La Taularde est sorti le 14 septembre. Sur l’affiche, Sophie Marceau nous regarde avant de se diriger vers l’escalier central de la prison. La réalisatrice, Audrey Estrougo, devait nous faire oublier l’image de l’actrice pour crédibiliser son histoire. Le pari est tenu puisque Sophie Marceau est impeccable dans le rôle de Mathilde Leroy, femme qui se substitue à l’homme qu’elle aime en allant à sa place en prison. Ce point d’intrigue permet à la réalisatrice de faire un film d’amour, sans jamais faire apparaître l’être aimé. La comédienne Marie-Sohna Condé joue la chef des surveillantes pénitentiaires. Elle travaille avec Audrey Estrougo depuis son premier film. On les a rencontrées.
Alter1fo : A quand remonte l’idée de faire un film sur l’univers carcéral ?
Audrey Estrougo : Il y a 5 ans, quand je suis allée présenter Toi, moi et les autres à une prison pour hommes et à une détention pour femmes. J’ai été très surprise de voir à quel point on ignorait tout de l’incarcération féminine, que ce soit de la typologie des détenues jusqu’à l’endroit, et de cette violence qui s’exprime. J’ai été marquée par l’aspect non-social, dans un premier lieu, qui amène ces femmes en prison mais peu sur le ressort psychologique puisqu’elles sont toutes là pour un homme ou à cause d’un homme.
Julie Gayet joue dans votre film mais elle est aussi productrice par l’intermédiaire de sa société Rouge international. Ce fut difficile de réunir des fonds ?
A.E : C’est un film qui est passé par deux sociétés de production avant Julie. Ça a été compliqué car pour n’importe quel projet, il faut un producteur qui comprenne le film que je veux faire et qui ne vend pas un film différent de ce que j’avais écrit. Pour ce film, il fallait assumer ce côté noir. Mais il faut rendre à Julie ce qui lui appartient puisqu’elle a permis au film de se faire. Elle a tout arraché sur son passage et elle s’est battue comme une chienne. C’est une fille qui fait de la production depuis presque 10 ans maintenant. Elle a de la crédibilité dans cette fonction et elle a fait preuve de beaucoup d’intelligence pour amener le film en production.
Le film s’ouvre sur l’entrée en prison du personnage de Sophie Marceau. Elle est interrogée par vous, Marie-Sohna Condé, et vous lui demandez de se mettre nue. Le plan-séquence est intéressant puisque c’est une manière de dire au spectateur d’oublier tout ce qu’il connait sur Sophie Marceau, d’évacuer toute idée préconçue sur son image.
A.E : C’est totalement ça. J’en ai parlé avec Sophie en lui disant que si elle voulait changer cette scène, ce ne serait pas possible. Déjà, il fallait une entrée en matière frappante, que le spectateur comprenne qu’il va passer une heure et demi en taule et que je ne vais pas l’épargner. Après, quand on a une actrice comme Sophie Marceau, qui plus est dans un rôle différent (où elle n’est pas en héroïne de comédie romantique), il faut la dénuder de tous ses habits qui ne sont pas les habits du personnage. Je lui ai clairement dit qu’au début du film, on voit Sophie Marceau et qu’à la fin de la séquence, on doit voir Mathilde Leroy. Si on n’a pas ça, le spectateur n’entre pas dans le wagon et on a loupé le coche.
Votre personnage, Marie-Sohna, est passionnant. Il est à la fois du côté des prisonnières et du côté de la loi, du règlement. Comment avez-vous abordé le rôle ?
Marie-Sohna Condé : Avec Audrey, on fait des répétitions avant de commencer à tourner pour que le passé des personnages préexiste. Nous, l’équipe des surveillantes, on a rencontré des surveillantes de prisons et on leur a posé toutes sortes de questions pour pouvoir les défendre et ne pas tomber dans le côté caricatural. Je n’avais pas une grosse sympathie pour les surveillantes et en rencontrant ces femmes, j’ai revu ma position. Notamment grâce à une femme gradée que j’ai pu rencontrer. Elle travaille dans une prison avec des détenues à la Guy Georges. J’ai découvert une femme qui se trouvait entre le marteau et l’enclume. Elle avait de l’empathie pour les détenues qu’elle avait en charge et l’administration pénitentiaire qui lui donne trois francs et six sous, pour faire tourner la baraque.
