La programmation du mois de mars du Théâtre L’Aire Libre est particulièrement réjouissante, riche et variée.
Du festival Jazz à L’Etage à Mythos, ce ne sont pas moins de 7 spectacles qui seront donnés dans cette magnifique salle située à St Jacques de la Lande. Du théâtre (Louise, elle est folle et Pour Louis de Funès), une création théâtrale en résidence (La Nuit juste avant les forêts), une représentation pour jeune public (Pinkpunk Cirkus), sans oublier la musique avec le concert de Géraldine Laurent dans le cadre de Jazz à l’Etage.
Cette programmation étoffée du mois de mars nous mènera jusqu’au festival Mythos début avril, avec deux représentations théâtrales dont nous vous reparlerons bientôt (Le chagrin des ogres, et In bed with John C.).
L’occasion pour nous de revenir sur l’interview donnée par le directeur de ce Théâtre pas comme les autres, Jean Beaucé.
Début décembre 2011, le label Kütu Folk Records prenait ses quartiers à l’Aire Libre pour cinq soirées de pur bonheur musical. Ce moment unique avait trouvé en l’Aire Libre un écrin parfait : ce théâtre est, certes, un lieu de diffusion, mais c’est avant tout un lieu de création avec un environnement particulièrement favorable à l’épanouissement artistique. Nous avions rencontré le directeur de L’Aire Libre Jean Beaucé, lors de la dernière représentation des Transmusicales le dimanche 04 décembre. L’occasion pour nous d’en savoir un peu plus sur les coulisses de cette création, mais aussi et surtout pour mieux appréhender le rôle de l’Aire Libre dans le processus de création artistique. Rencontre.
Alter1fo : Pourriez-vous vous présenter, et présenter votre rôle au sein de l’Aire Libre ?
Jean Beaucé : Jean Beaucé, directeur de l’Aire Libre et chargé de la programmation. Et tout ce qui concerne la vie de la structure : gestion financière, gestion du personnel, recherche de financements, etc…
De quand date la création de l’Aire Libre ?
1995. Mais auparavant, pendant trois ans, une compagnie de théâtre a eu la responsabilité du lieu sous forme de délégation de service public. En 1995, il y a eu constitution d’une régie autonome, qui est le statut actuel. Il y avait l’ouverture d’un poste de direction, et nous sommes arrivés à trois sur l’idée d’une co-direction mais avec des statuts très différents.
J’étais metteur en scène de théâtre. Claude Guinard, qui dirige maintenant les Tombées de la nuit, était directeur en titre. Et Dominique Chrétien était directeur adjoint. Il s’occupe maintenant d’une structure qui s’appelle Au bout du Plongeoir au Manoir de Tizé, une plateforme d’expérimentation artistique. Quand Claude Guinard a pris la direction des Tombées de la nuit en 2003, j’ai pris sa place en tant que directeur.
Le spectre de l’Aire Libre est assez large. Ce week-end était musical, mais l’Aire Libre propose aussi d’autres domaines, théâtre, danse…
Danse, non. On définissait l’Aire Libre comme une scène Théatre et Musique. C’est comme ça qu’on était aidés par l’Etat, la Région et le Département. Depuis 2008, c’est une scène conventionnée pour le théâtre. On a le label du Ministère, donc ce qui fait que j’ai orienté les moyens de production plus vers le théâtre que vers la musique. Il y a donc moins de musique qu’avant. Ceci dit, l’offre musicale est importante sur Rennes, alors qu’il y a vraiment des besoins de lieux de création en théâtre.
Ca a été l’évolution de l’Aire Libre, mais on a conservé ce partenariat assez fort avec les Trans Musicales, puisque ce partenariat est ancien. On a aussi chaque année un partenariat avec Top of The Folk, qui est une façon de confier une programmation à une jeune structure. Et de temps en temps quelques concerts.
Avec l’ATM, il y a aussi le Jeu de l’Ouïe : on avait vu ici le concert des Lanskies après la conférence de Pascal Bussy.
C’est la deuxième année pour le Jeu de l’Ouïe. Depuis l’an dernier, il y a une convention entre la Ville de St Jacques et les Trans Musicales, avec l’autre partenaire sur la commune, la Médiathèque : ça permet de proposer concert, présentation de la base de données, et quand c’est possible une rencontre avec les groupes à la médiathèque.
Autour des Trans Musicales, on développe des opérations d’action culturelle, notamment en direction des scolaires, mais pas seulement. On a une convention Commune-ATM-Antipode-Aire Libre avec le lycée professionnel Jean Jaurès qui se situe près de S Jacques et avec le collège de St Jacques. Il y a une visite du parc expo organisée, mais aussi la possibilité d’assister aux balances et aux répétitions des groupes. Ils sont restés travailler toute une journée à l’Aire Libre puisqu’ils écrivent des papiers sur le festival, publiés sur le site des trans. Une autre année, ils avaient collaboré avec les Inrocks. Les enfants du primaire viennent aussi rencontrer les artistes. Là c’était un peu plus difficile parce que la résidence était très courte, donc on n’a pas pu mettre en place énormément de choses.
