial d’avoir une responsabilité envers les espaces que nous partageons. Ces espaces sont le résultat des aménagements urbains financés grâce à l’investissement collectif, c’est-à-dire nos impôts. Ainsi, lorsque qu’une ville ou un quartier est en mutation, cela peut créer des tensions et nous amène à réfléchir sur les enjeux et les utilisations urbaines. Cependant, si nous tirons pleinement parti de ces opportunités de surélévation, il est généralement possible de parvenir à un consensus, car cela ne signifie pas nécessairement construire des bâtiments extrêmement hauts.

+ d1fos_ : « La vraie question n’est pas de dire ‘il nous faut 30 000 logements’ mais de savoir jusqu’où on peut densifier une ville sans la rendre impossible à vivre » – Jean-Pierre Renault, président de l’association Les amis du patrimoine rennais.

►► Pour terminer, quelle serait une surélévation réussie à Rennes ?

Un projet remarquable de surélévation serait celui au sommet du siège social du groupe Norac, situé sur la place Hoche. C’est l’agence d’architecture Maurer & Gilbert qui a réalisé cette œuvre architecturale, distinguée par deux prix aux Trophées de la Construction en 2020. La structure légère s’harmonise parfaitement avec le bâtiment existant, offrant ainsi une illustration convaincante de cette approche.

Cependant, il convient de rappeler que la surélévation est une pratique ancienne qui a toujours existé. J’ai récemment collaboré avec Géraldine Bouchet-Blancou sur un livre intitulé « La Surélévation des Bâtiments », publié par les éditions Le Moniteur. Dans cet ouvrage, nous soulignons que sur l’île de la Cité, environ 20 % des bâtiments ont subi des surélévations dès le Moyen Âge et au cours des époques, en fonction de l’évolution de la législation, et des besoins.

+ d1fos_ : « on constate une augmentation des permis de construire pour des surélévations : il y en avait 200 à 300 par an à Paris entre 2015 et 2016, aujourd’hui, on en compte plus de mille chaque année.» – Didier Mignery, architecte et fondateur de Upfactor

 

https://boutique.lemoniteur.fr/la-surelevation-des-batiments.html
https://boutique.lemoniteur.fr/la-surelevation-des-batiments.html

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