Comment Audrey dirige-t-elle ses actrices ?
M-S.C : On se devine maintenant. Sur les plateaux, elle ne lâche rien mais comme dans la vie en fait. Tant qu’elle n’a pas ce qu’elle veut, elle ne lâche pas. En même temps, elle accompagne et c’est assez confortable de travailler avec Audrey. On a eu des semaines avant le tournage pour se familiariser avec son langage. Quand on commence à tourner, une bonne partie de la préparation est faite.
Du premier plan au dernier, on reste dans la prison. C’était prévu dès l’écriture du scénario ?
A.E : Au-delà de la mise-en-scène, c’est le propos qui m’imposait cela. Je voulais parler de la vie en prison. On aurait pu sortir et suivre les surveillantes chez elles sauf que l’axe qui m’intéressait était, avant tout, sociologique. C’était d’être du côté des détenues et à l’image de ces détenues, on ne sort pas de cette prison. La seule chose que je ne peux pas retranscrire à l’écran, c’est l’odeur. Mais la prison, c’est des bruits, des sons, de l’enfermement, des visions de barreaux, une lumière qui tue les yeux. En une heure et demie, je devais laisser le spectateur dans cet environnement-là.
Le casting est impressionnant. On y croise Sophie Marceau, Anne le Ny, Suzanne Clément et la liste est longue. Est-ce que vous aviez ces actrices en tête dès l’écriture du scénario ?
A.E : Comme je travaille avec une grande partie des filles depuis plusieurs long-métrages, je pensais à elle en écrivant. Je n’aime pas la phase du casting, c’est une phase où on doute beaucoup. Quand je ne trouve pas, je me mets à beaucoup douter. Pour La Taularde, il fallait composer une troupe de filles qu’il faut faire cohabiter ensemble pendant quelques mois. Ce n’est jamais simple donc il fallait trouver des personnes qui se mêlent entre elles. La notion d’implication dans le travail est très importante pour moi.
L’idée politique du film est de montrer la prison comme un générateur de violence lorsque l’horizon de la sortie est brisé. Pour Sophie Marceau, c’est la possibilité de retrouver l’homme qu’elle aime à la sortie.
A.E : J’ai une image pour parler du scénario. Je dis souvent qu’un scénario ressemble à un oignon. La première couche t’amène à réfléchir sur la place des femmes dans la justice qui entre en écho avec la place des femmes dans la société. On ne sait pas qualifier les femmes, si ce sont des victimes ou des criminelles. Par exemple, on parle beaucoup de Jacqueline Sauvage et des Jacqueline Sauvage, il y en a pléthore en prison. La place des femmes te pousse à penser la société dans laquelle tu vis. C’est la société qui fabrique ses délinquants et on retrouve, entre les murs, tout ce qui ne va pas à l’extérieur des murs. Volontairement, je ne fais pas un film militant en disant : »la prison, ça ne sert à rien » mais il fallait que mon propos soit celui-là. Je fais entrer une femme instruite et éduquée en prison et je lui passe un rouleau-compresseur sur le corps pendant une heure et demie. Que reste-t-il à la fin ? On ne parle jamais de la réinsertion, c’est une idéologie que l’on met en avant. Derrière, on ne pense pas l’incarcération avec la réinsertion comme finalité.
M-S.C : En France, on n’a pas de perpétuité avec 250 années de prison, comme aux États-Unis. Ce qui signifie que les gens vont sortir. Qu’est-ce qu’on fait alors ?
Quels sont vos futurs projets ?
A.E : Nous venons de tourner une série télévisée. Elle sera diffusée sur Arte, en février. Elle s’intitule Héroïnes et on y trouvera Marie-Sohna et une nouvelle venue, Romane Bohringer. C’est une mini-série à l’anglaise, sociale, politique, sportive.
M-S.C : Et elle, dans sa besace, elle a déjà trois ou quatre films prêts à tourner mais pour ça, on verra!