Les lycéens fréquentent peu les concerts. On a l’impression qu’ils sont très attirés par la musique mais pas pour aller aux concerts. Il n’y a pas forcément une grande connaissance du fonctionnement de l’intérieur. Ce sont des moments de rencontre intéressants : il y a toute une pédagogie à faire autour de la musique, comme on le fait autour du théâtre. Ca paraît peut-être moins évident de le faire sur la musique, parce qu’on a l’impression qu’ils sont d’emblée plus attirés par ce domaine. Ils connaissent de la musique ce que le gros du public connait, ce qui passe à la télé sur les radios, etc… Ou alors ils ont leur niche musicale : c’est très bien , mais il faut aussi leur proposer d’ouvrir les champs.
L’Aire Libre est un lieu de diffusion mais c’est avant tout un lieu de création. Vous avez des créations en partenariat avec l’ATM, mais aussi des créations spécifiques à l’Aire Libre, avec des compagnies résidentes ?
Oui. J’ai proposé il y a trois ans sur la précédente convention d’associer trois compagnies, pour leur donner la possibilité d’un parcours et d’une construction de leur compagnie et de leurs spectacles sur trois années. Il y a des moments de création, des moments de recherche, desrésidences de création, et bien sûr des représentations. Avec ensuite un soutien pour la tournée du spectacle qui s’est crée ici. Autour, il y a tout un volet d’action éducative et culturelle là aussi, avec des ateliers dans les collèges, les lycées, l’université, les beaux-arts… Il y a des résidences sur des spectacles qui sont produits par les compagnies, avec l’aide de l’Aire Libre et d’autres partenaires en coproduction.
Mais il nous arrive aussi de faire des spectacles en prenant l’ensemble de la production : c’est-à-dire en salariant directement les artistes, et en exploitant le spectacle derrière. Notamment pour des metteurs en scène qui n’ont pas forcément de compagnie de structure, et qui n’ont pas forcément envie d’en avoir une tout de suite.
On prend en charge tous les aspects liés à la création du spectacle, notamment les aspects administratifs et techniques. Ce qui permet à la compagnie de mettre les moyens obtenus sur l’artistique. Quand on parle de résidence, c’est l’ensemble de l’outil qui est mis à disposition. C’est bien sûr le logement, les repas, les déplacements, toute la vie autour de la création. Mais aussi tous les aspects techniques qui sont importants : il y a des choses simples comme mettre à disposition un photocopieur, des outils internet… Ils n’ont pas tous des bureaux de production.
Je trouve ça nécessaire et ça devrait être dans le rôle de la majorité des structures. Que les théâtres servent d’outil directement à la création et pas simplement à la diffusion des oeuvres. Il y a moyen d’avoir un théâtre qui fonctionne, j’allais dire 7 jours sur 7 et dix mois par an. C’est possible, rien n’interdit d’ouvrir les lieux. Effectivement, le personnel de l’Aire Libre ne peut pas être présent en permanence. Mais il n’y a pas d’inquiétude particulière à avoir ! Beaucoup de responsables sont inquiets de voir que les artistes restent seul sans être accompagnés dans ces lieux. Il y a une image un peu folklorique d’artistes qui seraient irresponsables, à qui on ne pourrait pas faire confiance (rires). Mais ça marche très bien : chacun sait où est son intérêt, chacun a à y gagner.
Pour la résidence du label Kütu Folk, les artistes ont tous vécu dans une maison, et tous ceux que nous avons rencontrés ont souligné que ça leur avait permis de renforcer la cohésion artistique, et soulignaient aussi l’accueil de l’Aire Libre. Votre rôle dépasse donc largement la mise à disposition de la salle ?
Quand on a pris le lieu en 1995, il y avait cette maison derrière le théâtre, qui est l’ancien bar-tabac. Cette maison a été racheté par la ville parce qu’elle était frappée d’alignement. Mais on a obtenu sa réhabilitation et sa rénovation pour en faire une maison des artistes, avec des financements de la Région, de la Drac… L’idée était que les gens puissent vivre et travailler dans le même endroit. Et je pense que c’est ça qu’ils soulignent : il n’y a pas de perte de temps en déplacement, ils mangent sur place, ils dorment sur place. Les rythmes de travail sont définis par les artistes eux-mêmes. S’ils veulent travailler toute la nuit, ils travaillent toute la nuit, ils ont les clés, le code. On leur confie la responsabilité du lieu et ça marche très très bien !
