A l’exception de la tonitruante soirée prélude à la Nouvelle Vague le jeudi, cette édition 2016 de la Route du Rock nous semble mettre un poil la pédale douce sur le bruit et la fureur. Heureusement que nos meilleurs ennemis, les britanniques, seront là pour célébrer attitude teigneuse et art de prendre la musique dans le mauvais sens du poil. Exposé en deux points avec les sales gosses de Fat White Family et la verve dévastatrice de Sleaford mods.
Au-delà d’une attitude ravageuse et d’un sens de la provocation aigüe, les deux formations anglaises Fat White Family et Sleaford Mods ont surtout en commun d’être les hérauts idéaux, quoique totalement non-revendiqués, de la rage noire et profonde minant la société anglaise. Deux boules de fureur balançant sans fard et avec une verve épatante toute la saloperie et la déliquescence de notre époque. Deux groupes qui risquent bien d’entraîner le Fort-saint-Père dans de réjouissantes émeutes.
Il n’y a que les cailloux et les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Si nous étions totalement passés au travers du concert de The Fat White Family lors de l’édition 2014 de ce même festival, les nombreux avis positif des collègues et la lecture de quelques interviews des gusses font que nous attendons désormais avec une grande impatience cette séance de rattrapage. Fondé à la fin des années 2000 par deux rescapés d’un indie-boy-band : Lias Saoudi et Saul Adamczewski, The Fat White Family s’est vite taillé une réputation de sales gosses hirsutes et dépravés. La preuve : un frontman qui finit certains concerts nu comme un ver, des paroles vénéneuses évoquant fascisme, viol et pédophilie, un line-up plus que fluctuant, une banderole qu’ils auraient tendue chez eux le jour de la mort de Margaret Thatcher « The Bitch is Dead ». Bref, une réputation de dézingués sans foi(e) ni loi pour le sextet cockney parfaitement résumé par la limpide citation de Lias Saoudi : « ce groupe souffre de soucis psychologiques profonds bien plus graves que la drogue« . La troupe a sorti en 2014 un Champagne Holocaust à la pochette éroto-porcine du meilleur goût et ils viennent de lâcher dans la nature leur second long format : Songs for our mothers (sic!) sur Without Content. Sur ce disque encore plus insidieux et malade que le précédent, les incorrigibles gusses évoquent aussi bien la relation abusive entre Ike et Tina Turner que les ébats supposés entre Hitler et Goebbels au fin fond de leur bunker. On avoue avoir été un peu surpris de voir Lias Saoudi invité lors de différents reportages sur le funeste référendum anglais (avant et après le résultat d’ailleurs). Sauf que l’on a alors découvert que le bonhomme avait bien plus de choses intéressantes à dire que la plupart de nos éditorialistes hexagonaux. Il évoque, entre autres, la déliquescence et l’inanité de le grande majorité de la musique britannique pop actuelle avec une lucide férocité tout à fait réjouissante. Sur la pochette du single de Whitest Boy On The Beach, on retrouve le groupe posant dans une citation d’une pochette de Throbbing Gristle, un autre grand groupe anglais expert dans l’art de dynamiter les conventions pour mieux mettre à nu les horreurs du temps. On compte sur The Fat White Family pour se montrer à la hauteur de leur citation.
The Fat White Family jouera sur la scène du fort dimanche 14 août à 23h.
Un peu plus tard dans la même soirée, d’autres punks encore plus rêches nous attendront pour clôturer le festival en beauté : un duo britannique avec pour seules armes un laptop et un micro pour cracher leur bile bien noire, entendez les lads contestataires de Sleaford Mods. Jason Williamson, devant, au spoken word écorché, tendant l’oreille dans les pubs, les supermarchés et les files d’attentes des agences pour l’emploi avant de tremper sa plume acérée à l’acide sulfurique pour écrire des textes à la rage sourde et tranchante, dézinguant impitoyablement les injustices sociales, avec un flow entre hip hop rêche et Mark E.Smith (The Fall) -en mieux- (oui, c’est un avis tout personnel). Derrière lui, Andrew Fearn bière à la main se contente sur scène de lancer d’un doigt et avec un flegme goguenard les lignes hypnotiques et répétitives qui raclent là où ça fait mal, entre danse synthétique et hystérique, voire neurasthénique. Après 4 disques autoproduits, les deux gars de Nottingham (plus Robins urbains que shérifs, on l’aura compris) ont sorti trois albums sur Harbinger. Le dernier en date, paru en 2015, Key Markets, est dans la même veine que les précédents. Entre post-punk et hip hop : ça clashe, éructe, rogne, sur fond de réalisme social avec toujours cette dérision et cet humour (noir forcément) qui agissent comme du sel sur les chairs à vif. Du festival Cable à Nantes à Glastonbury, en passant par un nombre incalculable de concerts dans les lieux les plus divers, le duo a fait un sacré bout de chemin. Leur relatif succès a même permis à Jason Williamson de récemment quitter son boulot de conseiller à l’impôt foncier. Dans une interview, Lias Saoudi de The Fat White Family donc, explique la réussite du groupe par sa capacité à brillamment mettre en musique le langage des classes populaires anglaises. On a donc très hâte d’enfin découvrir sur scène ses saynètes aussi hilarantes que glaçantes, qui devraient nous coller une mandale risquant bien de laisser des traces.
Sleaford Mods jouera sur la scène des remparts dimanche 14 août à 01h45.
Retrouvez tous nos articles sur La Route du Rock 2016, avant, pendant et après le festival ici.
La Route du Rock Collection Eté 2016 aura lieu du jeudi 11 août au dimanche 14 août.
Plus d’1fos : http://www.laroutedurock.com/