Alors là, ils se trouve qu’ils étaient très nombreux, plus que la capacité du lieu, il devait y avoir des matelas un peu partout (rires). Mais c’était leur choix dès le départ : ça leur permettait d’économiser quarante chambres d’hôtel pendant dix jours, et de mettre ça sur les cachets et salaires. C’était la première fois pour eux qu’ils se retrouvaient aussi nombreux sur un temps aussi long, et sans obligation de quitter le lieu de travail.
Ils étaient content de se retrouver, certains viennent de l’étranger (Canada, Etats-Unis…)
Ca marche parce qu’ils s’entendent tous très bien, ils ont bien vécus ensemble au quotidien : ça se sent aussi sur le plateau. Musicalement, ils se sont bien entendus, ils ont travaillé vite. Avec d’autres artistes, ça pourrait exploser au bout de trois jours ! (rires) L’exposition aux Transmusicales était importante pour eux : il y a eu une belle relation au public, ils semblait contents.
C’est quand même un gros boulot de gérer 28 musiciens, les allées et venues, les répétitions, l’enchainement des sets. Il y a quand même une équipe de techniciens bien rodés pour enchainer tout ça.
Alors sur le planning et l’organisation général des soirées, c’est le label qui a fait la proposition des différents groupes, qui a géré les présences, les temps de balances, etc… L’équipe ici est habituée : que ce soit les trois techniciens permanents de l’aire libre ou l’équipe d’intermittents en son, lumières et plateau, tout le monde est bien rodés, ça va assez vite.
On était surpris par l’enchaînement des sets.
On a ici un régisseur général qui prépare en amont. Ce sont des habitués, comme Nicolas Renard qui vient très régulièrment ici travailler sur les concerts ou sur le théatre, et qui est musicien lui-même. Il y a aussi deux cuisinières, ça faisait beaucoup de monde avec les artistes !
L’équipe était un petit peu inquiète de voir arriver autant de monde, mais il n’y a pas eu de soucis particulier. Les artistes étaient satisfaits des conditions, ce n’étaient pas des chieurs ! (rires) C’était vraiment une semaine sympa, j’adore ça !
Ce n’est pas très raisonnable parce que financièrement c’est lourd : j’avais dit à Jean-Louis Brossard dès le mois de juin : « écoutes, ça serait pas mal si on avait un projet pas trop lourd cette fois-ci » (rires). Mais si on devient raisonnable dans ce milieu là, on ne fait plus rien. Je pense justement que lorsqu’il y a des difficultés, il faut y aller ! C’était des inquiétudes financières, mais finalement avec l’ensemble des partenaires sur la production, on s’y retrouve.
Il y a la Coopérative qui en a fait un enjeu important, le Damier, Les TransMusicales bien sûr. Ce qui fait que c’est un budget qui n’est pas trop lourd et trop compliqué à gérer. La prise de risque porte sur la billeterie, le label Kütu Folk n’a pas de tête d’affiche donc ça pouvait très bien ne pas marcher. C’était la seule incertitude dans le budget, mais ça s’est bien passé. Je n’ai pas de regrets ! (rires) C’est aussi le fait de faire cinq jours, c’est exceptionnel lors des TransMusicales : il n’y a pas un autre endroit où il existe une création de ce type sur cinq jours. Mais quand on fait une création, si c’est pour la présenter deux fois, ce n’est pas la peine.
On a notamment senti que The Band s’est rodé au fur et à mesure.
Oui. Et puis on a une salle d’à peine trois cent places, si on ne fait que deux fois… Bon on est sûr d’être complet, on ne prend pas de risque, mais bon… Depuis le début, on fait cinq représentations pendant les Trans. Et tout le monde tient au dimanche après-midi. C’est assez drôle comme concert, parce que la pression retombe, on a un public plus large, plus familial. Ca permet aussi à l’équipe des Trans de venir. A 17h, ça permet de finir le festival tranquillement.
L’année dernière, Stromae avait fait un magnifique concert le dimanche, il était très très ému, c’était un très beau moment. Je me souviens de son dernier morceau, une reprise d’Alors On Danse avec le grand orchestre classique en vidéo derrière, et lui tout seul au micro, comme Brel. Et c’était très beau, très émouvant. Tout le monde avait la larme à l’oeil, ça n’aurait pas été pareil un autre jour : c’est la fin du festival.
Pour finir, quels sont vos projets à l’Aire Libre dans les mois qui viennent ?
On dévoile une nouvelle programmation en janvier 2012 avec une succession d’accueil et de créations en théâtre, quelques rendez-vous musique jusqu’en juillet, et j’ai déjà une programmation quasi-prête pour la fin de l’année. On sort une plaquette pour le semestre, toujours avec l’affiche de Mathieu Dessailly (Le Jardin Graphique à Hédé) avec les Sauts dans l’eau.
Photos : Solène
Un grand merci à Jean Beaucé et à l’ensemble de l’équipe du Théâtre de L’Aire Libre pour leur accueil et leur gentillesse tout au long de ces cinq soirées.
Retrouvez l’ensemble de la programmation sur le Site de l’Aire Libre